Agrypnie - Aetas Cineris
Chronique
Agrypnie Aetas Cineris
Le metal nous ferait-il développer un goût pour la souffrance? C'est à se le demander quand on se surprend à réécouter encore et encore certains albums tellement exigeants qu'ils apparaissent comme de véritables casses-tête. Me viennent immédiatement à l'esprit les derniers Undersmile ou Monarch!, franchement difficiles à ingérer, qui te mettent la tête dans l'eau mais ont ce goût de reviens-y inexplicable. Tout ce préambule résolument inutile pour causer d'Agrypnie. Cinq gais lurons allemands, évoluant dans le registre du black metal, qui écrivent des albums correspondant exactement à ce même effet de souffrance initiale. Et dont la terminaison est finalement la même que les groupes pré-cités.
Agrypnie est donc l'une de ces formations demandant de longs efforts d'assimilation avant d'en saisir le propos. Les précédentes œuvres étaient déjà denses et brassaient de multiples influences, mais Aetas Cineris pousse cette formule à son paroxysme. La bête est instable, sournoise, et lunatique. Elle est à la fois ombre et lumière, et se revêt autant de l'espoir que du chagrin. Au travers de ces structures progressives et complexes, l'impression initiale qu'Agrypnie n'a pour seul fil conducteur que cette approche froide et clinique du black metal déroute l'auditeur. De quoi faire fuir de nombreuses oreilles égarées. On ne peut que comprendre cette réticence à vouloir dompter l'animal et retourner vers des sonorités plus sécurisantes ou familières mais il serait dommage de s'arrêter en si bon chemin car ce n'est qu'à la force des écoutes et à la persévérance que le propos des Allemands commence à s'apprécier.
L'entité est à deux visages, oscillant constamment dans un clair-obscur surprenant. Plutôt que de se laisser aller à ses instincts de destruction, Agrypnie tempère ses humeurs par de nombreux breaks et sonorités ambiantes. Comme s'ils regardaient le fond du ravin dans une éternelle contemplation, sans jamais se jeter dans le vide. Ces cassures sont pourtant savamment intégrées, comme sur « Dezember » ou « Erwachen », et offrent une respiration bienvenue dans l'univers oppressant d'Aetas Cineris. Cette façon de procéder serait presque entièrement couronnée de succès si l'instrumentale de milieu de course « Kosmos » n'était pas pourvue de longueurs gênantes. Le final « Asche » est bien mieux dosé de ce côté, et la partie metal en bout de titre assène le coup de grâce.
Qu'est-ce qui donne autant d'arguments à Agrypnie pour se prétendre comme l'un des meilleurs groupes actuels du genre? Plein de choses, en vérité. Déjà, les Allemands cultivent cette science du riff percutant. LE riff qui s'incruste dans l'esprit et qui ne te quitte plus, qu'importe la durée du morceau. L'excellente « Trümmer », sournoisement placée en début de parcours, parvient à accrocher grâce à sa mélodie soigneusement ficelée mais aussi – et surtout – grâce à cette ambiance construite via la guitare. Même combat sur « Gnōsis » et « Sinnflut », plus entêtantes qu'elles n'y paraissent. La fluidité d'Aetas Cineris joue également en sa faveur, dans un esprit de cohérence qui se fait de plus en plus apparent au fil des écoutes. En sus, le chant écorché et expressif de Torsten offre une réelle identité aux Allemands, qui possèdent une empreinte sonore reconnaissable entre milles.
A force de persévérance, les ambiances gagnent en saveur. Cela dit, si vous n'êtes pas familier avec l'univers d'Agrypnie, il est préférable de commencer par le reste de la discographie, plus facile d'accès. Le black moderne des Allemands n'est ni accueillant, ni chaleureux. C'est peut-être ce qui lui confère une aura caractéristique, finalement. Les musiciens n'ont aucune intention d'aseptiser leur propos, de se laisser aller à du déjà entendu et parviennent à constamment faire évoluer leur musique. En cela, Aetas Cineris est digne de respect.
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