Il n'aura pas fallu attendre trois lustres de plus cette fois-ci pour que Cynic sorte de son silence, et c'est seulement deux ans après un
Traced In Air globalement acclamé que le combo à Masvidal et Reinert, enrichi de Robin Zielhorst de Exivious remplaçant depuis déjà longtemps Sean Malone à la basse, revient nous hanter les esgourdes. Ce n'est pas un EP rempli d'inédits que le groupe propose, mais bien quatre morceaux de
Traced In Air repris à la sauce « reste cool mec, on va faire du Aeon Spoke en plus lent, ce sera joli et on verra passer des poneys roses au coin du feu », à savoir « The Space For This », « Evolutionnary Sleeper », « King Of Those Who Know » et « Integral Birth ». Mais, pour ne pas non plus que cette nouvelle offrande ait l'air d'être réservée aux fanboys, il fallait bien l'enrichir d'un inédit à l'optique plus normale pour du Cynic, et c'est chose faite avec « Wheels Within Wheels », un morceau qui tourne depuis déjà pas mal de temps en version live sur internet.
Là encore disponible sur le net, une vidéo live de « King Of Those Who Know » en version acoustique montrait déjà il y a quelques temps la volonté de Paul Masvidal et Sean Reinert de donner une nouvelle vie aux morceaux de Cynic. C'est chose faite avec ces réinterprétations qui ont au moins le mérite de changer complètement la physionomie des morceaux d'origine. Adieu guitares électriques, vocaux death metal et vélocité globale des compositions, cette fois Paul Masvidal est le seul à donner de la voix, prenant même le temps de beaucoup plus chanter au sens littéral, bien aidé par le tempo considérablement ralenti de tous les titres. Il est assez surprenant de se retrouver à écouter des morceaux que l'on connaît par cœur et dont on apprécie depuis deux ans la structure si judicieusement pensée dans une version totalement différente. Les percussions sont très discrètes et souvent remplacées par des sonorités éléctro heureusement peu envahissantes (on est loin de la techno, ou même très loin de l'utilisation outrancière de cet artifice qu'en ont fait The Monolith Deathcult ou The Berzerker), les guitares plus franchement électriques mais très light (la ligne de guitare très élaborée qui suivait l'intro de « The Space For This » a disparu par exemple) , et la basse est devenue... audible ! Pour les connaisseurs, on pourrait sans problème rapprocher cet essai d'un Aeon Spoke au côté pop tout de même moins prononcé, ou d'un Portal beaucoup moins dense... on peut même légitimement s'interroger sur un rapprochement stylistique entre ces groupes, alors que Cynic avait toujours été le pendant le plus extrême des projets à Masvidal et Reinert (post-
Human, cela va sans dire). Si
Traced In Air n'avait déjà plus grand chose de metal extrême,
Re-Traced n'a tout simplement plus rien de metal !
Pour savoir si vous allez trouver votre compte dans ces réarrangements, rien de plus simple, il vous suffit de vous interroger : recherchez-vous la tranquillité et l'apaisement chez Cynic, ou bien êtes-vous plus réceptif à l'intensité et la complexité des morceaux ? Si chacun trouvait jusqu'à présent chaussure à son pied dans la musique des américains, c'est parce que la richesse des compositions permettait d'appréhender leur style sous l'angle qui nous plaît le plus : mélodique, rythmique, technique, calme, énergique, apaisant, et j'en passe. Cynic c'est un subtil mélange de tout cela, une alchimie parfaite de sentiments et ressentis divers mise en musique avec un talent unique. Mais
Re-Traced bouscule la donne, en amenant la musique du groupe sur un terrain beaucoup plus restreint, un peu moins riche, moins subtil et beaucoup moins énergique : celui de la douceur absolue. De quoi en dérouter plus d'un, et moi le premier.
J'avoue volontiers, en tant que fan de death technique avant tout, avoir du mal à me retrouver dans les versions épurées des titres d'un album que j'avais pourtant adoré, mais un « Space » aux sonorités de percussion bizarres, voire carrément déplaisantes, et à la dynamique totalement différente de l'original, ne suffit pas à me convaincre. Je regrette la disparition pure et simple des solos alors que ces réarrangements auraient été le meilleur prétexte pour revisiter ces moments de pure grâce dans une version un peu plus posée. Au lieu de ça les solos, autrefois points culminants de l'intensité des compositions de Cynic sont ici purement et simplement zappés, la mélodie principale du morceau suivant son cours, parfois même malgré la conservation de la montée en puissance, comme sur « King » où, je ne peux m'empêcher de penser au solo d'origine alors qu'il est abruptement laissé au placard.
