Defeater - Travels
Chronique
Defeater Travels
Ah oui, Defeater, quelle histoire ça aussi... Avec leur concept qui raconte les périples d'une famille dans l'Amérique d'après-guerre, quelle drôle d'idée ! Et puis, faire la tournée dans un tour-bus expressément modifié pour rouler au bio-carburant, non mais c'est un bordel ça, s’agirait de grandir hein, s'agirait de grandir... Mais, on va quand même parler de « Travels » tout simplement parce que c'est ce qui se fait de mieux dans le genre hein, son of a bitch. D'accord, faisons comme ça.
Bon, si je fais des références cinématographiques faciles et humoristiques, c'est peut-être que je me voile la face, « Travels » n'ayant rien de comique même si on peut y déceler un petit quelque chose pas tant éloigné du septième art qu'on voudrait bien le croire. Rien que la pochette déjà, ça ne vous rappelle pas un « Coffee & Cigarettes » de Jarmusch ? Bon, la thématique n'a rien a voir (encore qu'on pourrait tirer des points en commun, comme l'aspect narratif/tranches de vie ou la dimension musicale) mais l'esthétique m'y fait personnellement un peu penser. Et puis, la trame de Defeater dans toute sa carrière fait franchement penser à un film en plusieurs volets, avec ce côté initiatique et descriptif des paroles, allant vraiment dans le sentiment et dans l'écriture visuelle. Le passage sur « Everything Went Quiet » par exemple, avec l'histoire du train est tellement bien écrit qu'on s'imagine sans problème la scène dans notre tête, la batterie reprenant le motif rythmique d'une locomotive. Non franchement, conceptuellement parlant, ils bossent chez Defeater, en tout cas au moins autant que leurs potes de « The Wave » qui s'en tirent tous très bien à ce niveau. Mine de rien, ce n'est pas si courant quand un concept est si important pour apprécier l'univers d'un groupe et c'est ici parfaitement le cas puisque c'est très réussi.
Musicalement, Defeater a des troubles de la personnalité, du genre bipolaire voire carrément schizophrène. Il suffit de prendre « Blessed Burden » comme exemple qui démarre sur les chapeaux de roue, riffing Hardcore et matraquage de batterie inclus avant de finalement dériver sur un riff beau à en pleurer et limite fleur-bleue. Singulier mais franchement accrocheur puisque le choc des deux univers musicaux qui se rencontrent au sein de chaque titre fait le sel de ce « Travels » en tout point remarquable. Parfois chaotique (« Forgiver, Forgetter » sur sa première partie), parfois post-quelque-chose (« Cowardice », long titre final en forme de conclusion et de transition pour la suite) et parfois carrément louche (« Prophet In Plain Clothes » et son final comprenant deux minutes et des bananes de folk acoustique surprenant, certes, mais seyant à l'ambiance comme la mini-jupe en faux cuir rouge convient à la prostituée sur le retour), Defeater mixe les univers sans trop se soucier du qu'en diras-t-on. On citera aussi « The City By Dawn », chargé dès le début d'un riff presque New-York-Hardcore ralentissant progressivement pour se métamorphoser en décharge brute de puissante tristesse.
C'est clair que nos lascars du jour ont le sens du riff et savent en plus le placer au moment adéquat mais pas seulement. Celui qui fait forte impression c'est le vocaliste Derek Archambault qui a la capacité d'animer son texte comme s'il était dans un petit Théâtre Hardcore. Tantôt habité, tantôt confiné, tantôt débitant des paroles aux allures de déclarations solennelles, le brave homme se livre à cent pour cent, permettant au passage de sublimer les compositions et d'y apporter une grosse touche de subtilité. Chaque mot semble être raccroché aux notes, rendant le tout encore plus prenant. Et en plus, il s'adjoint l'aide du vocaliste de Verse pour injecter la juste dose de fragilité comme on le voit sur cette fameuse interlude Dylanienne. Je peux légitimement lui tirer mon chapeau puisque sans lui, cette première livraison du combo ne serait qu'un très bon disque et pas un album culte comme c'est le cas aujourd'hui.
Parce que oui, « Travels » est culte. Non seulement pour le retentissement qu'il a eu partout et pour le nombre de groupes qu'il a inspiré mais surtout parce qu'il est au plus près de l'humain, de sa sensibilité et, fait peu commun, de son passé. Là où les autres définissent des émotions présentes à un instant T, Defeater fait la même chose en prenant en compte les traumatismes anciens, les blessures enfouies et les souvenirs de l'enfance. Au travers de son concept, Defeater développe ses personnages, leur offrant une psychologie et donc une proximité évidente pour l'auditeur qui s'attacherait presque aux déambulations de ces êtres fictifs. Bien sûr, la musique est étudiée pour correspondre au mieux et même s'il rentre dedans, l'album ne néglige jamais l'ambiance au profit d'une efficacité basique, privilégiant les petits chemins sinueux aux autoroutes mélodiques.
Il n'y a finalement aucun hasard en ce qui concerne le fait que Defeater occupe aujourd'hui cette place de leader du Hardcore Mélodique quand on analyse un peu la tonne de travail présente sur ce « Travels », tant en terme de nouveautés musicales que de conceptualisation tenant la route de A à Z. Ce premier disque de Bostoniens est tout simplement parmi ce qui se fait de mieux dans le genre, captivant son auditeur à chaque écoute et l'incitant à appuyer sur « Play », encore, encore et encore.
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