Hail Spirit Noir - Oi Magoi
Chronique
Hail Spirit Noir Oi Magoi
Situez-vous l'âge d'or du cinéma d'horreur italien ? Celui-là même, qui mélangeait avec brio gore décomplexé, esthétique inégalée, beautés dénudées et ambiances de sorcellerie. Situez-vous leur bande-son qui apparaît aujourd'hui gentiment kitsch, à base de synthétiseurs et d'instrumentations quasi-cosmiques ? Mixez les deux, passez le résultat au cirage le plus noir et brûlez un cierge en écoutant un album des génies de Goblin, vous aurez une idée assez précise de ce qui vous attend avec "Oi Magoi". "Les magiciens". Un titre plus qu'évocateur pour ce second opus d'Hail Spirit Noir, trio grec composé de membres de Transcending Bizarre?, autre combo proposant une musique haute-perchée. Leur premier opus, "Pneuma", au demeurant très réussi (et qui aura fait parler de lui tant sur la toile que dans la presse spécialisée), proposait déjà une recette très particulière, mélange bâtard d'éléments Black Metal, voix criarde et chants clairs caricaturaux, expérimentations mélodiques à base de claviers et d'autres instruments plus improbables (dont un xylophone du plus bel effet), et d'un groove enivrant directement emprunté au Rock'n'Roll. Son principal problème, résidant dans une certaine absence de cohérence au sein même des compositions, un peu trop bordéliques à mon goût, m'aura toujours empêché de m'y immerger complètement. Les grecs ont corrigé le tir et proposent sur ce "Oi Magoi" un Black toujours aussi personnel, mais un peu plus posé et uniforme. Ce qui, croyez-moi, place la barre très haut, et devient une véritable invitation au voyage.
"Oi Magoi" est un package, un ensemble ou tout a été travaillé. L'objet en lui-même est superbe, l'artwork énigmatique, réalisé par RA Design (Notamment responsables de merch pour Ulver et Rotting Christ), pose les jalons du paysage esquissé par Hail Spirit Noir, un sabbat au rythme irrésistible, ou l'on danse à moitié nu autour d'un feu. Tout est fort bien travaillé, et garde une certaine sobriété qui tranche radicalement avec les compositions de la galette, qui partent réellement dans tous les sens - autant d'animaux fantasques qu'Hail Spirit Noir réussit malgré tout à tenir en laisse. "Pneuma" souffrait d'un son parfois un peu approximatif qui nuisait réellement à l'ensemble (notamment lors des accélérations rythmiques ou la batterie était étouffée). "Oi Magoi" a bénéficié d'un travail sonore aux petits oignons, réalisé conjointement par Dim Douvras (bassiste du groupe) et Jens Bogren (The Ocean, Devin Townsend pour ne citer qu'eux). Le résultat est d'une personnalité impressionnante, à l'heure ou la plupart des galettes jouissent soit d'un son d'une propreté clinique mais sans aucune saveur, soit d'une production de fond de garage à mi-chemin entre le magnétophone de la petite nièce et l'enregistreur numérique de téléphone portable, où l'auditeur ne comprend rien à ce qui se passe.
"Oi Magoi" sonne de façon très organique, un véritable retour aux sources, au son des années 70/80. On y retrouve une vibration que l'on pensait éteinte, en témoigne cette batterie et ces cymbales, presque feutrées (même lors des rares blast-beats), ce grain de guitare très doux même lors des leads, cette basse que l'on entend (!) et ces claviers tantôt volontairement kitschs (l'ouverture de "The Mermaid"), tantôt presque religieux. La voix a gagné en intensité, notamment sur les passages en chants clair ("Satan is Time" pour ne citer que lui) : sur "Pneuma", elle était caricaturale au possible (ce qui était probablement volontaire), sonnant parfois comme une parodie de Simone Salvatori (Spiritual Front). Les parties grognées restent toujours aussi efficaces, Theoharis possédant un organe fort profond et agréable, possédé sans pour autant en étaler partout. Une production qui contribue grandement au feeling ésotérique, parfois grotesque, de l'opus. Bref, l'écoute de ce "Oi Magoi" est véritablement plaisante, d'un point de vue purement sonore.
