Avec encore plus de constance que la Garden Party de l'Elysée, Rome n'a pas oublié de nous livrer sa nouvelle production en cette triste année 2010, la cinquième en cinq ans. Productif, Jérôme Reuter l'est assurément ; inspiré, ça n'a pas toujours été le cas. Avec un tel rythme, pas non plus évident de se renouveler, un problème récurant des premiers albums de ce projet Luxembourgeois. Puis il y eut
"Flowers From Exile", l'album qui a réellement fait passer Rome dans une autre cour : plus riche, plus touchante, plus aboutie, cette véritable surprise n'a d'ailleurs pas quitté ma playlist depuis maintenant près d'un an. A "Nos chants perdus" incombait la lourde tâche de succéder à cette petite merveille, un pari risqué tant la marge de manoeuvre s'était réduite. Mais ce nouvel album, même s'il n'atteint pas la beauté de son prédécesseur, a vraiment de quoi séduire.
Tout d'abord, un petit mot sur l'objet, esthétique et complet, un de ces albums qui nous fera un jour regretter à coup sûr, la dématérialisation de la musique. Se présentant sous la forme d'un digipack comme celui du "Hindsight" d'Anathema (avec le livret sous forme de livre attaché au support), il contient l'ensemble des paroles ainsi que de nombreuses photos, le tout d'excellente qualité visuelle. Ceux qui ont suivi la carrière de Rome y retrouveront peut-être un clin d'oeil au minimalisme des premiers temps, mais ce côté épuré, monochrome, illustre avant tout à merveille l'atmosphère de ce cinquième album qui rompt radicalement avec les paysages plus colorés de
"Flowers From Exile". La guerre, l'exil, l'abandon, Rome n'a pas réellement changé ses thèmes de prédilection ; la manière de les aborder retrouve par contre l'austérité et le cynisme d'un
"Nera" tout en conservant musicalement, l'évolution opérée sur l'album précédent. En effet, fort heureusement, "Nos chants perdus" continue sur lancée de son grand frère du point de vue de l'instrumentation : s'articulant autour des guitares acoustiques et du chant caverneux de Jérôme (toujours plus sombre, toujours plus profond, toujours plus beau soit dit en passant), le style pratiqué intègre divers instruments (violons, accordéon, ...) ainsi que de nombreux arrangements rendant l'ensemble incroyablement riche. Cette fois-ci, cette richesse est mise au service d'une musique moins révoltée, plutôt accablée, presque résignée. Il ne se passe pas une seconde sans que l'on ressente une souffrance certaine, parfois discrète mais présente, lancinante. Seul le dernier titre "Chanson de geste" nous libère de cette pesanteur par sa tonalité plus légère...
Comme tous les albums de Rome, "Nos chants perdus" se révèle très contrasté, proposant des titres tantôt emmenés ("Le châtiment du traitre", "La commune", "Le vertige du vide", "Les iles noires"), tantôt plus atmosphériques ("L'assassin", "Sous la dague", "Un adieu à la folie"). Comme tous les albums de Rome, "Nos chants perdus" se révèle également très inégal, présentant malheureusement quelques longueurs et morceaux moins passionnants. D'une manière générale, ce sont les chansons les plus calmes qui cassent la dynamique de l'ensemble, ressemblant la plupart du temps plus à des interludes qu'a de réelles pièces, venant ainsi s'ajouter aux véritables interludes car il y en a aussi ("Les exigences de la foi", "L'homme révolté"). Mais à côté de ça, Rome nous délivre un panel de petites perles, une première partie d'album remarquable (jusqu'à "La commune") sans oublier l'incontournable "Les iles noires", sans conteste le titre le plus charismatique de ce cinquième album (et un des plus beau qu'ait composé le luxembourgeois). Les amoureux de
"Flowers From Exile" comme moi resteront donc sans doute un peu sur leur faim en découvrant "Nos chant perdus". Plutôt bon et possédant une véritable identité et une atmosphère qui lui est propre, il pêche juste par ces quelques manques d'inspiration là où le précédent album nous emportait presque de bout en bout. En tous cas, si Jérôme nous a fait passer un message clair, c'est bien qu'il faut désormais s'attendre à être surpris. Alors vivement la suite.
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