Fange - Poigne Chronique
Fange Poigne (EP)
Citation : Jusqu'à la bête de Timothée Demeillers est un exemple parfait du roman noir, ce genre justement imparfait, exubérant, acide mais qui, quand il est bien fait, nous prend par le crâne et nous plonge dans l'horreur. C'est ce que parvient à faire brillamment ce livre brutal, réaliste, sec, où l'on suit un ouvrier d'abattoir emprisonné pour une raison inconnue, racontant une vie dans les chaines de production, dans le sang, dans la viande, dans la répétition, dans la cadence, clac des machines, clac des idées qui tournent sans sens, clac d'un quotidien qui aliène, clac de quelques coups de reins vus comme des libertés en sursis, clac des hachoirs, clac des verres bus après le travail, clac des coups de foudre à sens unique, clac des relations superficielles, clac des lampadaires bordant la route avant l'abattoir, clac d'un style qui fait ressentir la domination industrielle à chaque ligne étouffée, clac d'une jeunesse rendue violente par un père, clac d'une vie d'adulte rendue violente par la production, par ceux d'en-haut, par le rouge bullant au sol, par le goût âcre du savon, des barrières qui s'effondrent, des rêves de carcasses, des corps meurtris, rongés, fatigués, grattés par un travail où l'anonymat du manutentionnaire le transforme, l’abîme. Jusqu'à devenir une bête.
...Quand un disque vous rappelle tant un roman que vous avez lu et adoré, qu’il en devient rapidement une bande-son accidentelle, pourquoi se priver de parler de cette autre œuvre, comme décrire une personne par son reflet dans le miroir ? Si vous voulez un schéma de ce que m’a fait ressentir Poigne lors de son écoute, lisez ce livre. Cela sera plus éclairant que les mots que je pourrais empiler ici.
Au-delà de cela, il convient de féliciter Fange d’avoir profité de cette période de confinement pour sauter le pas de l’industriel strict – presque, quelques riffs typiques s’invitant ici ou là – que l’on sentait vouloir envahir l’espace lors de Pudeur. La durée de cet EP est certes timide (quinze minutes, soit une mise en bouche qui ouvre des portes sans s’installer dans les pièces auxquelles elles mènent), ce qu’elle contient ne l’est heureusement pas. Machines omniprésentes, stridences noise, voix vacuum et rythmes de hachoir : la bande biberonnée à Sutcliffe Jügend, The Body et Swans, n’a pas fait les choses à moitié sur ces quatre titres montrant un appétit loin de tout arrivisme.
Il n’y a plus qu’à souhaiter que cet EP ne soit pas qu’un moyen d’évacuer une envie passagère, tant ce virage va bien à la formation, jusqu’à des textes de Mallarmé mal armé pour la vie à la poésie fleurant bon les névroses de garçon boucher. Par contre, il est tout à fait légitime d’espérer voir Fange aller encore plus loin dans ses désirs ternes, car lorsqu’il ose y faire entrer un peu de couleur délavée (fantastique « Géhenne », frissonnante comme après une nuit blanche avec ces claviers élevés), un ailleurs paraît possible et il donne envie de le prendre à pleine main ! On passera donc sur les quelques facilités rythmiques présentes sur « Flamme Mourante » et « D’Un Désarroi L’Autre », attendant une suite qui ne saurait arriver trop vite. Vivement le prochain confinement ! | lkea 11 Juillet 2020 - 1475 lectures | | DONNEZ VOTRE AVIS Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer. AJOUTER UN COMMENTAIRE | notesChroniqueur : | 3.5/5 | Lecteurs : | (3) 2.67/5 | Webzines : | (1) 3.75/5 |
plus d'infos sur | Fange Industrial Death Metal / Sludge - 2013 - France | | |
tracklist01. | Les Jours Azurs (03:43) | 02. | Flamme Mourante (02:58) | 03. | D'Un Désarroi L'Autre (03:34) | 04. | Géhenne (05:08) | Durée : 15 minutes 24 secondes |
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