Panopticon - Autumn Eternal
Chronique
Panopticon Autumn Eternal
Il y a très longtemps que je ne suis pas tombé sur un album qui m'a aussitôt donné envie, à son écoute, de partir crapahuter dans les bois, grimper sur le plus haut point possible du relief Auvergnat (oui, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a sous la main) et me laisser porter par le panorama. Depuis le fabuleux "Autumn Aurora" de Drudkh, en fait, découvert sur le tard et qui m'aura accompagné dans d'innombrables randonnées. Puisque la saison s'y prête bien, c'est assez innocemment que j'ai posé l'oreille sur le dernier né de Panopticon, "Autumn Eternal". Si les qualités du one-man band du Kentucky étaient pour moi certaines, rien ne me préparait cependant à la baffe prise durant l'heure que dure ce disque. Puisque c'est la première fois que le groupe trouve une place sur Thrashocore, accordons nous un instant pour en faire la présentation.
Tirant son nom du fameux modèle de prison développé par les frères Bentham, Panopticon évolue dans un univers bien à lui. Austin Lunn, fier et barbu gaillard, manipule une imagerie que l'on avait plutôt l'habitude de voir chez les crampés du bras droit : salade de runes, décorum de symboles solaires et païens, le tout sur fond d'une nature aussi sauvage qu'impressionnante. Nous aurions pu nous retrouver face à une énième tentative de Black Metal à flûtiaux contant de glorieuses batailles imaginaires et autres parties fines à base d'elfes et d'orques, mais il n'en est rien. Là ou Panopticon est particulièrement intéressant, c'est qu'il s'inscrit dans la continuité du discours des groupes de Cascadian Black Metal, en étoffant son propos. Là ou un groupe comme Alda souhaite purement et simplement la disparition de l'espèce humaine pour que la nature reprenne ses droits, Austin Lunn adopte un discours beaucoup plus social et humaniste. Comme il le décrit lui-même :
"[...] Panopticon se concentre sur des idées politiques et philosophiques, telles l'anarchisme, l'objectivisme, le paganisme [...] J'ai créé ce projet car j'étais fatigué d'entendre partout de la musique commerciale, apolitique et ennuyeuse, fatigué du satanisme éventé et des conneries racistes qui gangrènent la scène Black Metal."
Si le postulat de départ est clair, Lunn devait encore faire ses preuves, ne pas passer pour une simple grande gueule- ou le type de personne que les Blackists appellent avec mépris les "crasseux". Qu'on se rassure, le barbu prouve que sortir un album par an n'est pas gage de médiocrité ou d'empilement de clichés, car chacune de ses oeuvres (même les moins convaincantes) comportent de sacrées pépites. Seul derrière la majeure partie des instruments, guitariste phénoménal et batteur plus qu'impressionnant, Austin Lunn vient clore, avec "Autumn Eternal", une trilogie d'albums amorcée par le très bon "Kentucky", brûlot social traitant de la condition des mineurs, et poursuivie par un "Road to the North", album personnel et multi-chromatique ou le folk se mêlait à merveille aux parties plus incisives.
"Autumn Eternal" est long, comme à l'habitude de Panopticon (chacune de ses productions dépasse les 50 minutes). S'attendre à un énième disque où le même riff est étiré sur un quart-d'heure serait mal connaître le combo. Austin Lunn s'est fait spécialiste du mélange d'instruments de natifs américains, de parties bluegrass empruntées aux fins-fonds des villages de rednecks, et d'un Black Metal tantôt féroce (c'est un excellent batteur), tantôt beaucoup plus posé et contemplatif. Si le mélange sonne un peu bâtard, voire casse-gueule, sur papier, il est plus que convaincant à l'écoute.
L'album débute ainsi sur une introduction folklorique efficace bien que classique, qui pose les bases du voyage qu'effectuera l'auditeur. S'étant entouré de John Becker et Nostarion (Dämmerfarben) respectivement au violon et violoncelle, Lunn réussit à donner à "Tamarack's Gold Returns" une teinte mélancolique et apaisante (et ce malgré un banjo qui, bien qu'assez discret, fait parfois sourire). Un repos de courte durée puisque l'album démarre réellement sur "Into the North Woods", riffing furieux porté par une double pédale carrée et efficace, qui s'enchaîne sur un enchaînement de mid-tempos ravageurs et de blast-beats affolants de précision. On retrouve toujours ces parties typiques du groupe, ou la guitare principale se perd dans des arpèges aux échos déchirants, soutenus par la voix, étouffée mais reconnaissable de Lunn, qui apporte un supplément d'âme à une composition déjà très efficace - et variée ! Le titre s'efface sur une caisse claire martiale et des claviers effacés, une cloche qui oscille entre la veillée funèbre et le perron d'une église un jour de mariage. "Autumn Eternal" est une perle d'atmosphères et d'ambiances. Le morceau titre, qui voit s'empiler plusieurs couches de guitares fantomatiques donnant de la consistance à la masse sonore, prouve la maîtrise technique d'Austin Lunn, jonglant avec ses baguettes sur les cymbales, se répandant en ghost-notes et en croches, pour terminer sur un blast et des tremolo pickings qui accompagnent un crescendo, un embrasement final qui met à genoux l'auditeur.
L'album entier est à l'image de ces trois premiers titres, une succession d'instants de grâce pure et simple et de passages plus "typiques" du genre, d'instants presque funèbres (la fin de "Oaks Ablaze" et ses roulements de toms recouverts par une basse qui gronde délicieusement), de parties presque expérimentales (ce blast seul, complètement nu, à peine porté par un clavier aquatique sur "Sleep to the Sound of the Waves Crashing) et de moments purement jouissifs pour ceux qui, comme moi, aiment quand ça joue simplement vite et bien ("Pale Ghosts" est une merveille de Black Metal habité). "Autumn Eternal" prend parfois des teintes très post-rock, dans cette façon qu'il a, au travers de quelques simples notes, de nous faire ressentir mélancolie et beauté ("A Superior Lament"). Dans son utilisation (meilleure que sur "Kentucky") des instruments folkloriques, qui ne viennent plus prendre toute la place dans le mixage, tout comme dans son recours aux claviers, utilisés moins comme instruments mélodiques que pour donner plus de solidité et de consistance aux titres de l'album. Déchirant jusqu'au bout, "Autumn Eternal" se clôt sur "The Winds Farewell", batterie lourde, cymbales abrasives, guitares presque dramatiques dans leurs teintes. Blast-beat simple mais efficace, larsen qui court sur les dernières secondes : Merci messieurs-dames, et à bientôt.
Le discours de Lunn m'est particulièrement sympathique. S'il s'est attiré les foudres d'une grande partie de la scène Black Metal pour celui-ci, il n'a eu aucun mal, par son imagination et son talent, à leur rabattre le caquet. Panopticon, avec ses positions gauchistes parfois un peu caricaturales, fait et fera toujours mieux que ces centaines de groupes qui peinent à aligner trois riffs et inondent les distros avec leurs torchons limités à 88 copies. Ce dernier album de Lunn est la preuve, en une heure et huit titres, que sortir un album par an n'est pas synonyme de travail mal fait. Merveille de rêverie, de créativité, d'influences bien digérées et de mélange des genres, "Autumn Eternal" est une ode à la nature, à la mélancolie et à la beauté du spleen, le développement d'un imaginaire déjà riche. Lunn catapulte son dernier-né au sommet.
Album de l'année. Ni plus, ni moins.
| Sagamore 11 Novembre 2015 - 2539 lectures |
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