Mais le tableau n'est pas aussi noir qu'il paraît : si « Evolutionnary » passe tout seul sans réellement marquer, « King » est de loin la meilleure reprise de l'EP, et l'apport de Robin se fait vraiment sentir, alors que la basse était le parent pauvre de
Traced In Air. Mieux encore, le morceau conserve une grande partie de la progression en intensité de l'original, malgré donc la déplorable perte du merveilleux solo qui l'illuminait littéralement. « Integral » est pareillement excellent, tout en guitare acoustique soutenue par un clavier très discret, faisant d'un des morceaux les plus entraînants de Cynic une ballade particulièrement réussie et très intimiste entièrement portée par la voix de Paul.
Au final on parvient quand même à comprendre la volonté du groupe d'avoir modifié totalement ces quatre titres, car malgré la perte d'une (grande) partie de ce qui faisait l'attrait du groupe, c'est l'émotion ressentie qui change totalement à l'écoute de
Re-Traced. Rien que pour ça, il vaut à mon avis le coup de s'y pencher.
Cette chronique ne serait bien entendue pas complète si je n'évoquais pas l'atout majeur de cet EP, à savoir le titre inédit « Wheels Within Wheels ». J'ai eu beau écouter plusieurs fois les versions live avant de recevoir l'objet, j'ai quand même été très surpris quand je me suis penché sur cette nouvelle composition. Malgré un delay sur une des guitares donnant une sonorité très originale au riff principal et ses lignes de basse très typées Exivious (le final absolument superbe m'a fait penser à « All That Surrounds: Part I »), « Wheels Within Wheels » a tout d'un morceau de Cynic classique, à l'exception des vocaux death metal pour la première fois absents. On y retrouve les multiples couches mélodiques, la progression dans l'intensité et le final plutôt calme auquel le groupe recourt assez souvent. Mais ce que le live ne peut retranscrire, c'est la dynamique somptueuse du morceau, qui monte, explose et retombe à mesure que la partition avance. Que tous les idiots qui se tirent la nouille sur les productions ultra compressées des Madsen et autres Richardson prennent de la graine de cette merveille d'équilibre, de clarté et de précision, où aucun instrument ne prend le pas sur l'autre et qui surtout conserve cet élément essentiel de toute musique digne de ce nom : la dynamique. Pour être honnête,
Traced In Air aurait eu cette production et il récoltait sans peine son 10/10... Tout ce que j'espère, c'est que Cynic continuera sur cette lancée pour son troisième album.
Je ne suis donc pas forcément conquis par ces réinterprétations, qui s'écoutent certes sans déplaisir mais aussi parfois sans réelle accroche, bien que je me doive tout de même de conseiller ce
Re-Traced aux amateurs de Cynic. Évidemment, ceux qui ne juraient déjà que par
Focus seront totalement réfractaires aux quatre premiers morceaux, et ne seront pas plus convaincus par « Wheels Within Wheels » que par les huit titres de
Traced In Air. Globalement cet EP est une réussite, le groupe ne nous refourguant pas en sous-main des inédits moisis sonnant comme des chutes de studio comme d'autres nous en proposent des compilations entières, mais bel et bien des versions alternatives à la saveur différente, présentant une somme de travail quasiment aussi importante que pour tout le reste de ce que Cynic a fait jusqu'à présent. Pour ne rien gâcher, l'objet est proprement superbe.
Re-Traced démontre également l'énorme apport que peuvent avoir Tymon et Robin dans la composition, et il ne serait pas étonnant que les futures offrandes du groupe aient une petite saveur d'Exivious, ne serait-ce que dans ces lignes de basse très posées caractéristiques de Robin, d'autant plus que les hollandais se sont mis indéfiniment en stand-by à cause justement de l'implication des membres dans d'autres projets. Comment noter
Re-Traced ? Honnêtement, je n'en sais rien et je ne préfère pas le faire, chacun aura assurément un avis unique sur la chose, depuis celui qui n'y verra aucun lien avec Cynic jusqu'à celui qui y verra l'aboutissement du groupe. Personnellement, et après deux semaines passées à l'écouter en boucle, j'avoue ne toujours pas avoir un avis définitif sur la question ; mais si Cynic emprunte la voie que « Wheels Within Wheels » a tracé, alors je ne peux que demeurer serein.
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