Depuis que je me suis coupé les cheveux, je me sens étrangement moins « metalleux ». Non pas que la masse capillaire ait à voir avec le degré d'intégrité du metalleux, mais j'ai parfois envie entre un Origin et un Infernal War de me relaxer en écoutant une musique apaisante et prompte à détendre les chakras – ou tout autre élément physique ou non de votre personne, selon vos penchants. Et pour cela, je n'ai guère trouvé mieux que les side projects du duo Masvidal/Reinert que sont Aeon Spoke pour le côté pop et Portal pour le côté prog. Cynic, a toujours été à mes yeux comme à ceux de tous les observateurs avisés le penchant énergique de ce duo redevenu prolifique après quelques années d'errance dans des mouvances plus calmes mais néanmoins de qualité. Pourtant, là où
Focus présentait un visage apaisant contrastant drastiquement avec un fort penchant pour le death metal véloce,
Traced In Air n'avait déjà plus grand chose de velléitaire dans son approche, même si l'on y retrouvait encore l'alternance entre calme et mélodies complexes jouées à un tempo soutenu.
Re-Traced est alors venu rompre cette routine dans la composition de Cynic, ne laissant à « Wheels Within Wheels » qu'un petit martèlement de double pédales pour rappeler ses origines, où l'efficacité primait autant que la mélodie. C'est sans doute cette volonté de délaisser ses origines metal pourtant profondément ancrées dans l'histoire de Cynic et dans le subconscient de ses fans qui a poussé Tymon Kruidenier et Robin Zielhorst à rentrer aux Pays Bas pour réactiver un Exivious laissé en stand-by. Qui pour les remplacer ? Les spéculations envahirent le net jusqu'à ce que... Sean Malone revienne (encore une fois) dans le groupe pour enregistrer (encore une fois, oui, puisqu'il ne participe pas aux tournées) un EP intitulé
Carbon-Based Anatomy.
Sans surprise ce nouvel essai des Américains persévère dans la voie ouverte depuis maintenant trois ans, mais il marque également un nouveau pas franchi dans la direction tout à fait opposée à
Focus, qu'est le calme et la sérénité auxquels Paul Masvidal aspire visiblement tellement qu'il a décidé de ne plus rien faire transparaître d'autre dans sa musique. Disons-le tout de suite
Carbon-Based Anatomy c'est un peu l'intro de « The Space For This » noyée sous quelques couches d'arrangements (arpèges de guitare superposées notamment), mais en moins bien, et sans le riffing épileptique qui est censé le suivre. Ou alors c'est un peu la période pré-solo de « Evolutionnary Sleeper », mais sans le magnifique ouvrage guitaristique qui devrait l'accompagner. Bref, Cynic a totalement délaissé le dualisme qui faisait sa force pour se tourner vers une musique qui n'a qu'un seul visage, et qui du coup ne paraît plus jamais exploser au détour d'un refrain, et permet encore moins de dynamiser un auditeur qui aura plus envie d'aller faire un voyage dans les songes embrumés des Hare-Krishna que de se mettre à headbanguer comme un forcené au son d'un metal ultra entraînant.
Ne vous étonnez pas dès lors de ne plus entendre l'ombre d'un growl chez Cynic, puisqu'il ne reste désormais plus grand chose qui se rapproche du metal dans la musique du trio. Tout au plus retrouve t-on les patterns si atypiques d'un Sean Reinert comme toujours très en forme qui ne sont plus guère que le seul élément à insuffler un peu d'énergie à des titres volontairement très doux. Si Paul Masvidal s'est mis à pousser la chansonnette sans dénaturer son véritable timbre de voix sous une tonne de voccoder old-school, c'est surtout l'absence totale de riff un minimum rapide et technique, pourtant marque de fabrique du groupe, jusqu'au formidable
Traced In Air inclus, qui choquera l'habitué de Cynic.
Et ce ne sont même pas des atmosphères similaires à celles de
Focus qui sont développées dans ce
Carbon-Based Anatomy ! Finies les ambiances si raffinées d'un « Textures » ou la beauté des arrangements d'un « King Of Those Who Know » qui faisaient voyager dans l'inconnu, Cynic est revenu est propose une plongée dans le monde pourtant déjà connu du spiritisme asiatique, terreau de cette infâme engeance hippie qui passe son temps à faire chuter la productivité mondiale et à refuser obstinément tout contact avec le gel douche. Donc chouette, on a le droit à trois intermèdes atmosphériques (« Admist The Coals », « Bija » et « Hieroglyph ») et donc à un cithar qui nous brise les oreilles sur des tiers de ton, à des voix orientales et à au retour du chant féminin dans le groupe, seulement d'autres l'avaient fait avant Cynic, et bien d'autres le feront encore après. Loin de moi l'idée de prétendre que l'ensemble est mal conçu ou implémenté, c'était après tout déjà une des nombreuses facettes du groupe, mais le traitement n'est pas très original là où la musique, heureusement, le reste.
