C'est un monde décadent, empli de dieux et de bêtes que nous présente Tony Wakeford dans ce
Lex Talionis qui est sans doute un des disques les plus sombres et les plus éprouvant de sa discographie. A l'origine enregistré en 1989 et présent sur un « split » avec CURRENT 93 et NURSE WITH WOUND, cet album a été remixé et sorti en 1993 comme la première parution de son label Tursa fondé en 1990. Modèle ultime de pessimisme et de rancœur intense contre le monde moderne, cette loi du Talion s'impose ici comme un jugement ritualiste exaltant d'une part les héros des temps passés (« Heroes Day ») et vomissant d'autre part les viols et le vice du capitalisme (« Blood Against Gold »). On retrouve ici les thématiques des débuts de SOL INVICTUS, chargées jusqu'à la lie de nostalgie exprimée à travers ses métaphores habiles (on louera comme sur
Sol Veritas Lux chez Wakeford cette aisance à composer des paroles finement mystiques et obsédantes) ainsi que ses hommages poignants. Cette œuvre est perçue comme étant l'une des œuvres majeures du Neofolk et plus précisément de l'homme qui a toujours dirigé ce groupe comme un chef d'orchestre.
Ayant aisément survécu à une introduction mélancolique et douceâtre au piano (« Blood And Wine »), l'auditeur monte ensuite lentement les marches d'un échafaud dans lequel SOL INVICTUS joue le rôle du bourreau. Le tambour annonçant une fatalité écrasante est primordial dans les premières cartouches ce disque intensément noir. Ian Read, assurant la majeure partie des vocaux ici, déclame des sentences qui ébranlent la condition nerveuse de l'auditeur dont on maintient volontairement la tête dans l'eau avec des hymnes stimulants, à l'image de l'obsédant refrain «
The world is full of gods and beasts / Lex Talionis... » ou encore des jouissifs «
God is dead... » martelés sur « Black Easter ». « Kneel To The Cross » est un morceau hautement symbolique : on interrompt avec classe le début d'une cérémonie chrétienne par un air païen chantonné avec conviction par deux vocalistes à la diction absolument parfaite. Leurs voix sont certes fragiles et perfectibles peuvent se perdre lorsqu'elles montent trop dans les aigus (notamment le couplet «
And it's ever so wrong... to dare to be strong », témoignage de cette faiblesse touchante) mais la magie est là. L'enchaînement des quatre premiers morceaux a clairement pour but de faire flancher les nerfs d'un auditeur qui luttera tel Sisyphe contre l'indéboulonable rocher qui assommera son état mental, tant SOL INVICTUS se fait pesant et émerge comme une force religieuse incontrôlable guidée par cette distorsion gargantuesque et oppressante portée par des claviers façonnant une atmosphère martiale totalement froide et cassante. Les violons sur « Lex Talionis » (associés à cette distorsion crispante) ou « Black Easter » entretiennent cette tension permanente et éjaculent sur vos gueules la puanteur vicieuse de la modernité, ces coups de boutoirs assénés par les percussions m'évoquant la barbarie des usines, la monotonie étouffante de la production à la chaîne en une ambiance magistrale de maîtrise qui marquera l'esprit en dérive au fer rouge.
Un souffle d'oxygène nous est néanmoins offert par « The Ruins » porté par une voix naïve qui redonne la guitare acoustique une place plus importante dans ce disque : cette rupture brutale -comme à la sortie d'un long tunnel sinistre- permet de respirer enfin la pureté d'une nature, notre nature, qui ne manquera pas de nous mordre jusqu'aux sang par ce qu'elle a de triste et de délabrée. Ces « ruines » annoncent l'émergence d'une nouvelle peau pour les Anglais au sein même de
Lex Talionis : le serpent, menaçant et hostile dans la première partie du disque, réalise sa mue, troquant ses rythmes monolithiques et écrasants pour des airs aériens bercés par des voix moins affirmatives mais plus désabusées, moins assurées mais plus évanescentes et atteintes par cette peine extrême qui les habite. On retiendra ces tremblements magiques dans la montée en puissance que constitue « Blood Against Gold », un des grands chefs-d’œuvre de ce disque (et de SOL INVICTUS d'ailleurs) ou encore l'envoûtant « Abbatoirs of Love », qui voit l'organe de Ian Read, secondée par celui Wakeford au second plan dans un registre plus grave, tituber avec grâce dans sa déclamation du dernier couplet fatal dont votre serviteur vous a déjà fait l'éloge sur
Sol Veritas Lux. Bien sûr, c'est une version différente qui est présentée ici, une version plus grave, plus funéraire -à l'image de l'ambiance du disque- au tempo légèrement plus rapide cependant. Plus épurée aussi : le vocaliste chante quasiment a cappella au début du morceau, instaurant une intimité émouvante avec ce chêne qu'il épouse.
Cet opus est donc assez varié, tout en restant très homogène et uniformément plongé dans la profondeur de ses sensations, enjeu central du tentaculaire combo britannique. À l'image d'un morceau comme « Heroes Day », véritable hommage aux ancêtres...
«
Your glory is like crystal, reflecting the sun's rays […]
Your honour stands unbroken, your swords point the way »
… SOL INVICTUS se place aussi dans la célébration, l'exaltation, à la manière d'une pièce mythique de sa discographie comme « Looking for Europe ». Ce « Heroes Day » fait partie de ces hymnes que l'on chante à plein poumons autour d'un feu dressé en l'honneur de Beltrane ; composé par les deux vocalistes, il s'impose comme la fusion parfaite entre les deux facettes de l'album, copulation entre atmosphère martiale et notes rêveuses composées par une guitare acoustique fluide qui se contente d'accords simplistes mais diablement prenants, témoignage de cette faculté à offrir une beauté authentique avec très peu de fioritures.
Construit comme un « cercle vicieux », avec ce parallélisme entre les deux premiers et les deux derniers titres du disque, de même que par sa pochette cyclique aux tons de vert et de bleu foncé, absolument magnifique dans sa simplicité elle aussi,
Lex Talionis est un vrai purgatoire, dans tout ce que ce symbole a de beau et de noble. Passée la sensation masochiste de sacrifier à cette noirceur religieuse ses nerfs scarifiés (et d'aimer ça), on tient ici un grand album sorti des tripes d'un grand monsieur. La roue tourne mais ne s'arrête jamais.
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