Tout le monde connaît – au moins en France – l'histoire de Couillu le Caribou dans le grand nord, contée par Laurent Gerra, tournant en dérision l'idole de tout un peuple : Céline Dion. Il faut dire qu'avec leur accent bizarre, les goûts culinaires étranges et leurs chanteuses ignobles qu'ils nous envoient par paquet de douze, on a de quoi se moquer de nos cousins québécois. Mais quand en l'espace de deux ans – entre 2004 et 2005, on s'est pris consécutivement Augury, Quo Vadis et Neuraxis entre les oreilles, on a eu de quoi les envier ces apprentis hockeyeurs. Car redisons-le, en matière de death technique, la scène québécoise est la meilleure du monde. Et Quo Vadis en est un des plus vieux et plus illustres représentants : formé en 1993 le groupe avait déjà sorti à l'époque
Forever en 1996 et
Day Into Night en 2000 et a connu quelques changements de line-up dont le départ de Arie Itman, un des fondateurs du groupe, avant de se stabiliser autour de Bart Frydrychowicz, Yanic Bercier et Stéphane Paré. Manque de bol, il manquait encore un bassiste brillant pour se charger de porter
Defiant Imagination dans une dimension encore plus recherchée que ses prédécesseurs. Le plus naturellement du monde, Quo Vadis s'est donc adjoint les services d'un des meilleurs bassistes du metal : le légendaire Steve Di Giorgio.
Fondamentalement, le style de Quo Vadis n'a pas évolué entre
Day Into Night et
Defiant Imagination, et l'identité du groupe est demeurée intacte. Pourtant, là où seul l'excellent « On The Shores Of Ithaka » – qui se trouve être mon morceau préféré sur le précédent album – était composé par Bart, l'entière paternité de l'opus lui échut cette fois-ci. Logiquement,
Defiant Imagination est globalement plus rapide que son prédécesseur, mais il est surtout beaucoup plus technique, se focalisant moins sur des rythmiques presque thrash auquel le groupe nous avait habitué, comme le refrain de « I Believe ». Bref, Quo Vadis plonge encore plus dans un death technique à la fois très rapide et mélodique, alternant riffs extrêmement efficaces et lignes mélodiques plus développées magnifiquement soutenues par la basse de Steve Di Giorgio. Imaginez un
Individual Thought Patterns (qui a dit Steve Di Giorgio ?) à un tempo moyen de 220 et avec la voix très profonde de Stéphane Paré, qui arrive à tenir des growls impressionnants de plusieurs dizaines de secondes de long sur « Silence Calls The Storm » et « Break The Cycle », et vous aurez une petite idée de ce à quoi vous attendre. Pour ne rien gâcher, les solos de Bart sont encore plus magnifiques et étoffés qu'avant, et l'excellent jeu, très énergique, de Yanic Bercier impressionne autant que l'endurance qui lui est nécessaire pour jouer aussi vite aussi longtemps.
Aucun risque d'être déçu par un tel line-up, tout comme il est impossible d'être déçu par un des titres de
Defiant Imagination. On sent que Bart a pris du temps pour composer l'album, étoffer les mélodies, étudier les transitions, la longueur des morceaux... Très vite, toutes les compositions s'imposent comme une évidence, le résultat est là : tout coule de source. Quo Vadis arrive à conjuguer à merveille l'aspect brutal et incisif du death classique avec le travail mélodique et les subtilités du death technique, sans s'enfermer une seconde dans le carcan d'un style prédéfini. Impossible de résister au très véloce « In Contempt », à un « To The Bitter End » aux guitares chantantes presque lyriques, ou au sublime « Dead Man's Diary », le mid-tempo de l'album qui laisse une grande place au clavier et à la basse. La basse parlons-en d'ailleurs, car si tous les musiciens sont en état de grâce ici, Steve Di Giorgio livre une prestation magistrale. S'il se contente avec intelligence d'être au second plan – tout en restant audible – pendant les accélérations, ses interventions quasi-divines sur les passages plus calmes ne peuvent laisser indifférent, et égalent en qualité celles qu'il a pu faire avec Control Denied, en particulier sur les intros de « Silence Calls The Storm » et « Break The Cycle », ainsi que sur l'ensemble de « Dead Man's Diary ». Son travail époustouflant finit de convaincre les sceptiques que
Defiant Imagination est bel et bien le meilleur album du groupe, en plus d'un bijou de death technique et du meilleur album de death metal que le Canada ait engendré.
Pourquoi seulement 9,5/10 alors, si les compositions sont si parfaites ? Déjà à cause du chant de Oscar Souto de Anonymus sur « Tunnel Effect », trop proche du hardcore pour moi, mais dont je dois tout de même dire qu'on s'en accommode vite. Mais c'est surtout à cause de sa faible durée qu'il rate la note maximale : 39 minutes c'est trop court, surtout quand deux minutes sont constituées d'interludes avec « In Articulo Mortis » et « Ego Intuo et Servo Te », tous deux composés pour l'essentiel de chœurs et de violons. Honnêtement, dix minutes de plus n'auraient pas été de trop pour faire définitivement passer
Defiant Imagination au stade de chef d'œuvre du death technique. C'était le début de la période du retour en force du style que nous connaissons, et que nous devons pour beaucoup au succès de la scène québécoise et des sorties des labels Galy Records ou Willowtip. Ce n'est d'ailleurs qu'avec l'effort qu'a fait Underclass que le disque s'est fait connaître en France, évitant à un tas de metalleux désireux de trouver le successeur de Death de passer à côté d'un pareil bijou.
Presque cinq ans plus tard, le tableau a bien changé pour Quo Vadis. Si
Defiant Imagination a connu un beau succès d'estime dans les milieux connaisseurs, que le formidable DVD
Defiant Indoctrination a contribué à fortifier, mais le line-up du groupe n'est pas resté stable pour autant. Tout comme Arie Itman en 2002, c'est Yanic Bercier, autre membre fondateur, qui a quitté le navire en juillet 2008. Seulement cette fois-ci Stéphane Paré et Dominic Lapointe l'ont suivi aussi, marquant ainsi la fin d'une dream-team du death canadien qui ne fût guère égalée que par Augury. Goût amer dans la bouche des fans, qui signifiait d'une part que tout un pan de l'identité du groupe (le jeu inimitable de Yanic Bercier) ainsi que le meilleur vocaliste qu'il ait eu s'en étaient définitivement allés, et que l'on aurait jamais l'occasion d'entendre le formidable Forest sur un album de Quo Vadis. Mais ça n'a pas empêché Bart de continuer de travailler sur un nouvel album qui devrait normalement sortir dans pas trop longtemps, bien que le groupe ne joue toujours pas de nouveaux titres en live. Malgré tout, si le futur album de Quo Vadis est aussi bon que
Defiant Imagination, je pourrais supporter que les Natasha St Pierre et autres Isabelle Boulay soient matraquées sur les ondes françaises encore quelques années.
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