S'il y a bien une chose que l'on n'a pas à envier à la perfide Albion, nous autres Français de souche dont la musique ethnocentrée reflète à merveille notre culture par deux fois millénaire et notre amour de la charcuterie traditionnelle, c'est bien sa scène black metal. Bien que j'échangerais sans problème mon baril de Gorod pour un baril de Mithras, il m'était impensable jusqu'à présent de me mettre à envier le black metal anglais, provenant d'une contrée trop courtoise et civilisée pour engendrer un style de musique dégénérescente de qualité, que ces mangeurs de gâteaux secs noyèrent alors sous des nappes de claviers effroyablement malvenues, contribuant largement à générer cette exaction, que dis-je, ce gant jeté à la face du bon goût que fût le black symphonique. C'était sans compter sur le raffinement so british de quelques amateurs de bon black metal traditionnel qui créèrent Winterfylleth avec pour seules ambitions de faire une musique à la fois respectueuse d'une tradition par deux fois décennale mais suffisamment travaillée sur le plan mélodique pour se démarquer de la masse. Vous remarquerez que cette description colle parfaitement à la majorité des groupes que j'encense dans mes désormais rares chroniques de black metal, et ce sera sans surprise que les parallèles s'établiront sans mal avec quelques groupes déjà évoqués en ces lieux – attention, ceci est un intense moment de name droping – tels Belenos, Der Weg Einer Freihet, Angmar, Hegemon, mais surtout October Falls et Blut Aus Nord. Enfin, la version black metal de BAN, pour être véritablement précis, car Winterfylleth n'a rien de la new wave post-metal déstructurée à laquelle s'adonne Vindsval en dehors de sa trilogie initiale.
Et pourtant, avec ses racines folk assumées, Winterfylleth revendique un héritage bien plus proche de Enslaved, Ulver, Drudkh et Hate Forest que des groupes susnommés, et n'aura pas manqué d'en évoquer les couleurs sur ses deux premiers albums, largement salués par les amateurs de pagan black et de black folk. Seulement avec ce troisième essai, les Anglais proposent une nette évolution vers un riffing plus subtil, moins direct et légèrement plus nuancé, où la linéarité globale prend le pas sur l'efficace, mais dont les arrangements et l'enchevêtrement harmonique qui manquaient aux précédents opus ajoutent une dimension onirique très atypique, proche uniquement de l'excellent
Memoria Vetusa II : Dialogue With The Stars. À l'instar de la dernière offrande black metal de Blut Aus Nord,
The Threnody Of Triumph délaisse enfin les dernières traces de riffs catchy, comme on pouvait les trouver au milieu de « The Honour Of Good Men On The Path To Eternal Glory » par exemple, pour plus laisser place qu'à un riffing froid, lancinant, harmonisé dans des phrases redondantes et supportés par des vocaux au léger écho qui évoquent désormais plus le vide des vallées balayées par les vents que la torpeur du sous-bois. C'est une atmosphère nettement plus froide et mélancolique qui est ici proposée, merveilleusement soutenue et imposée par une production bien plus propre que les canons du style : tout est clair, précis, défini, rien ne sature à outrance et aucun artifice ne vient rompre ce bel équilibre qui fonctionne aussi bien avec les passages purement black metal que folk. Bien plus qu'avant le son de Winterfylleth se veut extrêmement travaillé, pensé et étudié pour laisser transparaître sa pureté mélodique, et on s'émerveillera autant de la dynamique du son sur les harmonisations du morceau titre que sur le délicat instrumental « Home Is Behind », où deux guitares acoustiques suffisent à créer une atmosphère apaisante, dans la droite lignée de ce que propose October Falls. Sans jamais être lent,
The Threnody Of Triumph ne semble pas être vindicatif ou haineux, mais empreint d'une étonnante sérénité, ne laissant transparaître que la beauté de ses longues mélodies cristallines. Ainsi un titre comme « A Memorial », pourtant parfaitement dans les canons du black metal, ne laissera qu'un sentiment diffus et extatique dans une discrète progression harmonique.
