Drudkh - They Often See Dreams About The Spring
Chronique
Drudkh They Often See Dreams About The Spring
Grand parmi les Grands, Seigneur dominant, Drudkh a longtemps côtoyé les sommets. Il a longtemps tutoyé les anges. Sa trilogie de rêve – Forgotten Legend, Autumn Aurora et Blood in our wells – l’a posé en apôtre d’un BM atmo, épique et totalement habité comme à nul autre pareil. Du son, étudié à la perfection, un poil harsh, un poil velouté, qui manifeste une course effrénée au travers des grandes steppes de l’Est à la structure même des titres, qui favorise l’emphase, les ponts mélancoliques et des reprises dynamiques ultra épiques, Drudkh a étalé sa science de la composition comme on étale du caviar sur un blinis.
Mais comme tous les Grands, Drudkh a aussi connu des passages à vide. Comment le lui reprocher ? Comment peut-on ne jamais décevoir lorsque l’on est monté si haut ? Songs of Grief and Solitude nous avait déjà un peu alerté – pourtant placé au cœur de la grande période du groupe – mais ce ne fut rien en comparaison d’un Estrangement peu inspiré et surtout d’un Handfull of Stars misérable. Sans doute conscient du changement déceptif, le groupe a tenté de redresser la barre par deux albums très corrects mais à nouveau relativement éloignés de ses potentialités d’origine (Eternal turn of the Wheel et A Furrow Cut Short). A moins que l’auditeur, gavé jusqu’à la moelle des mélodies divines susmentionnées, n’ait plus le recul suffisant pour apprécier à sa juste valeur les offrandes d’un groupe qui demeure très au-dessus de la majeure partie de ce qui se fait en la matière.
Alors que vaut donc leur dernière galette, joliment intitulée They Often See Dreams About the Spring ? Tout dépend du point de vue que l’on y attache. Si l’on se penche sur ce disque en ayant écouté les trois chefs d’œuvre précédemment cités, cet album reste en roue libre. Du Drudkh sympa, agréable, d’un niveau très acceptable mais nécessairement en deçà du potentiel antérieurement exprimé. Si l’on veut bien prendre le temps de l’examiner avec un regard plus neuf (mais peut-être n’est-ce pas pertinent non plus), ce nouveau Drudkh recèle tout de même quelques belles surprises.
Nakryta Neba Burym Dakhom…, le premier titre de 10 minutes, ouvre de façon très classique sur des mélodies épiques, très dynamiques, fondues dans la masse et recouvertes de la voix d’ours de Thurios. Les ponts atmo classieux sont aussi de la partie (dès 4’30 sur Nakryta Neba Burym Dakhom… et sa reprise à 8’57, très véloce sur les mélodies également), souvent profonds, travaillés et variés. Le titre ondule, révélant à nouveau la patte Drudkh, tel un dragon se déplaçant dans les airs ; la structure est chargée en informations, en petits arrangements (surtout sur la batterie) et le titre s’absorbe très facilement. Indéniablement, Drudkh livre là une prestation d’excellent niveau, comme le laissait d’ailleurs augurer son récent split avec Paysage d’Hiver. U Dakhiv Irzhavim Kolossyu…, le second morceau de près de 9 minutes, reprend la même formule. Des lead agressifs, une mélodie qui chapeaute la structure et une architecture encore relativement progressive, mais avec cette fois-ci une première cassure : la présence de soli plus aériens, plus détachés, plus désincarnés qui le disputent – à nouveau – à des reprises tout en puissance épique. La patte Drudkh revient encore à la surface, par le truchement de lignes de grattes répétitives, hypnotiques où mélodies mélancoliques et lead plus tranchants se fondent dans un moule identique. Le pont central (vers les 5’) se distingue ici, qui renverse le principe : les mélodies occupaient tout l’espace, le pont se tourne vers l’agression, vers des attaques de grattes très franches avant que la cassure mélodique ne reprenne le dessus. Un très beau morceau, parfaitement équilibré, dans l’esprit de ce que Drudkh a produit de meilleur.
La recette est éprouvée. Elle fait pourtant de nouveau mouche. Car même lorsqu’un titre semble plus en deçà, comme Vechirniy Smerk Okutuye Kimnaty... ou Za Zoreyu Scho Striloyu Syaye…, plus quelconques, plus fouillis, Drudkh dégaine une trouvaille, une astuce qui en relance l’intérêt. Ici, des lead quasi étouffés, une basse plus ronde, une batterie dont les roulements sont plus tranchants. Là, des mélodies d’intro aériennes sublimes, cotonneuses et d’une belle profondeur, juste perturbées de lead lumineux qui les transpercent. Bilyavyi Den’ Vtomyvsya I prytykh… clôture en près de 9 minutes un album qui ne devra pas être négligé même par ceux qui, comme moi, ont toujours cette tentation de regarder derrière. Ce dernier titre, plus marquant par l’agressivité nette qu’il dégage, par la dynamique très élevée de sa rythmique, tranche un peu avec le reste de l’album. Il convient toutefois de ne pas se tromper. Même si elles apparaissent moins nettement, les mélodies restent présentes. Une écoute attentive révèle encore le travail sur la structure, plus proche cette fois-ci d’un Hate Forest dans l’approche intellectuelle.
Si l’on veut bien prendre le temps de considérer que le Drudkh d’aujourd’hui ne saurait être celui d’hier, jusqu’à l’artwork plus typé Handfull que Legend, si l’on veut bien également (mais encore une fois, est-ce pertinent ?) se détacher de ce qui a été pour n’envisager que ce qui est, il faut, à mon sens, s’en tenir à une conclusion la plus objective possible : ce nouveau Drudkh recèle bien des qualités. Il a sans doute perdu en émotion. Mais au fond, les éléments qui nous ravissaient hier, en grande partie, n’ont pas complètement disparu. N’est-ce pas là l’essentiel ?
| Raziel 24 Mars 2018 - 3645 lectures |
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