Je ne les voyais pas ressortir un album de sitôt. Fange, le groupe qui a remis le sludge tendance dégueulasse sur les cartes de France avec
Poisse et surtout
Purge n'a en effet pas traîné pour nous redonner de ses nouvelles. À peine un an après la sortie de l'excellent
Purge, revoilà les Français avec un deuxième longue-durée du nom de
Pourrissoir ! Un groupe qui en veut, à n'en point douter.
Un constat qui se retrouve sur ces nouvelles trente-deux minutes. On connaissait déjà la fascination de Fange pour la chair, celle qu'on maltraite, qu'on découpe et qu'on dévore. On connaissait déjà la violence de ses instruments, marqués par Entombed, EyeHateGod, Swans et tout ce qui se fait de noir, sale et vice-lard. On connaissait déjà tout ce que
Pourrissoir propose, de ces voix stridentes flirtant à la fois avec le hardcore hémophile, le black metal et le psychédélisme pur où les perceuses remplacent les seringues, à ces tortures noise faisant des courbettes à une formation comme Sutcliffe Jügend. Et pourtant, « suite logique » est une expression semblant trop limitée pour exprimer ce qui se déroule à l'écoute de ce nouvel essai. Oui, les Français n'ont pas perdu leur temps, mais cela ne veut pas dire qu'ils se sont contentés d'offrir une version améliorée de ce que contenait
Purge.
Car même si Fange apparaît ici d'emblée comme une version augmentée de lui-même (l'ultra-violence de « Parmi Les Ruines », sorte d'attaque frontale où chacun montre ses nouveaux muscles), il laisse au fur et à mesure l'impression d'apporter une nouvelle vision à son sludge à la fois actuel et à-part. Une suite se permettant de donner à des éléments déjà rencontrés un sens nouveau, un peu comme l'a fait Cronenberg, passant de l'insidieux
The Brood au transhumain
Videodrome sans pour autant changer ce qui constitue sa signature. C'est qu'on frime au départ, qu'on erre comme un propriétaire dans ces titres au son immédiatement reconnaissable, qu'on fait mine de ne pas avoir le visage souffrant quand arrivent les noise « Ultrafrance » et « Vore ». Cette blague ! Bien que directement accessible, presque tubesque lors d'élans hardcore qui ne s'embêtent plus à avancer masqués, Fange s'est aussi permis d'être plus profond, dans un sentiment de mise à nu semblant au départ s'inscrire dans les marges avant de prendre l'ensemble de notre cerveau.
Sans prétention,
Pourrissoir transmet une impression de déroute, de folie touchant au surréalisme, mais dont l'expression artistique trouve plus sa place dans une boucherie que dans n'importe quelle galerie. « Jamais rassasié, je ne m'arrête qu’écœuré » : cette phrase tirée de « Vore » exprime à elle seule l'atmosphère dans laquelle on se noie ici, dans un syncrétisme sludge, hardcore, industriel où il devient souvent impossible de savoir vers lequel Fange tire le plus. Plus destructeur, plus coulant, plus froid, plus humain, simplement « plus »,
Pourrissoir ressemble au climax d'une trilogie où toutes les mises en tension et suspension explosent, sans pour autant tomber dans la redite.
Purge et ses digressions allant aussi bien vers l'exutoire que le supplice encore fraîchement en tête, son successeur parvient tout de même à s'apprécier seul, comme une histoire unique où les titres s'imbriquent parfaitement. On évitera les analogies sexuelles, carnassières et masochistes : les Français les maîtrisent de toute façon mieux que n'importe qui, à coups de groove infectieux et de massue pervers.
Fange se montre cependant encore un peu en dents de scie (sur « Les Gémonies » principalement), mais aucun doute : il tronçonne à chaque instant, donnant à des éléments pas faits pour être mis ensemble sur le papier, une cohérence qui laisse abasourdie. Certes déjà prévenus, les amateurs de sludge retrouveront dans ce nouvel album cet enthousiasme que créait
Purge et ce, malgré une année qui s'annonce plus que satisfaisante pour le genre. Réussir à marquer alors que
Unearthly Trance a sorti une petite pépite et que des anciens Grief et Iron Monkey reviennent aux affaires... S'il vous fallait une preuve supplémentaire que Fange est décidément plus qu'un petit groupe du coin, la voilà.
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