Cantique Lépreux - Cendres Célestes
Chronique
Cantique Lépreux Cendres Célestes
Les amoureux et amoureuses de la scène black metal québécoise doivent jubiler. Cette année s'annonce en effet fort riche avec entre autres la sortie du nouvel album de Sorcier Des Glaces (et le split avec les Français de Ende à venir) ainsi que ceux à paraître de Neige et Noirceur (avec également un split partagé avec le one-man band Lyonnais Daughters of Sophia) et de Forteresse, sans compter, donc, ce premier long-format de Cantique Lépreux. Autant dire du lourd ! Fraîchement formé en 2014 et regroupant des musiciens évoluant dans des formations telles que Chasse-Galerie, Mêlée des Aurore et Au-delà des Ruines, ce trio aguerri a su prendre son temps afin de délivrer sans préambule sa première œuvre. Révélant dès août 2015 l'artwork tant élégant que spectral de Cendres Célestes, la formation va distiller avec parcimonie des extraits (« La Meute » et « Tourments des limbes glacials ») très prometteurs afin de tenir en haleine et d'engranger de nouveaux fans. Ayant cherché en vain la cassette qui devait voir (a vu ?!) le jour en septembre 2015 et étant de plus en plus sceptique, les annonces officielles publiées par le groupe durant les premiers mois de 2016 m'ont rapidement rassurée : l'album sortira finalement (en format CD et digital) le 18 mars via la fameuse structure allemande Eisenwald Tonschmiede (Fluisteraars, Uada, Csejthe ou encore Grimoire). De quoi faire monter la tension d'un cran !
Une photo très épurée de paysage – renvoyant à moult groupes officiant dans ce style – d'où semble s'élever un ectoplasme (et prise par Blanc Feu), deux morceaux poignants dont les riffs mélodieux vous rappellent aux bons souvenirs de certaines entités québécoises : tout portait à croire que l'on se trouvait là en présence d'un bon album à paraître mais sans grandes surprises. Pourtant une fois le bel objet placé entre les mains et ses deux titres replacés dans leur contexte une toute autre vision s'offre à vous, faisant voler en éclat ces premières observations. Car malgré cet air de déjà-vu ou déjà entendu, l'univers de Cantique Lépreux revêt un éclat particulier à l'image de l'artwork. Que ce soit l'aspect irréel de l'ensemble ou encore ce blanc prédominant et incandescent qui, telle la réverbération du soleil sur la neige, vous consume à petit feu. Cendres Célestes est à double tranchant, à la fois éblouissant et dévastateur, vous plongeant au cœur d'une nature sauvage malmenée par les éléments naturels comme sur, notamment, « Le Froid Lépreux » mais aussi le glaçant « Le mangeur d'os ». Un petit recueil de contes anciens à narrer le soir au coin du feu laissant exhaler un fort sentiment de désolation et de souffrance, où chaque histoire vous mine un peu plus comme le fataliste « Transis » :
Oblitérés par la blancheur
Il n'est pas certain
Que nous renaissions.
La voix autant arrachée qu'expressive de Blanc Feu, déclamant – de façon très intelligible – les textes en français, renforce le propos du groupe et magnifie ce long format. Cet élément, parmi d'autres, se dévoile et se savoure au fil des écoutes, apportant une lumière singulière aux compositions du groupe, le sentencieux côtoyant le soyeux et la rage coexistant avec la mélancolie.
En effet, malgré la gravité des textes, les émotions affluent par vagues contrebalançant avec cet abattement permanent. La musique va également mettre en relief ce paradoxe grâce à un subtil mélange de ce que le metal noir québécois a su apporter de mieux et étendant ainsi son pouvoir de séduction au gré des minutes. Les musiciens peignent leur décor à grands coups de riffs majestueux et poignants – digne de Forteresse – tour à tour jouissifs (« Transis ») puis ensorcelants, comme sur « La Meute ». Difficile de se défaire de certains airs s’immisçant insidieusement dans vos crânes pour ne jamais en sortir, vous prenant même à les fredonner (particulièrement « Le froid lépreux » et « La Meute »). L'ambiance instaurée par Cantique Lépreux vient parfaire le tout avec ses teintes argentées donnant une aura particulière et ce dès l'introduction instrumentale des plus spectrales. Un aspect fantastique qui ponctue cette œuvre grâce à des lignes de guitares plus éthérées (sur le sublime « Tourments des limbes glacials ») ainsi que le contenu de certaines histoires (« Le mangeur d'os », titre le plus noir, étant un bel exemple). D'où une frontière entre réel et irréel difficilement discernable, Cendres Célestes semblant prendre corps sur un folklore antédiluvien nimbé de surnaturel. La production organique – lisible et très équilibrée – accroît ce sentiment de fragilité et d'ancienneté par ses grésillements constants. De plus, cette dernière apporte une âpreté et une froideur – digne d'un Sorcier Des Glaces – qui vous prend à la gorge et servant de toile de fond à ce combat inégal et vain de l'Homme contre les forces de la Nature.
En dépit du rapprochement facile fait avec la scène black metal québécoise et de nombreuses influences – la scène black metal suédoise des 90's, Dawn et Vinterland en tête –, la formation sort de la masse et place la barre très haut grâce à un dosage des plus harmonieux ainsi qu'une identité propre. Blanc Feu, Cadavre et Matrak arrivent à vous embarquer dans un périple aussi beau que périlleux par des sonorités puissantes et mélodiques qui savent toucher juste. De plus, le côté très imagé de Cendres Célestes couplé aux paroles assez abstraites permettent de laisser libre court à l'imagination, chacun(e) pouvant créer ses propres images ou son propre film à l'écoute de cette œuvre.
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