Crade. Crade comme un couteau rouillé. Crade comme des organes internes laissés à l’air libre. Crade comme une tâche brune sur des murs moisis, dont on ne devine ni la substance, ni la provenance. Crade comme une souillure qui gargouille et sort, nous faisant hôte. Crade comme un coup de sang. Crade comme un meurtre qui redécore la scène, donne des images de tripailles et de rognons, fait vomir, donne faim.
Crade, Fange l’a toujours été… Mais l’est plus que jamais sur
Punir. Suivant la même règle que ses prédécesseurs, ce nouvel album peut se voir comme une nouvelle évolution du son des Français qui, après le sado-maso
Purge et le jouissif
Pourrissoir, plonge les deux pieds dans ce surréalisme au sein duquel on les sentait proches de tomber. En effet, ces nouvelles trente-sept minutes donnent directement le sentiment de rejoindre le projet en pleine hallucination et ce, malgré un style immédiatement reconnaissable. En terrain connu mais pas en situation confortable pour autant, l’impression d’approfondir un peu plus une relation qui commence à durer avec la formation se retrouve une nouvelle fois, les paroles absconses et hypnotisantes, les guitares HM-2 barbouillées et cherchant les toilettes les plus proches, la noise punk et totalitaire comme un rêve de massacre socialement juste, se rencontrant avec un sourire entendu.
Sauf que Fange ne fait plus désormais uniquement dans l’étal du boucher-charcutier au bord du dépôt de bilan. Autant de personnalité, autant d’amour des décibels, ne peuvent se contenter d’un plancher, de quatre murs et d’un plafond.
Punir s’attaque au monde et, pour ce faire, utilise le meilleur moyen de parvenir à son but : le death metal, ici transformé pour s’accomplir dans la main du mutant. Dès « Ceinturon », la sensation visqueuse et organique propre au genre dans ce qu’il peut avoir de plus dépravé se retrouve, habillant l’ensemble de son carnage, dévoilant sa face nécrosée lors d’instants choisis (« Les Boyaux de La Princesse » ; « Second Soleil »). Un mariage qui est comme une évidence, tant le groupe flirtait à coup d’œillades répétées avec lui lors de ses précédents méfaits.
Ce qui fait qu’à la longue liste des parentés auprès desquelles on aime les rapprocher – Swans, Leviathan, Cult of Occult, Toadliquor, Abscess, Entombed, Celtic Frost, Sutcliffe Jügend… –, on préférera désormais les inscrire sur le post-it des groupes qui ne sont pas autres qu’eux-mêmes, mélangeant leurs obsessions (qu’ils ont multiples et immorales, bonne lecture) dans un univers vécu aux travers de leurs yeux rouges. Une originalité qui donne envie de rattacher les Français à des courants esthétiques plus que des styles musicaux, à commencer par les tribus de Métal Hurlant, leurs histoires fantasma-goriques, leurs cases bordéliques, leur imagerie où le vert cadavre-bouteille se mêle au rouge brunâtre contre un noir englobant l’ensemble. Une atmosphère fictionnelle, et cependant française, terne, où la déroute au sein d’une terre alien se vit à coup de schlass.
Des visions partagées qui font d’autant plus regretter qu’elles s’inscrivent dans une nouvelle et non un roman, que l'on sent bien Fange en capacité d’écrire.
Punir, comme prévu, punit, mais le fait sur un temps court qu’on voudrait voir s’étaler, laissant un goût âcre en bouche jusqu’au bout par un entraperçu de ses qualités de conquérant sur « Il Reconnaîtra Les Siens » et « Second Soleil » où ses dérives noises, sludge et death metal s’unissent parfaitement pour s’arrêter à la lisière d’un royaume industriel impénétrable. Jamais rassasié, on aimerait être écœuré, en somme. Pour l’heure, voilà de quoi être une nouvelle fois étonné de la capacité du groupe à s’approprier et faire tenir debout des musiques aussi chaotiques et undergrounds, au service d’un propos qui n’a comme ligne directrice que ses propres pulsions. Quelque part, on ne fait pas plus death metal.
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