Il faut le dire, 1993 a été une merveilleuse année. Pas seulement parce que c'était l'année où Varg s'est enfin rendu compte qu'il valait mieux aller en prison que de continuer à jouer dans Mayhem, mais aussi parce que c'était sans aucun doute la plus grande année de l'histoire du death metal (qui cela dit en passant n'était pas mal non plus pour le black metal !). Alors que Morbid Angel et Carcass confortaient leur statut de futures légendes avec
Covenant et
Heartwork, la scène plus réduite du death technique connaissait son apogée. Tout comme Pestilence avec
Spheres, Atheist terminait en beauté avec
Elements, Sadist débutait avec le désormais culte
Above The Light, et Death atteignait la perfection musicale avec
Individual Thought Patterns. Et malgré une actualité déjà pourtant bien chargée, un autre groupe débutant ne passa pas inaperçu, et pour cause : Cynic allait sortir un des albums les plus novateurs de l'histoire du metal.
Né en 1987 de la rencontre de Paul Masvidal et de Sean Reinert, le line-up de Cynic fût aussitôt complété par Jack Kelly au chant et Mark Van Erp à la basse. Mais ces deux derniers se virent remplacer par les arrivées de Jason Gobel de Monstrosity à la seconde guitare et au chant en 1988, puis en 1989 par celle d'un certain Tony Choy, au poste de bassiste. En 1990 alors que la composition du premier album du groupe avance, Paul et Sean rejoignent définitivement Death (Paul avait déjà fait plusieurs concerts à l'époque de Spiritual Healing et connaissait Chuck depuis l'âge de 18 ans) pour enregistrer le mythique
Human et assurer la tournée du groupe jusqu'en 1992. La tournée finie, Paul et Sean durent se mettre à enregistrer
Focus en urgence, le contrat liant le groupe à Roadrunner les obligeant à sortir un album dans un délai limité, mais leur matériel se vit confisqué à cause de problèmes financiers chez Death, matériel qu'ils récupérèrent six mois plus tard. C'est toujours en cette même année 1992 que Tony Choy quitta le navire et rejoignit Atheist pour remplacer Roger Patterson, décédé quelques mois plus tôt. Sean Malone prit le poste dans la foulée, s'apprêtant enfin à enregistrer ce tant attendu premier opus. Mais comme le destin n'est qu'un foutu petit sournois, alors que devait débuter l'enregistrement, l'ouragan Andrew, le deuxième plus gros qu'ait connue l'Amérique au XXe siècle, censé passer largement au nord de la Floride, s'est abattu en plein sur le pauvre état en forme de pénis le 22 août 1992 (le jour de mon anniversaire !). Comme 80000 autres habitations ce jour là, la maison de Jason Gobel fût entièrement détruite, détruisant le seul local de répétition du groupe, et repoussant encore l'enregistrement de l'album de trois mois. Le groupe en profita alors pour écrire de nouveaux morceaux, mais juste avant le nouvel enregistrement, Paul Masvidal subit une extinction de voix, l'obligeant à appeler Tony Teegarden pour assurer les vocaux typés death metal. Après toutes ces péripéties,
Focus sortit enfin en juin 1993. S'en suivit une tournée européenne en ouverture de Pestilence en 1994, puis le groupe se sépara, laissant de nombreux fans en désarroi treize années durant.
L'exercice auquel je suis en train de me livrer ne serait pas si difficile si je n'avais qu'à vous expliquer pourquoi aujourd'hui Focus est un des albums les plus cultes de l'histoire du metal extrême, alors que pourtant, presque toute la jeune génération l'a oublié. Ce qui est en fait vraiment compliqué, c'est de mettre des mots sur la musique de Cynic, et surtout, de définir un style à
Focus. Réduire cette œuvre à un simple album de death technique ne serait pas rendre hommage aux multiples facettes musicales qui la composent. Même l'étiquette « jazz metal » pourtant fourre-tout n'est pas assez large pour que
Focus puisse y rentrer, car il ne faut pas occulter l'aspect progressif et même expérimental (j'ose les mots qui fâchent) de cet album. Ce premier opus du groupe floridien est en fait le reflet des influences musicales de ses membres, mélange du death technique de Human, du jazz et de la fusion que pratiquera d'ailleurs Sean Malone sur l'album
Cortlandt en 1996, de heavy metal, de rock progressif…
Focus est à la croisée des chemins de tous ces styles qui paraissent pourtant antagonistes, et que Cynic arrive à faire rentrer en une symbiose parfaite.
S'il est aussi difficile de coller une étiquette à cet album, c'est aussi et surtout, parce que chacun des huit morceaux qui le composent possède une personnalité et un style propre. Entre « Veil Of Maya » et son chant féminin, « Sentiment » et ses arpèges aériennes, « Textures » qui est un morceau de pure fusion aux sonorités évocatrices de la mer et des cocotiers floridiens, et le génialissime final de « How Could I » que n'importe quel groupe de death metal envierait, il y en a pour tous les goûts, à chaque instant.