Et c'est là toute la magie de cet album, exempt de mélodies trop sucrées ou zélées, qui ne prend pas son auditeur par la main pour le faire pénétrer dans son univers mais joue la carte de la discrétion et la subtilité. Les arrangements sont délicats sans jamais être ostentatoires, et même les interludes purement folk faisant intervenir le violon et la guitare acoustique, tel le superbe « Æfterield-Fréon », ne tranchent pas avec le metal extrême des Anglais. Winterfylleth sonne moins comme un groupe de pagan black de l'Est de l'Europe qu'auparavant, et je ne peux que m'en réjouir, puisque la quasi-intégralité des 63 minutes de cet album sont pour moi un moment d'évasion aussi rare qu'intense, grâce justement à ces mélodies éthérées et leur capacité à ne jamais sembler vouloir s'imposer à moi. Les superbes interludes à la guitare acoustique soutenus par des chœurs au milieu de « The Swart » ou à la fin de « A Thousand Winters » ne font que renforcer ce côté onirique et exaltent les nombreuses qualités de cet album. On s'enthousiasmera devant cet effort mélodique constant sans être fainéant, qui voit régulièrement l'ajout de nouvelles lignes de guitares (à 4:30 sur « The Glorious Plain » par exemple, pour citer le moins discret) pour renouveler l'intérêt de titres il faut l'avouer un peu linéaires. C'est d'ailleurs cette linéarité qui risque de rebuter les adeptes d'un black metal plus varié rythmiquement, à défaut de faire peur aux habitués du groupe, qui pour leur part risquent bien plus d'être déçus par un son plus propre et un léger virage vers des atmosphères plus atypiques et moins faciles à pénétrer que sur les deux premiers albums. Une évolution dont je me réjouis pour ma part, même si je ne peux m'empêcher de penser que cet album aurait pu être encore meilleur avec plus de chœurs, qui disparaissent presque passée sa première moitié, tout en déplorant un « The Fate Of Souls After Death » un peu trop plat, sans doute le moins bon titre de l'album, tant du point de vue de l'impact que de la mélodie.
Winterfylleth prend le contrepied de leurs compatriotes Wodensthrone, qui proposent un pagan black plus classique et énergique, et l'on peut même dire que les amateurs de la lune d'octobre ne versent plus dans le pagan : ils ont évolué vers une forme plus froide et lancinante, qui pourrait peut être décevoir les fans de la première heure les plus pointilleux. Sans être aussi pleinement réussi que
Memoria Vetusa II : Dialogue With The Stars dont j'ai enfin trouvé un digne successeur, ce troisième opus de Winterfylleth demeure d'une grande justesse et ne déçoit aucunement, pour peu que l'on vienne y chercher un moment d'intense recueillement plutôt qu'un torrent de brutalité cathartique.
The Threnody Of Triumph n'a qu'un seul visage, mais il remplit parfaitement son rôle dans un registre à mi-chemin entre le pagan et le folk, avec une justesse constante et une qualité sonore impressionnante qui l'honorent, loin des horreurs maculées de clavier bontempi – instrument dont on ne peut que saluer la remarquable absence. Sans surprise les Anglais sont géniteurs d'un black metal classieux, réservé aux gentlemen qui peuvent en apprécier la subtilité et la beauté en embrassant l'intégralité de ce voyage sans coup d'éclat ni véritable baisse de régime. Étant, en matière de black metal, déjà un vieux con dont l'enthousiasme a disparu à peu près en même tant que Sacramentum,
The Threnody Of Triumph est pour moi le seul album de 2012 marquant dans le style, puisqu'il est le seul à proposer un peu de fraîcheur et d'originalité sans se travestir ni en trahir l'esprit. Et si les Britanniques nous ont imposé Bal-Sagoth et Cradle Of Filth, ils ont aussi engendré Charles Darwin, ce qui suffit à ce qu'on ne s'étonne pas de l'évolution du black metal anglais, qui est en train de devenir un bastion de qualité après avoir été le porte-étendard de son détournement. Si quelqu'un voulait bien rappeler à Vindsval qu'il sait aussi composer du black metal, on pourrait de nouveau se joindre à la fête avec un concept album sur le camembert et les plages bétonnées de Normandie.
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