Je l'ai évoqué plus haut, les compositions se font également un peu plus construites, "Oi Magoi" sonnant moins comme un gros patchwork musical que son prédécesseur. Le côté progressif se fait diablement pesant et pressant, en témoigne le titre "The Mermaid", qui alterne parties frénétiques ponctuées de solis discrets, et passages mid-tempos couronnés par ce clavier emprunté à Goblin, donnant une teinte presque surréaliste à l'ensemble. Globalement, ce morceau est d'ailleurs une bonne synthèse de l'opus pour celui qui ne saura par quel morceau l'attaquer, et l'un de ses meilleurs. Possédé, "Oi Magoi" l'est sans aucun doute : les choeurs de "Satan is Time", alternance de montées en puissance et de reprises de rythme plus posées, porté par le chant clair beaucoup plus "sérieux" de Theoharis, ces voix féminines presque sinistres sorties d'on-ne-sait-quel couvent et la basse proprement orgasmique de Dim, qui apporte une superbe coloration à l'ensemble du titre. L'aisance guitaristique de Theoharis lui permet également de sortir des riffs qui feraient tortiller du bassin n'importe quel moine orthodoxe, le titre d'ouverture "Blood Guru" étant l'un des meilleurs exemples. Hail Spirit Noir ne renie pas pour autant ses racines Black Metal en proposant un côté ritualiste très prenant tout au long de ses morceaux, la messe atteignant son climax sur le titre éponyme de l'album, hurlé en grec et ponctué de roulements qui font systématiquement mouche.
"Oi Magoi", c'est l'exemple type du disque que l'on écoute plusieurs fois sans lassitude et vers lequel on revient sans faire de manières. L'amateur de rock'n'roll sera séduit par le riffing, celui cherchant l'obscurité du Black Metal trouvera sans mal un prétexte pour ressortir son chandelier, et le psychonaute sera purement et simplement porté par les compositions progressives qui sont autant de marches (en montée comme en descente, à vous de voir) vers son fort intérieur. Certes, "Oi Magoi" n'est pas taillé pour le bourrin lambda qui recherche sa dose de blast, mais que voulez-vous, on ne peut pas plaire à tout le monde.
Hommage à une race de musiciens férus de synthétiseurs - et rares sont les groupes se réclamant du Black Metal ayant poussé le jeu ausi loin, kitsch et volontairement rétro sans jamais sombrer dans le ridicule complet, Hail Spirit Noir propose un disque proprement excellent, personnel, riche et varié, qui nécessitera plusieurs écoutes pour révéler toutes ses surprises. Jamais prétentieux ni boursouflé, "Oi Magoi" propose un voyage à mi-chemin entre horreur et érotisme, comme les films des maîtres que sont Lucio Fulci et Dario Argento (pour ne citer qu'eux, bien entendu). Une galette plus accessible que "Pneuma" pour les non-initiés, certes, mais qui ne remise pas au placard ce grain de folie si particulier. Mieux, "Oi Magoi" est véritablement rafraîchissant, se situant presque entre un Ghost pour ses côtés théâtraux et un Goblin pour l'ambiance véhiculée. Rafraîchissant, car vraie parenthèse fort bienvenue dans une scène statique qui s'embourbe dans les mêmes clichés et gimmicks depuis des années. "Oi Magoi" n'aurait pas dépareillé en guise de bande-originale de certains Giallos.
Une seule chose à faire pour prendre conscience du phénomène : l'écouter. Indispensable sortie de ce début d'année.
DONNEZ VOTRE AVIS
Vous devez être enregistré(e) et connecté(e) pour participer.
AJOUTER UN COMMENTAIRE
Par gulo gulo
Par AxGxB
Par Jean-Clint
Par Raziel
Par Sosthène
Par Keyser
Par Keyser
Par Lestat
Par Lestat
Par Sosthène
Par Sosthène
Par MoM
Par Jean-Clint
Par Sosthène
Par AxGxB
Par Deathrash
Par Sikoo