Mais le plus incroyable chez Cynic reste que le groupe arrive à conjuguer une technique époustouflante avec une efficacité dans les riffs très proche de celle de
Human (décidément, on y revient tout le temps). Sans bien sûr être aussi brutal que la pierre angulaire de l'œuvre du divin Chuck Schuldiner,
Focus referme plusieurs riffs qui auraient très bien pu y figurer, et on ne peut s'empêcher de penser à « Cosmic Sea » la première fois où l'on jette une oreille sur cet album… et pas uniquement parce que Tony Teegarden hurle le titre en question au beau milieu de « I Am But A Wave To… ».
Je pourrais aussi vous tartiner des pages entières sur les qualités techniques des musiciens, le niveau technique phénoménal et la coordination extraordinaire qui est requise pour mettre en place une musique aussi complexe, ou bien du niveau de composition ahurissant démontré par une utilisation abondante de cassures, polyrythmies, contrepoints, infimes augmentations de tempo et autres facéties stylistiques. Mais ce n'est pas là que réside l'intérêt de ce disque. Toutes ces innombrables qualités techniques, loin d'être purement démonstratives, ne sont là que pour servir l'émotion et le ressenti que procure cet album à chaque personne apte à les capter. Là où réside sa force, c'est qu'il n'est pas qu'une simple conception musicale, mais une oeuvre artistique dans sa globalité, incitant au voyage et à la réflexion. Malgré les multiples couches instrumentales et la complexité apparente de
Focus, tout n'y est qu'aérien, et encore plus léger que les mœurs de Paris Hilton, dynamisant n'importe quel auditeur réceptif. C'est vraiment cet aspect allant au-delà du simple rendu musical qui fait de Cynic un groupe définitivement à part dans l'univers du metal.
Même si je continuais cette chronique indéfiniment, je n'arriverais seulement qu'à effleurer la magie de ce disque.
Focus est un album entier et unique, d'une intelligence et d'une beauté rare, mais qui a un prix. Pour pouvoir profiter pleinement de cet album, il faut une ouverture d'esprit à toute épreuve, car il ne se saurait se révéler qu'aux seuls amateurs de metal extrême, qui peuvent être facilement rebutés par la voix voccodée de Paul Masvidal ou le chant féminin qui le parsèment. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, cet album est oublié par la jeune génération. Alors qu'à l'époque où il est sorti la mode du techno-death battait son plein, accoutumant toute une génération de metalleux à des horizons musicaux variés et divers ; la génération actuelle, abreuvée d'albums bas de gamme aussi profonds qu'un livre de Bernard Henri Lévi a plus de mal à appréhender une œuvre aux facettes aussi multiples. Il faut aujourd'hui un certain background et beaucoup de persévérance pour parvenir à apprécier ce joyau.
Certains ont aussi reproché à
Focus à l'époque de sa sortie une production un peu faiblarde, c'est pourquoi je ne peux que recommander l'album remasterisé sorti en 2004, avec en bonus « Veil Of Maya », « I Am But A Wave To… » et « How Could I » remixés (ce qui soit dit entre nous, est plutôt dispensable), et trois morceaux de Portal, le groupe fondé par Paul, Sean et Jason après le split de Cynic, qui n'a plus rien de metal.
Quinze ans après,
Focus est devenu un des albums les plus cultes de l'histoire du metal extrême, et possède aujourd'hui encore une longueur d'avance sur notre temps. Un album que l'on peut s'écouter en boucle, sans jamais se lasser, une drogue dont on ne peut se séparer trop longtemps. Un album qui a influencé de très nombreux groupes, des meilleurs (Canvas Solaris) aux plus anecdotiques (là j'ai une très forte envie de citer Textures).
Devant les témoignages des fans, Cynic a décidé de se reformer l'année dernière, et de donner ses premiers concerts en Europe, en France en particulier, pays que Paul dit apprécier tout particulièrement. Montrant un visage toujours aussi serein, le groupe a ravi les fans ayant répondu en nombre à son retour inattendu. Aujourd'hui, le groupe est composé de Paul Masvidal, Sean Reinert et même Sean Malone que personne n'attendait, ainsi que de Tymon Kruidenier à la guitare et au chant, qui arrive à remplacer sans peine à la fois Jason Gobel et Tony Teegarden. Cynic a retrouvé tout son entrain d'antan et sortira dans quelques semaines le très attendu
Traced In Air, qui s'annonce déjà comme le digne successeur de
Focus… mais ce sera l'objet d'une autre chronique très bientôt (du moins je l'espère).
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