Electric Wizard - Dopethrone
Chronique
Electric Wizard Dopethrone
Faut que j'te raconte, je n'arrive plus à garder ça pour moi. Y a de ça une semaine, on a fait une soirée chez Dean Moriarty. Tu te souviens la fois où t'es parti de son appart', dégouté par l'odeur d'encens et le locataire. Tu te rappelles l'engueulade qu'on a eu, combien j'adore ce type, qu'il est bloqué dans les seventies, vivant et passionné comme on n'arrive plus à l'être, un morceau du passé à moustache… Bref, on va pas recommencer.
Donc y a une semaine, j'me ramène avec les habitués, histoire de se faire une virée « classe des neiges/classe verte » comme on les aime. T'as Sal qui ramène la trousse à pharmacie et l'alcool, Ed la green mary et moi j'embarque Barbara, une ancienne Claudette de supermarché devenue pute (une autre manière de jouer « ça s'en va et ça revient » héhé !) mais que je jure de sortir de cette merde, histoire de payer en paroles mièvres ce que je peux pas m'offrir avec de l'argent. On débarque, prêts à s'en overdoser les veines à la manière des grands, et Dean nous ouvre la porte et ferme nos gueules en hurlant à tue-tête, au taquet comme d'hab', et sort du salon prendre un vinyle chopé dans la journée. La pochette : Satan qui se tape une douille. Alors là, on se dit « Soirée à thème », on rigole, prépare le goûter à s'enquiller à haute dose et on met en place le bouzin sur la platine et les benzos sur nos langues.
On se rend vite compte que y a une couille dans le potage. Mais c'est quoi ce son dégueulasse ? Dean tire une tronche de Christine Boutin et vérifie sa platine, non, ça vient pas de là. Mec, t'as jamais entendu un son aussi crade, une basse aussi lourde et une batterie aussi plombante et sèche. Tout est craspec, gerbant et on a bien failli couper aussi sec. Mais c'est qu'il y a quelque chose qui nous a retenus. Déjà, la montée des enceintes faisait raccord avec l'aqua dans lequel on baignait. Mais surtout, t'as un truc indéfinissable dans cette chiasse sonore, un truc fascinant, comme la fissure dans ton mur, celle que tu peux pas t'empêcher de regarder tu vois ?
Pfff… Je sais pas quand on a arrêté de délirer sur la pochette pour délirer tout court. T'avais Barbara qui était déjà partie sur la basse de « Vinum Sabbathi » à danser langoureusement et jouant sur ses hanches avec un couteau à beurre, comme ces salopes à fleur et leur rituel à la con que tu mattes en deuxième partie de soirée sur Arte. Sal dodeline gentiment de la tête sur « Funeralopolis » avant de perde les pédales sur ses accords plaqués à l'arrache. Un vrai cinéma en Mondovision : comme un crachat sur la pellicule, il se gratte la tête à en saigner, les yeux écarquillés, les amplis et ses tempes qui bouillonnent. Mais Dean… Lui il est parti loin ce soir-là, sur Saturne… On avait l'impression qu'il avait trouvé le Graal, les vierges du paradis en supplément ! Il était fiévreux, compulsant frénétiquement des bouquins de Lovecraft, ses magazines psyché de « Weird Tales » en écoutant le morceau du même nom et ses volutes de fumée, ses bruits de synthé, ce moment lentement terrifiant, une gorgée de cendre qui t'ouvre sur un autre espace (Saturne bordel !).
Et là ça a dérapé. C'était trop, beaucoup trop pour des esprits fragiles comme nous dirait ce bon vieux Howard. Barbara descendait aussi vite qu'elle était montée (au passage : au pieu, c'est malheureusement pareil…) et voulait tout arrêter. Elle supportait pas ! Elle allait stopper le vinyle quand une main l'en a empêché : c'était celle de Dean, qu'était comme un fanatique prêt à la chasse aux sorcières impies. « I, The Witchfinder » débute et c'est la spirale qui tourne. Il prend un bang laissé sur la table et martèle le visage de la pute dansante avec force, tout doucement, il prend son temps mais chaque frappe a sa coulée de sang… Fais chier, je l'aimais un peu cette conne. Je pouvais rien faire, j'étais comme paralysé après les sons stratosphériques de « Altar Of Melektaus ». Dean prépare un bucher avec des piles de cds de disco et des masques africains, allume le tout et on est comme hypnotisé par le corps refait de cette pétasse en train de cramer… ou la chanson « Dopethrone », va savoir. Ed ? Mais Ed il s'est barré comme une fiotte dans le brouillard ! Les flics l'ont retrouvé le lendemain à draguer un lampadaire ! Il disait que la colline le regardait… Quoi, qu'est-ce que t'as ? C'est quoi cette bouche serrée ? Tu te dis qu'on est fou, c'est ça ? Et toi alors, tu te penses civilisé peut-être ?
…
Le lendemain, on s'est posé dans un café, pas pour voir si tout cela s'était vraiment passé, mais pour s'assurer que tout le monde avait vécu la même chose. On était d'accord : malgré la folie ambiante, la dernière sensation était d'avoir vu la réalité dans son essence, dans sa crasse quotidienne, celle que l'on veut oublier en prenant des douches et regardant ailleurs. Un long crash vers la matière que nous avons décidé de rechercher à jamais, contre la beauté, contre l'hypocrisie, contre vous. Trois mots, trois mots qui sont devenus notre raison de vivre, d'exister pleinement.
We hate you.
| lkea 24 Juillet 2010 - 6113 lectures |
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