Retour en arrière, à mes premiers écrits. Le chroniqueur aime la facilité, rechigne à se casser la tête plus d'une semaine sur un disque qu'il aime, mais sur lequel il ne parvient pas à pondre le moindre papier. Le Black Metal brutal et glacial que l'on connaît tous, et auquel nous vouons un amour sans limites malgré le kitsch qu'il transpire par tous les pores, reste un genre relativement facile à appréhender et à critiquer. C'est pourquoi l'auditeur exigeant, couplé au chroniqueur avide de défis, recherche l'exception, le disque qui arrivera à chambouler les codes et les conceptions d'un genre croupissant. Ce sont ces exceptions que je recherche avec acharnement, le genre "classique" restant appréciable mais tournant bien trop en rond - au risque, malheureusement, de rester bloqué sur un album qui me donne du fil à retordre. L'une de ces exceptions est bel et bien ce disque de Leviathan, l'un des parrains du Black Metal américain. Car si sa discographie reste ancrée dans un genre assez "classique", Wrest parvient à y insuffler suffisamment de "nouveauté" pour le transcender. "True Traitor, True Whore" est un
challenge.
C'est un concours de circonstances qui m'a amené à me repencher avec attention sur la discographie plutôt fournie de Wrest. Tout d'abord, l'annonce de la sortie imminente de
"Scar-Sighted", nouvel opus attendu au tournant, dont l'unique extrait disponible sonne comme la synthèse parfaite des expérimentations de ce "True Traitor, True Whore" et du Black Metal plus "classique" que l'on se prenait en pleine gueule sur
"Massive Conspiracy Against All Life". Plus encore que la couverture de Decibel dévoilée cette semaine (et qui aura eu le mérite de faire chier les nombreux
métalols qui pullulent sur la toile), c'est le contexte dans lequel "True Traitor, True Whore" a été conceptualisé et enregistré qui lui confère une grande partie de son aura. J'apprenais à l'époque de la sortie de l'opus, par l'intermédiaire de rumeurs et messages postés sur de nombreux forums, que le bonhomme, avait apparemment violé son ex-petite amie avec un pistolet à tatouage ("tatouer un con" est une expression qui prendra toute son ampleur dans ce contexte), et avait fait de la prison. Au vu du résultat de l'équation "Vark Vikernes" plus "Isolement" multiplié par "20 ans", la peur d'un album complètement raté de la part d'un homme qui, jusqu'à présent, ne m'avait jamais déçu, finit par pointer le bout de son nez.
Qu'importent les ragots, la vérité est ailleurs. Même si, ne nous leurrons pas, nous aimons les musiciens quand leur capital
thug atteint des sommets. De ce côté-ci, avec cet épisode hallucinant, Wrest s'est inscrit dans l'histoire. Je n'avais de toutes façons rien à perdre à découvrir ou Wrest voulait nous emmener. J'ai pris le risque, et bien fait, puisqu'il reste encore une valeur sûre, de passage sur ma platine assez régulièrement.
La production est, comme pour son précédent full-length à l'époque
"Massive Conspiracy Against All Life", excellente. Un travail colossal a été fait sur le grain des guitares, très dissonantes, et en particulier sur le son de la batterie, qui résonne de manière très organique, naturelle (cette caisse claire me fout encore la chair de poule), le tout suffisamment bien mixé pour qu'on discerne chaque instrument, et plus particulièrement les nombreuses nappes de claviers et de sons informatiques, qui viennent apporter la touche glaciale qui fait toute la force du brûlot dont nous parlons. La voix de Wrest a légèrement évolué, comparativement à ses précédentes réalisations :
exit le chant Black Metal classique et racé. Ici, le bougre bougonne, marmonne, et grogne avec force ses invectives grossières et abjectes à la face de l'auditeur, plus en maître de cérémonie grinçante qu'en âme torturée.
