Les choses tombent plutôt bien. J'avais eu l'occasion de vous parler du dernier album en date du
Narodnii Komissariat Vnoutrennikh Diél, intitulé
"Hakmarrja" et sorti en 2014 via l'écurie italienne Avantgarde Music (vous avez dit "gage de qualité" ?). Un disque excellent, documenté sur les thématiques qu'il aborde (je vous renvoie à l'excellente interview de L.F. dans les pages de
Toilet Ov Hell), inhumain et tout en ambiance, divisant les critiques qui regrettaient un peu le temps où N.K.V.D. était plus soucieux de débrider sa boîte à rythmes que d'étouffer l'auditeur. Et justement : la sortie, via le label de sieur L.F., de la compilation
"Totalitarian Industrial Oppression", me permet de vous parler de ces enregistrements qui manquèrent tant à ceux qui ont descendu
"Hakmarrja" en flèche. Derrière ce digipack sobre et son artwork superbe (que l'on doit à
Secret Shelter) se cachent l'EP
"Diktatura" (2007) et l'album
"Vlast" (2011), deux déclarations de guerre à part entière.
"Diktatura", justement, première manifestation de l'entité N.K.V.D. aux yeux de la scène, ouvre le bal et la compilation. La pochette de l'époque, mettant côte-à-côte les pires salopards du XXème siècle, annonçait la couleur noire de ses cinq titres. L'ambiance allait être funeste, entre camps de la mort, purges politiques et boucherie martiale. Des guitares en forme de bloc (soviétique -
désolé), une boîte à rythme aussi synthétique que véloce, des cymbales feu d'artifice qui zèbrent l'espace sonore, servent d'écrin à une voix écho-ifiée, gueularde, empruntant aussi bien au
kapo qu'au conteur fantomatique. L'ambiance se fait tantôt charge de troupe (les rythmes sans pitié de "Die Blinde Wissenschaft"), tantôt défilé militaire (la caisse claire cadencée de "Kadyrovski Klan"), en gardant toujours une dominante martiale bien sentie, dans les ouvertures presque bruitistes qui samplent des discours ("Ch.R.I.") ou s'épanchent en claviers qui n'auraient pas dépareillé chez Arditi ou Thoroid ("Sloboda"). Le riffing est relativement simple, les instrumentations sobres, les samples faisant mouche à chaque fois. N.K.V.D. marie, dans
"Diktatura", les composantes
Industrial et
Black Metal dans leur sens le plus strict. Il en exacerbe le côté clinique pour l'un, la dominante froide pour l'autre, pour un résultat qui ne faiblit jamais en intensité. L'excellent "Incipit SSSR" au "refrain" déchirant s'en fait l'écho direct, et ce n'est probablement pas un hasard si c'est la seule composition de l'EP qui a été ré-enregistrée pour figurer dans
"Vlast".
Premier full-length de N.K.V.D. sorti quatre ans plus tard,
"Vlast" ne change strictement rien à la recette employée sur
"Diktatura" - et heureusement ! Tout juste la production de l'ensemble, rehaussée pour l'occasion, faisant sonner les nouveaux titres de façon plus compacte que jamais. Guitares et claviers se confondent presque, les frappes sans âme de la section rythmique sont enveloppées par le brouillard de guerre, à peine traversé par de rares percées "mélodiques" (le riffing hachée de "Alkhan-Kala", les crescendo habités de "Krasnaya Paranoia") ou de samples en langues de l'Est ("Socijalisticka Federativna Republika Jugoslavija" et son ouverture-défilé). N.K.V.D. pioche allégrement dans un pot-pourri de dictateurs et d'atrocités qui voit se côtoyer et s'entrechoquer dans un fracas assourdissant la Gestapo, Nicolae Ceaușescu, Grozny ou encore l'ex Yougoslavie pour couper court à toute accusation d'idéologie douteuse, se contentant de les utiliser pour insuffler encore plus de froideur à ses compositions.
"Vlast" est un rouleau compresseur en règle, qui ne dévie jamais d'un pouce de sa trajectoire. Les rares répits laissés à l'auditeur sont tout sauf agréables à l'oreille, puisqu'ils prennent la forme de nappes de bruit âpres (l'ouverture de "Grozny") ou d'archives sonores grésillantes ("Geheime Staats Polizei"). C'est une qualité, comme un défaut : déjà, à l'époque, parvenir à s'enfiler l'intégralité de l'album d'une seule traite, sans sourciller, était une gageure. Le tempo systématiquement effréné, la voix surmixée, la sobriété constante des compositions faisaient de
"Vlast" un album-uppercut que l'on ne s'autorisait qu'à dose homéopathique.
"Totalitarian Industrial Oppression" sera donc d'autant plus difficile à assimiler pour les nouveaux venus. Même en appréciant ce qu'a pu pondre N.K.V.D. par le passé, je reproche malgré tout à ses premiers essais un manque de variation dans ses schémas de composition. Elles sont efficaces, personne ne dira le contraire, mais répétitives. Hormis la production, rien ne différencie réellement
"Diktatura" de
"Vlast" : même envie de se vautrer dans les heures les plus sombres de l'histoire, même vitesse effrayante, même rendu monolithique. C'est pour cette raison que j'avais réellement apprécié
"Hakmarrja", plus posé, développant un peu plus ses ambiances sans dérouler des kilomètres de blast-beats. Il n'en reste pas moins que
"Totalitarian Industrial Oppression" reste une compilation indispensable pour qui n'aurait pas pu mettre la main sur les deux réalisations qu'elle rassemble. Et une façon, pour les profanes, de découvrir N.K.V.D., qui s'impose au fil des écoutes comme l'un des projets les plus jusqu'au-boutiste et cliniques du genre, modèle d'efficacité et de noirceur.
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