C'est aussi à ça qu'on reconnaît les grands groupes : leur capacité à évoluer tout en gardant l'essence de ce qui fait leur attraits. C'est le cas pour Helms Alee qui, malgré une identité plus qu'affirmée, n'a jamais sorti le même disque, au risque de laisser de nombreuses personnes désappointées par le sous-estimé
Weatherhead. Ce dernier album faisait se demander qu'elle allait être la prochaine étape pour les Ricains, tant il personnifiait les émois adolescents par une créativité exacerbée, les nineties au cœur.
D'ailleurs,
Sleepwalking Sailors laisse au départ croire qu'il est l'essai de trop, sans plus-value particulière par rapport à ses aînés. Tout juste donne-t-il le sentiment que Helms Alee a cherché à allier les qualités de ses deux longue-durées précédents, la concision de
Night Terror avec les montagnes russes entre poussées hardcore et douceurs émotionnelles de
Weatherhead... en somme, que le trio a mûri, mettant un peu de côté cette énergie des premières fois au profit d'une musique plus cadrée.
Pourtant, en vérité, le champion des pirouettes désinvoltes (il suffit d'écouter « New West » pour s'en rendre compte) n'a rien perdu de son aisance à jongler entre expérience et nouveauté, candeur de l'enfance et dureté des premiers frottements à la vie sans filet. Le cliché de « l'album de la maturité » n'est ici qu'un point de départ avec lequel joue Helms Alee : ainsi, si les voix féminines se sont gorgées d'une sensualité évoquant SubRosa – dont le groupe peut ici se voir comme une version paritaire et à baggys (l’impressionnante « Slow Beef » par exemple) –, ce n'est que pour prendre plus de hauteur sur cette époque révolue parcourant l’œuvre des Ricains, lui donner une portée de conte où l’éphémère prend une dimension onirique.
Cela ainsi qu'une construction de l'album nettement plus réfléchie qu'autrefois font qu'on ne pense pas tant à revivre ces moments qui nous ont forgé à l'adolescence qu'à rêver d'une version magique de cette période, dans un instant de tranquillité pris au sein de draps moelleux durant lequel l'esprit s'égare, se souvient et modifie, racontant une histoire basée sur sa vie propre où la biographie se mêle à la mythologie, les dangers devenant poissons géants à dents acérées, les bonheurs, moments épiques où trouver à crier sa joie à pleins poumons. À ce sujet, Ben Verellen est décidément l'un des meilleurs hurleurs en activité, sa voix entre Scott Kelly et Philip Cope faisant une nouvelle fois des étincelles sur « Pinniped » ou le final de « Dodge the Lightning », ébouriffant !
Helms Alee est touché par la grâce pour la troisième fois de suite – ce qui n'est pas tout à fait rien –, les trois membres le composant ayant encore poussé d'un cran cette incroyable alchimie permettant les passages où chacun peut s'en donner à cœur joie. Entre les chants clairs de Ben Verellen, Dana James et Hozoji Matheson-Margullis donnant l'impression d'écouter un all-star band regroupant Torche, Sonic Youth et Circle Takes The Square, les parties de guitare jouant constamment à domicile quelque soit le degré de violence ou vol plané figuré ou cette batterie aérienne, légère, en phase avec les autres instruments, difficile de tirer un échantillon particulier, la constance étant une autre qualité à donner à
Sleepwalking Sailors. On pourra tout de même citer les petites boucheries que sont « Pinniped », « Fetus. Carcass. » et ses lignes de chant prenantes ou encore « Heavy Worm Burden » où l'alliance d'émotions qui caressent et prennent à la gorge, chère à la formation, est sans doute la plus réussie.
Bien que je ne puisse m'empêcher de regretter que Helms Alee ait pris le contre-pied de
Weatherhead en allant moins vers l'éclatement et plus vers la cohérence,
Sleepwalking Sailors se situe en bonne place pour être l'album de l'été de 2014. Sans fausses notes, les Ricains continuent d'être les meilleurs pour illustrer ces histoires qu'on se raconte et qui aliment notre récit personnel d'un âge fantasmé, dans tout ce qu'il a de sauvage, féerique... beau, tout simplement. Ne passez pas à côté plus longtemps.
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