"True Traitor, True Whore" reste, à mon sens, à la fois le travail le plus et le moins personnel de Wrest. Le plus, car il touche au vécu de son géniteur, sonne comme un cri de haine, un appel au meurtre et raconte véritablement un calvaire. Le moins, car musicalement, le spectre de Deathspell Omega plane tout au long de l'album. Ces rythmes de batterie décousus, ces roulements interminables, ces guitares plaintives et maladives sont tout droit tirées d'un "Fas-Ite, Maledicti, in Ignem Aeternum" ou plus récemment de "Paracletus". C'est ce petit paradoxe qui rend l'album aussi prenant et casse-tête. Pour rester dans les thématiques bibliques si chères à nos compatriotes orthodoxes, "True Traitor, True Whore" est un chemin de croix en huit stations.
L'homme nous plonge la tête dans la mare, directement dans l'ambiance avec "True Whorror", qui démarre sur des grognements sourds de Wrest, un larsen de guitare qui monte en puissance, avant de s'emballer sur des riffs que rien ne relie, sans réelle structure apparente. Et pourtant, la machine roule sans problème, huilée au sang et à l'encre sous-cutanée. On remarquera que le jeu de batterie de Wrest s'est affiné, les ghost-notes et autres nuances étant très présentes tout au long de la piste, et plus généralement de l'album. Et surtout, les blast-beats inhérents au genre ne sont que rarement de la partie. Le clavier fait son apparition, avec des gémissements effrayants, pour mieux vous happer. Car rien ne vous fera décrocher de ce disque avant sa fin. Que ce soit "Brought up to the Bottom" et sa batterie surpuissante, que couronne des notes cristallines de clavier, complètement dénaturées, rendues démentes par cette espèce d'alarme incendie qui hurle en fond de composition. Les amateurs de contretemps trouveront de quoi se mettre sous la dent avec un titre comme "Harlot Rises", un des brûlots les plus efficaces de ce "True Traitor, True Whore", où la batterie joue un rythme très, très casse-gueule en milieu de titre et, chose surprenante, complètement dans le tempo. Pistes variées, comme par exemple ce "Contrary Pulse", pièce très atmosphérique de par un son profond et résonnant dans le lointain, sonnant comme un Wolves in the Throne Room drogué à l'héroïne et en pleine descente. Vous êtes déjà sur le carreau ? "Every Orifice Yawning Her Price", dont le titre laisse rêveur, saura vous satisfaire, avec une rythmique très carrée et puissante, et toujours ces nappes de sons synthétiques, aussi froids que malsains, qui viennent vous happer pour ne plus vous relâcher.
Je me souviens de la découverte de ce disque, à l'époque. Je l'ai saigné, sans pause, pendant des journées entières, trouvant toujours quelque chose de nouveau à me mettre sous la dent, chaque écoute apportait une nouvelle variation nauséeuse, un nouveau détail qui venait me replonger la tête dans le seau. Il en aura fallu, des séances dans le noir, et des douches pour me débarrasser de la crasse qui suintait de mes enceintes et me collait à la peau.
L'atmosphère véhiculée par ce "True Traitor, True Whore" est impressionnante, à mi-chemin entre un Gnaw Their Tongues putride et immoral et un DsO oppressant au possible. Parfois complétement bruitiste et dénué de structure (la fin du titre "Every Orifice..." par exemple), Leviathan n'a rien perdu de sa fougue, et le Leviathan violent et méchant des débuts a laissé la place à une créature moins frontale, et beaucoup plus vicieuse. Trois ans après, l'album a très bien supporté le poids des écoutes successives et reste toujours aussi puissant, un fix de brou de noix, une intraveineuse de noirceur brute que l'on s'injecte avec plaisir une fois de temps en temps.
A redécouvrir avec plaisir en attendant la sortie, en Mars prochain, de
"Scar-Sighted", qui trônera sans aucun doute parmi les meilleures sorties de cette année.
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