"If the music is loud we won't hear the sound of the world falling apart."
No Omega. Derrière ce nom aussi sibyllin que clicheton, ce logo énigmatique se cache un quartet Suédois, formé à Stockholm au cours de l'année 2010. Encore un coup de coeur, et une découverte dus au hasard de mes errances sur internet. En voyant les clichés promotionnels et autres photographies du groupe, j'avoue avoir été assez sceptique quant à la qualité annoncée de leur second méfait, sobrement intitulé "Shame", sorti chez Throatruiner il y a maintenant deux ans. En temps normal, j'ai tendance à lever les bras au ciel et dire "Amen" à chaque nouvelle signature du label, tant (presque) rien n'est à jeter dans leur catalogue. Mais cette fois ci, une certaine "appréhension" était présente. Ces musiciens, au moins aussi jeunes que moi, fringués aussi approximativement, étaient-ils capables de tenir les planches ? Si l'adage dit que l'habit ne fait pas le moine, je voyais difficilement ces quatre Suédois mettre toute la rage et l'énergie que nous vantaient la description de 'Shame". Et pourtant... L'album dont nous parlons aujourd'hui aura réussi à la fois à marquer l'année 2013 de son sceau, à affiner un son et un style un peu hésitants depuis l'EP "Metropolis", et enfin, à mettre tout le monde d'accord. Quine gagnante.
No Omega évolue dans un registre bien à lui, en phase avec les exigences de l'écurie française : ainsi, "Shame" est une pièce très dense qui nécessite plusieurs écoutes pour être apprivoisée. L'artwork somptueux de Christian Brix (dont les travaux sont visibles sur son site Kids Artworks), responsable notamment du graphisme de "The Grand Inquisitor" (The Ocean) et "Dear, Liv Ivy" (Reason To Care), est dans la parfaite tonalité de l'album. Un enfant qui pleure, seul, des corps pendus en arrière-plan, tonalités grises, noirs profonds, le ton est donné, le décor de l'album est planté. "Shame" n'est définitivement pas un disque de Hardcore positif vantant les mérites d'une vie saine faite de musculation et de franche camaraderie.
No Omega mixe avec brio l'énergie du Hardcore le plus cru et le plus sombre, en le teintant avec des sonorités et tournures très mélancoliques, empruntées tant au Post-Metal qu'au Screamo. Et ce, sans négliger les parties plus "rentre-dedans", agrémentant quelques titres de passages blastés aussi compacts qu'impressionnants. Ces jeunes ont beau l'être, ils ont de la niaque à revendre, et plus important encore, le mordant, la force de frappe qui caractérisent les grands groupes du genre. Avec l'énergie du désespoir; "Shame" se débat dans le vide et nous entraîne dans sa chute.
Doués, donc, d'une maîtrise musicale indéniable, le quartet délivre des compositions bien construites et surtout diablement efficaces, balançant constamment entre tristesse insondable et sursauts d'une lourdeur jupitérienne. "Earth Stands Still" ouvre le bal avec une guitare mélancolique du plus bel effet, soulignée par un chant puissant, très correctement mixé, et heureusement : si la plume est somme toute assez quelconque, la voix qui les déclame apporte toute son ambiance à l'album. Andrez malmène ses cordes vocales, rugissant avec conviction. Les hurlements déchirants côtoient la hargne de parties vocales plus "classiques". Notons le travail effectué sur la production, avec un grain de guitare percutant et brumeux, une basse malheureusement mixée un peu trop en retrait (même si elle s'autorise quelques percées, comme sur l'excellent "Below"), mais une batterie qui martèle solidement le rythme de cette marche solitaire dans la ville. No Omega joue également sur la dualité des voix, chose flagrante sur "Vacants", où les deux se répondent sur une instrumentation rappelant diablement les pièces les plus obscures d'un groupe comme Pelican - ce duo aurait d'ailleurs mérité d'être un peu plus exploité. "Vacants", où comment un mid-tempo et quelques dissonances judicieusement placées arrivent à écraser l'auditeur sous un maelstrom de pensées négatives. Négatives comme "Below", évoqué plus haut, où le chanteur hurle ses versets désabusés ("Darkness comes...") sur une instrumentation aussi pesante que percutante.
Les sursauts énergiques dont je parlais consistent en d'innombrables accélérations significatives du tempo, pour des titres tels que les deux "Woodlands", qui pourraient faire penser à du Celeste, certes en moins monolithique (n'est pas une référence qui veut), où encore "Utopianist", où les breaks de batterie surpuissants (à s'en briser la nuque sur "Dirt Hands") et les crescendos successifs des guitares vous laisseront sur le carreau. Un titre qui se termine d'ailleurs sur une plage ambiante et déprimante du plus bel effet, rappelant aux aficionados des musiques électroniques et expérimentales le côté urbain et mélancolique d'un Burial. Un goût pour l'expérimentation et l'intégration d'éléments sonores nouveaux qui trouve également écho dans ce qui reste pour moi le sommet de "Shame", à savoir l'avant dernier titre, "A Man Reprieved", un bloc compact de regrets et une absence totale de lumière : comme si l'homme évoqué dans les paroles ne pouvait plus croire au monde qui l'entoure. "I must be dreaming." No Omega crache son désespoir avec énergie, car si les musiciens n'y croient plus, ils en profitent pour tout donner dans la dernière ligne droite - en témoignent cette guitare plaintive, crachant inlassablement les mêmes lignes, les même notes en fin de titre, et ces plages ambiantes simples mais Ô combien prenantes.
"Shame" est l'osmose parfaite entre le brise-nuque "bête et méchant" ("Enigma" et ses D-Beats complètement hystériques) et le disque d'ambiances, distillées tant par les paroles (certes un peu simplettes) que par la construction même des compositions. Oscillant autour de la demi-heure, que l'on ne voit pas passer, le quartet Suédois délivre un disque magnétique, d'une beauté, d'une rage peu communes. Ce dernier est et restera pour moi une valeur sûre, qui revient très régulièrement sur la platine. Une explosion sombre et dense, aussi courte qu'efficace, qui remet les idées bien en place. Définitivement, No Omega est un groupe à suivre de très près, constat confirmé par
"Occupants", sorti cette année, dont j'aurai l'occasion de vous parler sous peu.
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