Sorti deux ans après un premier album particulièrement bien accueilli par la scène Hardcore new-yorkaise à laquelle Life Of Agony est toujours resté rattaché,
Ugly sera malheureusement considéré par beaucoup comme une sévère déconvenue. Il n’y a qu’à voir encore aujourd’hui certains avis sur Internet pour comprendre à quel point ce deuxième album est loin de faire autant l’unanimité que son prédécesseur. Un désamour qui peut facilement s’expliquer mais que pour ma part je ne partage absolument pas. A vrai dire,
Ugly à même toujours eu ma préférence…
Sorti en 1995 sur Roadrunner Records, ce deuxième album s’est vu proposé pour l’Europe, en plus de l’édition standard, une version limitée présentée dans un petit coffret en métal (pas forcément très pratique à cause d’une fâcheuse tendance à s’ouvrir pour un oui ou pour un non). En guise de bonus, on trouve deux titres inédits, "Coffee Break" ainsi qu’une reprise de "Redemption Song" de Bob Marley. Si on a souvent tendance à considérer ce genre de bonus comme anecdotique, je vous encourage pourtant vivement à jeter une oreille à cette édition limitée tant ces deux morceaux n’ont pas à rougir face au reste de l’album (tout comme ceux figurants sur les éditions limitées de
Burn My Eyes et
Demanufacture parues à la même époque).
Bien plus classique dans son approche,
Ugly ne reprend bien évidemment pas la forme narrative de son prédécesseur. Cela aurait été de toute façon une erreur de leur part que de vouloir réitérer l’exercice. Les titres s’enchaînent ici sans véritable lien apparent bien que les thèmes abordés par Keith/Mina Caputo (la mort, la dépression, la difficulté d’être soit, les relations avec les autres et notamment ses parents) restent les mêmes. Pour ce deuxième album enregistré une fois de plus à New-York, le groupe a choisi de faire appel cette fois-ci aux services de Steve Thompson et Michael Barbiero connus pour leur travail avec des artistes tels que Whitney Houston, Aretha Franklin, George Michael, Guns N'Roses, Madonna, John Lennon, Wu-Tang Clan et Metallica. Des moyens plus conséquents pour un album, et c’est là que les choses se corsent, aux couleurs beaucoup plus Pop/Rock que son prédécesseur.
River Runs Red était effectivement marqué en son temps par une certaine virilité avec notamment ces chœurs omniprésents, ces riffs appelant à mosher, cette lourdeur oppressante et ce groove de bonhommes typiquement new-yorkais.
Ugly emprunte quant à lui un chemin bien différent puisque tout cela a désormais presque totalement disparus. Pour commencer, il y a bien évidemment cette production plus neutre et mieux équilibrée, sans véritable imperfection mais avec naturellement un peu moins de caractère. Pour autant, je la trouve toujours aussi agréable après toute ces années. Certes, le son se fait plus lisse et moins dense que sur
River Runs Red (produit par Josh Silver de Type O Negative), mais Steve Thompson et Michael Barbiero ont cependant su conserver une certaine rugosité qui laisse entendre que derrière ces compositions plus accrocheuses et plus faciles se cache toujours ce même groupe meurtri par cette chienne de vie. D’ailleurs, Keith/Mina Caputo et Alan Robert (il signe ici l’essentiel de la musique et des paroles) ne se sont jamais autant confiés sur leurs propres démons que sur cet album. La qualité des textes, ce qu’ils évoquent et la charge émotionnelle qui se dégage de cette voix absolument envoûtante (ahalala ces montées à vous coller des frissons) n’ont ainsi jamais été aussi fortes que sur ce disque. Poignants, intenses et touchants, ces mots douloureux chantés par un homme qui se sait femme et ne sait pas où est sa place dans ce monde prennent encore plus de sens quand on sait ce qu’ils sous-entendent :
No one understands me at all
Now I'm 22 with still no clue
Of who I am or what I'm supposed to be
I know it to you it sounds funny
You've got it worked out like it's a fuckin' disease
Started asking myself do I fit in?
Where I belong
Could this really be me?
Been feeling downright ugly
Tell me is this the way it's supposed to be?
Mais ce n’est ni dans les paroles ni dans la production que se jouent ici les plus gros bouleversements mais bien évidemment dans la musique proposée par Life Of Agony qui, s’en forcément s’éloigner de ses racines (l’album dans sa globalité conserve tout de même une certaine dynamique avec notamment pas mal d’accélérations ou de ralentissements bien sentis), tend petit à petit à s’en dissocier (le point de non-retour sera d’ailleurs atteint pour beaucoup avec l’album suivant,
Soul Searching Sun). Exit ainsi les chœurs et les mosh parts, seuls persistent encore ce groove redoutable (mais moins démonstratif malgré une basse toujours aussi délicieuse) ainsi que ces excellents riffs lourds sortis tout droit de l’imagination de monsieur Alan Robert (car oui, seuls les solos (particulièrement bien inspirés) ont été composés par Joey Z.). Sonnant dorénavant bien plus comme un groupe de Metal alternatif (ces gros riffs plaqués, parfois presque saccadés, ces quelques larsens...) passé à la moulinette Grunge des années 90 que comme un groupe de Hardcore influencé par la scène Thrash des années 80, Life Of Agony conserve en dépit de ces mélodies plus nombreuses et plus sucrées, en dépit de ces refrains hyper accrocheurs, en dépit de ces riffs un peu moins sombres et en dépit de ces deux reprises de tubes diffusés sur toutes les ondes (une préférence évidente pour celle de Simple Minds qui rappellera de bons souvenirs à tous ceux qui ont vu et revu The Breakfast Club) cette espèce de bizarrerie qui a toujours fait des New-Yorkais un groupe définitivement à part. Beaucoup regrettent probablement le Life Of Agony de
River Runs Red mais en ce qui me concerne j’ai toujours autant la chair de poule lorsqu’arrive la seconde partie de "Seasons" ou ce couplet haut perché à 2:55 sur "Other Side Of The River", lorsque j’écoute également "Let’s Pretend", "Ugly" ou "How It Would Be", des titres absolument magnifiques, chargés en émotions et en même temps terriblement désabusés.
Marquant une dissension très nette parmi les amateurs de Life Of Agony,
Ugly reste aujourd’hui considéré par certains comme le véritable début de la fin pour le groupe new-yorkais. Il est vrai que tout y est plus simple, plus léger (en apparence car les paroles sont encore là pour nous rappeler à ces terribles réalités), plus accrocheur aussi avec pour couronner le tout, deux reprises de groupes qui n’ont rien à faire là (oui, je grossis le trait bien évidemment). Mais pour autant, sans que je sache véritablement l’expliquer, c’est bien ce
Ugly que je préfère par rapport à son prédécesseur. Peut-être est-ce dû justement à ces émotions puissantes qu’il véhicule ? Peut-être à cause de ces refrains ultra accrocheurs qui ne me quittent pas ? En tout cas, ce deuxième album a toujours eu ma préférence, aussi ténue soit elle. Pour ma part, c’est plutôt avec
Soul Searching Sun que les choix d’Alan Robert et Keith/Mina Caputo ont commencé à me poser des soucis. Mais ça, on y reviendra en temps et en heure. En attendant, voilà un joli 9,5 amplement mérité.
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