Si vous êtes amateurs de Black Metal chevronnés, vous ne devez avoir aucun mal à reconnaître l'intérêt du Split-Album. Bon nombre de ces sorties au format atypique se sont révélés être des classiques, parfois même plus que certains full-lenght de leurs géniteurs. On citera en exemple le fameux Split culte réunissant Vlad Tepes et Belkètre pour un résultat dantesque (rahhh, « Night Of Sadness ») où encore la monstrueuse collaboration entre
Deathspell Omega et
S.V.E.S.T. S'il semble parfois composé de chutes de studio (Sargeist / Horned Almighty, par exemple fait franchement office de second couteau) ou encore rempli de face B ressorties à toutes les sauces (
le récent Split Satanic Warmaster / Archgoat en est une bonne illustration), force est de constater que le résultat est parfois excessivement intéressant, surtout quand les groupes prenant part au projet sont sur la même longueur d'ondes.
Difficile de nier le potentiel musical dévastateur de cette doublette Tukaaria / Odz Manouk, à ranger entre « March To The Black Holocaust », « From The Entrails To The Dirt » et « Crushing The Holy Trinity ». Oui, monsieur, on en est là. Et pour cause, ces cinq morceaux sont du même moule que ceux dont on fait les légendes. C'est d'ailleurs finalement assez logique si l'on réfléchit à l'alchimie évidente entre les deux formations, toutes deux affiliées au Black Twilight Circle, également connu sous le nom de Crepusculo Negro pour les hispanophones. Et même si la guerre semble déclarée entre toutes ces formations opaques (Volahn, Arizmenda ou encore BHL dont nous reparlerons ici...), on doit tout de même leur rendre ce qui leur revient : un nombre de sorties de qualité assez affolant.
Tukaaria
Tukaaria est un des nombreux projets de A. aka monsieur Rhinocervs, Glossoalia et gérant du label Rhinocervs, aux côtés de Yagian qui n'est autre que le seul et unique membre d'Odz Manouk. Oui, le monde est toujours très petit lorsqu'on parle de Black Metal mais c'est peut-être aussi ce qui explique la parfaite entente des deux groupes sur ces cinq morceaux. On démarrera donc ces trente minutes de musique par « Mythology » qui attaque à fond les bananes avec un hurlement estampillé « à l'ancienne », des riffs tournoyants bien que relativement directs et une production qui nous rappelle les meilleures heures des Légions Noires.
Mais plutôt que de répéter encore une fois le patronyme du groupuscule Français, je rapprocherais plutôt ces trois pistes d'un S.V.E.S.T, notamment à cause de cette basse en fuzz omniprésente qui crible les morceaux d'une grosse dose de groove. Difficile de reprocher quoique ce soit au one-man-band sur ces quinze minutes sincèrement exemplaires. On est véritablement sur du pur Black Metal qui rappelle les prémices du genre : la sincérité exacerbé, la rage juvénile et la folie mélodique noyée sous les couches de distorsion. C'est clairement un Austin Delgadillo en état de grâce méso-américaine qui grattouille ses cordes et enquille les riffs au goût d'absolu comme on enchaîne les digressions plaisantes dans une nouvelle de Gérard de Nerval.
Il se paye d'ailleurs le luxe d'étayer son désordre mental en apposant sur quelques courts passages des chœurs fantomatiques (« Suspensions »), faisant offices de portes d'entrées vers les sphères les plus sacrées. Et même si ces trois pistes sont enregistrées avec la qualité d'un radiocassette premier prix, il faut bien avouer que tout cela paraît sérieusement travaillé, jusque dans le choix des sonorités aussi abruptes soient-elles. On sortira franchement lessivé de « Memory Of An Extinct Race », touchant de par ses notes maladives, délayées pendant plus de cinq minutes dans une masse informe, occulte et pourtant généreusement aspergée d'une beauté primitive (2.40 min.). Imbattable.
Odz Manouk
Alors qu'on est encore un peu sonnés par ce que vient de se passer, Odz Manouk prend la relève avec un production qui pulvérise nos tympans déjà bien dépoussiérés à la truelle par Tukaaria. « The Scavanger » a de sérieux arguments pour prétendre au titre de « meilleure composition de la galette », à commencer par ses errances psychédéliques hallucinées, disposées un peu au hasard tout au long des six minutes trente de la piste. Plus résonnant, plus rythmique et nettement moins organique, la sonorité d'Odz Manouk offre un côté râpeux qui n'est pas sans rappeler pour ma part la démarche « totale » d'un Hate Forest. Attention, je ne dis pas que ça ressemble, je précise juste que les deux formations ont en commun ce goût de l’extrémisme, du monolithique mis en musique.
C'est surtout pour son apport mélodique différent de Tukaaria qu'Odz Manouk se fait remarquer, lui qui alterne consciencieusement entre passages d'une rare opacité et envolées célestes dantesques (3.25 sur « The Scavenger », splendide). Le savant cocktail entre digressions mentales stridentes (les harmoniques sifflées), ralentissements d'une lourdeur incomparable et pourtant intimement mélancolique (le final du premier titre ou du second, de toute manière les deux sont massifs...) et décharge de blasts-beats monstrueusement agressifs est incontestable le point fort de ces deux morceaux. « The Sloth » qui clôt la cassette possède d'ailleurs le pouvoir mystérieux qui lui permet de connaître le secret ancestral du retournement de cerveau à l'intérieur de la boîte crânienne. On n'en sort pas indemne, c'est moi qui vous le dit. Le pire dans tout cela étant que cette irrésistible envie d'y retourner très vite se fait sentir dès les dernières notes. Sûrement dans l'espoir d'essayer de comprendre ce qui s'est passé pendant cette demi-heure énigmatique mais ô combien révélatrice de talents.
Comme sous-entendu plus haut, ce Split est probablement un des meilleurs qu'il m'ait été donné d'écouter dans ma (courte) vie. Il n'y a rien a reprocher dans les morceaux, la production est absolument parfaite et – plus fort encore – on sent que les deux formations partagent le même amour des atmosphères mystiques, torturées et nostalgiques. Tukaaria / Odz Manouk est à l'image de la prose de Maupassant, simple mais pas simpliste. On adhère dès les premières secondes mais cela ne nous empêche pas de creuser plus en profondeur par la suite et de découvrir toutes les subtilités de ces cinq morceaux d'anthologie
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