Et ce changement philosophique imprègne aussi la conception des titres : puisque la rapidité et la hargne ne sont plus de rigueur ce sont d'autres moyens qui permettent d'imprimer du relief aux compositions. On remarquera ainsi le passage suivant le solo sur « Carboned-Based Anatomy » où l'intensité monte en utilisant les ficelles de la pop music, avec une guitare qui joue quelques accords énergiques et surtout une voix qui gagne en énergie comme en hauteur. Mais jamais rien n'accélère ni ne se complexifie, et mon petit cœur de fan souffre de ne pas recevoir sa dose d'énergie, ne devant se contenter à la place que des quelques rythmiques pop que même quelques très beaux arrangements peinent à rendre efficaces. Pire encore, « Box Up My Bones » ne provoque pas la moindre réaction chez moi, et il m'arrive de grimacer sur le placement vocal de Masvidal lors du refrain, en plus de penser que la hauteur de sa voix ne colle pas avec les accords qu'il joue.
Seul élément de réconfort dans cet EP, l'excellent « Elves Beam Out » n'a pourtant lui non plus pas grand chose à voir avec la construction des précédents titres de Cynic, mais son refrain assez simple et accrocheur fait tout de même mouche, avant que le titre ne décolle vraiment à 1:40 puis 3:10 avec une superbe mélodie de guitare à la texture sonore très travaillée qui clôt d'ailleurs admirablement bien ces quelques minutes qui auraient pu passer pour un interlude calme de
Traced In Air. Un « Hieroglyph » ultra aérien et très ambiancé qui pourrait sans problème passer pour la musique de fond de la météo satisfera également les amateurs du groupe. Mais c'est bien peu de choses en comparaison du génie qui émanait jusqu'alors de chacune des compositions de Cynic.
Le pire dans tout ça c'est que cette couleur n'est pas si nouvelle dans l'univers de Masvidal et Reinert puisque Portal ressemblerait presque à une version plus aboutie, intimiste et travaillée de ce
Carbon-Based Anatomy, des titres comme « The Circle Gones » ou « Endless Endeavors » ressemblant bien plus au Cynic d'antan que ces nouveaux titres pourtant composés pour un groupe culte de l'histoire du metal... On sait que la volonté affichée du groupe était de se rapprocher des couleurs de Aeon Spoke, seulement en conservant une part de complexité dans leur jeu Paul et Sean ne parviennent pas à atteindre le même degré d'émotion que celui de leur ancien side-project pop, où un titre comme « Pablo (At The Park) » en devenait touchant de niaiserie. Loin du niveau de Aeon Spoke sur le plan émotionnel et à mille lieues de la beauté méticuleuse de Portal, Cynic peine à convaincre sur un terrain pourtant tellement bien maîtrisé par ses géniteurs, et c'est sans doute cela qui lui nuit le plus.
Pour faire une revue complète du rang des déceptions il me faut évoquer rapidement la production plutôt bonne mais qui est desservie par un son de guitare étrangement sale – surtout quand on connaît le matériel utilisé par Masvidal – ou bien le fait qu'encore une fois le travail de Sean Malone a été volontairement laissé en retrait dans le mix. Difficile d'apprécier toutes les subtilités d'une musique qui se veut fouillée quand on peine à distinguer les arrangements et le travail de chaque instrument.
Loin d'être un mauvais moment à passer ce
Carbon-Based Anatomy qui se veut un moment de méditation est pourtant loin de délivrer des ambiances aussi sublimes et palpables que peuvent l'être celles des accalmies de « Uroboric Form » ou « Textures ». En s'assagissant Cynic est simplement rentré dans la norme, perdant autant son efficacité que son originalité conceptuelle, et a remplacé ses atmosphères habituelles par une plongée dans un univers qui me laisse de marbre, en n'oubliant malheureusement pas au passage d'en imprégner profondément ses compositions. Mais si j'avais envie d'entendre chanter un dialogue exotique à la musicalité douteuse il me suffirait de faire un tour dans le métro parisien, c'est pourquoi entendre ce genre de chose sur du Cynic me laisse singulièrement perplexe à la fois sur l'orientation présente qu'a prise le groupe et sur son futur, qui se jouera sans doute encore plus loin de ses terres natales. Soyons clairs, si vous êtes très ouverts, que vous ne rechignez pas à la pop et que vous arrivez à faire abstraction du passé de Cynic, vous pourrez sans doute apprécier ce nouvel EP pour ce qu'il est. Si vous êtes fans des Beatles et de
Traced In Air, après tout pourquoi pas. Honnêtement, j'aurais préféré offrir un meilleur cadeau d'anniversaire à Paul Masvidal que cette critique douce amer, mais il aurait fallu qu'il nous offrît autre chose que ces quelques minutes trop sages et au final trop facilement assimilables pour susciter un véritable enthousiasme.
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