Godflesh - Post Self
Chronique
Godflesh Post Self
Résolution de 2018 : faire figurer Godflesh sur ce site.
Comme toutes les résolutions prises auparavant, je ne suis pas certain de pouvoir la tenir longtemps. Mais il me fallait bien cette motivation pour me décider à parler de la formation, tant j'ai repoussé l'échéance maintes fois. Parler de Godflesh est comme parler de Neurosis : où commencer dans cette discographie monstrueuse, avec des ramifications aussi essentielles les unes que les autres (projets parallèles compris) ? Que dire qui n'a pas déjà été dit ailleurs ? Plus important encore, comment transmettre les milles nuances d'émotions, de pensées, qui me traversent quand je l'écoute ? Sûr que la sensation de passer un diplôme quand j'écris une chronique ne m'a jamais été agréable – mais là, elle n'a jamais été aussi forte.
Donc, mesdames et messieurs du jury de l'Industrie, j'ai décidé de commencer par la fin. Car Godflesh, après un retour aux affaires qui m'avait laissé particulièrement froid (A World Lit Only by Fire et l'EP Decline & Fall, où Justin Broadrick et B.C. Green me donnaient l'impression d'être un duo qui avait tout compris à la manière de faire sa musique... et rien de plus, comme un ersatz sans profondeur), revient. Et, surtout, redevient cette entité entêtante, mystérieuse et si pertinente que j'écoutais en boucle lors de mes années étudiantes, esprit et quotidien tournant dans le vide. C'est le premier sentiment que donne Post Self : celui d'être, non pas face à un « retour », mais à une suite, où plonger encore plus en avant dans les affres du monde post-moderne, muscles atrophiés d'inactivité, nuque rendue douloureuse par le stress, cerveau et cœur battant au rythme des cliquetis des machines dominatrices (oh, elles se sont faites plus petites, se notifiant avec des bruits d'oiseau ou des couleurs chaleureuses dans votre main ! Elles sont toujours là, partout, amicales et tyranniques). Dès le départ, trois titres où s'enfermer et hurler, accrocheurs au possible, certes peu aventureux mais montrant que cette musique-ci n'a rien perdu de sa force, va au-delà des références datées et situées qu'on peut lui donner, Cronenberg, Tetsuo, Birmingham, pour exprimer ce que l'on a à l'intérieur, quand, face aux stimulations du monde actuel, tout appelle à réagir plutôt qu'agir. Le moi inexistant, oublié comme on se déleste d'un poids, par la constante demande de ce qui nous entoure.
C'est le deuxième sentiment que donne Post Self : celui d'un besoin de fuir, loin, mentalement, dans un univers créé pour soi. Godflesh, enfin, se souvient sur cet album qu'il n'est pas ce groupe uniquement athlétique, rythmique, tel qu'on aime le présenter. Qu'il est fondamentalement humain, prenant le parti de l'homme vivant au sein des machines. Un homme qui n'en peut plus d'elles, s'en va petit à petit, dans des compositions ayant des saveurs intimes. Peu importe que l'on pense ici à Jesu, qu'on ait ses idées fugaces de Isis et Blut Aus Nord comme élèves de ce maître-ci (« MoRTality Sorrow », hein ?) : Godflesh quitte tout cela, et nous emmène avec lui, dans son monde au bleu glacé et distant, la figure assombri d'un ange comme énigme. [Urgent] : « Moi corrompu cherche salut, appelez dès ce message reçu, prêt à partir au plus vite, vêtements et corps laissés à l'entrée. »
En attendant, on se martèle. On subit comme Godflesh, les battements lointains ou assourdissants, les guitares se diluant, cette basse nous attachant à la terre, pris dans cet entre-deux qui est sa vie à lui aussi. C'est le troisième sentiment que donne Post Self : le corps est malheureusement toujours là, inoubliable bien que rendu insensible par le froid, des spirales musicales le triturant mais n'arrivant pas à le défaire. Une masse constante, commune, seul réconfort à cette impossibilité de pénétrer pleinement dans le spirituel. Car Justin Broadrick et B.C. Green n'ont jamais été des mystiques cherchant à faire du prosélytisme : ils ont toujours été des observateurs conscients, faisant de leurs instruments des monographies de leurs errances. C'est le sentiment final que donne Post Self : celui de retrouver Godflesh comme on retrouve quelqu'un à qui s'attacher. Quelqu'un qui n'a pas de réponse à donner, mais qui comprend.
Mesdames et messieurs du jury de l'Industrie, je vous présente mes excuses car je n'ai pas réussi à parler de cet album comme il est bon de le faire, à décrire des morceaux, à sous-peser la production, à expliciter pourquoi cette note fut choisie. C'est comme ça. Je suis incapable de parler de Godflesh tel que vous me le demandez. D'autres, cependant, l'ont fait et le feront encore. Me concernant, je pars, à la recherche du Messiah. A-dieu.
| lkea 4 Janvier 2018 - 2229 lectures |
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