Cobalt - Gin
Chronique
Cobalt Gin
J'essaye de chroniquer cet album pour la troisième fois. Et c'est toujours la même chose : insatisfait, les lignes partent dans la corbeille numérique de mon ordinateur. Comment décrire cet album ? Qu'est-ce que joue Cobalt ? « Ben du post black metal, c'est écrit au dessus lululul ! » Merci, je sais lire. Et puis les racines black metal sont bien présentes, en effet : La voix haineuse au possible, quelques riffs acérés et stridents, la violence, le côté sulfureux qui donne envie de tuer son voisin... Et pourtant ça n'a rien à voir : la production est trop massive, les riffs trop gras, trop groovy et on est loin d'une ambiance glaciale ou satanique ! Du post black metal à la Altar of Plagues ou Wolves in the Throne Room alors ? Ahahah, ces groupes sont au diabolo cerise ce que Cobalt est au Jack Da', du genre tord-boyaux qui te chauffe les tempes et te claque le cerveau en un rien de temps !
Non, décidemment impossible à chroniquer. Essayons autre chose. Ce disque n'est pas du black metal. Il est punk (« Pregnant Insect »), progressif (« A Clean, Well-lighted Place »), entre le southern rock et le thrash (« Two Thumbed Fist »), folk (« Dry Body »), aérien (« Throat ») ou encore viscéral (« Stomach »)... Mais au final tout ça à la fois (« Gin » ou encore « Arsonry »). Cette batterie tribale toute droit sortie de l'album Static Tensions de Kylesa, ces guitares, comme si un groupe de punk/hardcore décidait de jouer en même temps du Clutch, du Slayer et du Neurosis... Franchement, comment transmettre au lecteur l'idée d'une musique pareille ? Allez dernière tentative : parle de l'esprit, la pratique viendra. Ce troisième album des américains est dédié à la mémoire de deux grands auteurs de leur pays : Ernest Hemingway et Hunter S. Thompson. Le livret est explicite : on y voit par exemple Hemingway debout, chevrotine à la main, torse nu, visiblement bien bourré et prêt à tirer. Cet écrivain représente à lui seul la littérature américaine : un mec avec des couilles, dur, bouffi et bouffé. Mais décidé. Un mec qui prend sa machine à écrire pour une mitraillette.
Oui, là tu t'approches. Cet album est semblable à cet auteur : militaire, crade, américain, alcoolique et à la fois incroyablement mystique. Gin est efficace comme une Gatling, chaud et salé comme le sang qui remonte au palet, poisseux comme la sueur du soldat sous la chaleur irakienne. « Pregnant Insect » est une danse incantatoire (portée notamment par la prêtresse Jarboe et son chant à la fois haut perché et primitif), « Dry Body » un morceau folk lancinant, aride comme ce désert où les nuits sont faites de rituels sanglants immémoriaux, le feu remplaçant un dieu absent de ces terres. Toutes les chansons sont un cri brulant lâché comme un appel à la guerre. Au final c'est surtout ça qui compte, plus qu'une bête description de l'album : cette impression unique d'être transporté dans le versant le plus sombre et fascinant des États-Unis, ce pays fier mais pourri de l'intérieur, où il est difficile d'être un homme. Ce pays où ces mêmes hommes, arrogants, arment leurs flingues et visent le soleil.
Voilà ce qu'est Gin : la transposition musicale d'une Amérique belle et crépusculaire. Il est aussi un exutoire d'une violence rare car tourmentée, guerrière, intelligente. Il est enfin ce qui fait entrer Cobalt dans la cour des grands. Indescriptible, vraiment.
| lkea 31 Janvier 2010 - 4717 lectures |
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