Étant donné le nombre de gens qui trouvent que Deathspell Omega est prétentieux, on va tout de suite commencer par expliciter le titre de ce fameux MCD. La Kénose, c'est en fin de compte la théologie du dépouillement et de l’abaissement de Dieu, qui – par amour – extrait de sa personne spirituelle des notions comme la toute-puissance, l'omniscience, la gloire, etc... Par la suite, on peut définir plusieurs types de théologies de la Kénose. Par exemple, si Dieu n'est qu'Amour, alors les attributs de Dieu ne sont, eux-aussi, qu'Amour. Ou encore, Dieu étant fragile et désarmé, c'est bien pour cela qu'il avoue son impuissance à lutter face au mal. Il y a de quoi faire un très bel argumentaire à vos amis qui diront : « Ben si Dieu il existe, il est con parce qu'il s'en fout de la guerre ». Vous pourrez alors dire : « Mais cher ami, la théologie liée à la notion de Kénose de la création a prouvé le contraire car, vois-tu, Dieu est impuissant puisqu'il s'est débarrassé de sa condition divine pour ne garder en lui que l'Amour comme absolu ». M'est avis que c'est ce sujet qui a particulièrement intéressé notre trio fantôme, quand bien même on pourrait également parler de la version acte de donner, en opposition au don de soi. Puisque Deathspell a pour habitude de se ré-approprier des codes pour en offrir une seconde interprétation (rappelez-vous du « requiris » ornant la cathédrale St-Paul légèrement modifié en « requires »), on pourrait se demander si le concept ne serait pas le renoncement de Satan à ses attributs, pour se concentrer uniquement sur le Mal absolu. Où encore sur une perpétuelle lutte d'impuissance avec Dieu. Bref, de quoi fantasmer un bon moment...
Maintenant que les fans de Death Metal sont partis lire une chronique où l'on parle de filles nues et de tronçonneuses (bouuh, le prétentieux... mais non, rassurez-vous, je blague), on peut donc attaquer les choses sérieuses. Oui, parce les choses sont sérieuses et l'on est d'ailleurs prévenus dès l’entame du livret, avec une citation du livre d'Isaïe qui nous dit texto : « Si tu ne crois pas, tu ne comprends pas » - une citation que Manuel Valls pour qui « expliquer, c'est déjà excuser » devrait peut-être se remémorer -, de quoi calmer les ardeurs des plus fervents défenseurs de l'anti-théisme. Trois morceaux donc, respectivement intitulés I, II et III auquel on pourra toujours apporter une lecture trinitaire, ce qui me semble finalement assez logique, si tout ceci concerne la Kénôse de la Trinité, celle là donc où Dieu s'efface sciemment pour enfanter des créatures, ces créatures étant ici éventuellement symbolisées par les créations artistiques de leurs géniteurs. Tout ceci est donc servi avec un livret qui ressemble presque à un roman tant il est fouillé, complet et grouille de notions théologiques qui feront plaisir aux férus de lectures du type.
Discographiquement parlant, « Kénôse » prend place entre la révélation
« Si Monumentum Requires, Circumspice » et la déconstruction «
Fas (Ite, Maledicti, In Ignem Aeternum) ». On peut donc articuler musicalement comme théoriquement « Kénôse » comme un pilier argumentatif, une transition sur laquelle s'appuyer pour expliquer le changement de ton entre ces deux albums. Et d'ailleurs, on se tient franchement à ce point de vue en écoutant les trois morceaux qui composent cet EP, puisqu'ils montrent des similitudes avec leur prédécesseur (accalmies, mid-tempos, riffing mélodique rappelant à notre bon souvenir un « Sola Fide I » sur « III ») ainsi qu'avec leur successeur (accélérations, déconstructions, inspirations Math-Rock-Core sur le final de « II », musique parfois savante et/ou bruitiste...). Deathspell Omega poursuit donc son évolution en l'axant sur une complexité musicale accrue mais toutefois pas amputée de quelques bribes de Black Metal plus « traditionnel ». Malgré tout, « Kénôse » est tout de même à interpréter comme l’œuvre de la rupture, Deathspell Omega s’enfonçant ici dans des eaux troubles, poisseuses, surréalistes et parfois confuses dont il ne ressortira que sur
« Paracletus ». Il n'y a qu'à écouter le dernier morceau et ses sept minutes finales, oscillant entre pianos dissonants, riffings tordus et percussions rituelles du meilleur effet. Encore loin de la clarté, perdu dans des questionnements musicaux flous, pouvant même parfois sembler absurdes, le trio mystérieux erre dans des sphères où l'occulte joint les mains vers le ciel, où le sacré implore les corps calcinés. Une forme de balancement musical perpétuel entre beauté et horreur qui poursuit en quelque sorte la sempiternelle exploration mentale de la formation. Entre renoncement personnel, abandon de soi dans la quête d'un absolu qui semble si inatteignable et sursauts de Foi portés en moteurs de la recherche d'un Dieu qui semble si loin et pourtant si inhérent à l'espèce humaine.
En ces temps de chute intellectuelle de la spiritualité, « Kénôse » est un manifeste du théisme de plus à ajouter à la discographie des poitevins, qui mérite d'autant plus d'être savouré puisque nous savons désormais avec le recul que Deathspell Omega, aussi copié est-il, n'a pourtant jamais été égalé.
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