Takafumi Matsubara - Strange, Beautiful and Fast
Chronique
Takafumi Matsubara Strange, Beautiful and Fast
"Strange, Beautiful and Fast" n'est pas un disque comme les autres, à bien des égards. On pourrait simplement dire qu'il est à l'image de son géniteur.
Takafumi Matsubara, donc. Au-delà des formations relativement confidentielles dans lesquelles il a pu jouer (Congenital Hell, Hayaino Daisuki, Mortalized), on le connaît surtout pour son rôle de guitariste virtuose au sein de Gridlink, véritable all-star band dans lequel il cohabitait, notamment, avec Bryan Fajardo (Cognizant, Noisear, P.L.F.) et Jon Chang (Discordance Axis), jugez du peu ! De leur collaboration sont nés trois full-lengths d'une qualité peu commune. Constants dans la vitesse d'exécution et dans la technique, ils réussirent également l'exploit d'insuffler à ces enregistrements une charge émotionnelle considérable. Oui, du Grindcore qui touche au cœur. Comprenez donc la place toute particulière que peut occuper le groupe pour de nombreux amateurs, moi le premier.
Et émotionnelle, cette dernière fournée l'est, et sur tous les plans. Parce qu'on ne l'attendait pas. On s'était fait une raison. Matsubara souffrait en effet d'une maladie cérébrale qui, selon les médecins, lui interdirait à tout jamais de rejouer de la guitare. Plus qu'un coup dur, un déchirement, à la fois pour l'homme et pour le musicien. Du gâchis de condamner les fameuses "robot hands" à un repos forcé. D'autre part, ce "Strange, Beautiful and Fast" est un disque-hommage à Hee Chung, batteur un temps des légendaires Unholy Grave et ami de Matsubara, décédé des suites d'un cancer en 2015 - que l'on retrouve d'ailleurs derrière les fûts sur la dernière piste de l'opus. Pour toutes ces raisons, on pardonne beaucoup à ce qui s'impose comme un vrai baroud d'honneur pour Takafumi Matsubara. Car si ce bébé, ayant nécessité quatre ans de gestation, comporte de sacrés morceaux de bravoure, il n'en est pas moins très inégal.
Difficile de contenter tout le monde quand plus de trente gonzes se partagent l'espace. Forcément, les disparités au niveau technique se font parfois cruellement ressentir, mais nous y reviendrons. Le véritable fil rouge de ce disque, comme chacun pourrait l'attendre, est matérialisé par le riffing, toujours impeccable, du chef-d'orchestre, qui dispense des motifs d'une intensité qui chauffe les tympans (la doublette "Void Walker"/"Path to Isolation", épileptiques au possible). Sans surprise, ce sont les guests les plus "cotés" qui font les meilleures compositions de ce disque, sublimant par leurs interventions le jeu de Matsubara : Dylan Walker, comme toujours, marche sur l'eau, plus terrifiant que jamais ("Stuttered Rope", "Crawlspace", le fantastique "Filius Lapis"). Les musiciens de Chepang, au succès d'estime plus que mérité, partagent ainsi l'affiche avec l'inénarrable Bryan Fajardo sur "Dignity", voyant cohabiter deux batteries et deux chants différents, pour un résultat aussi convaincant qu'efficace. Même les noms les plus obscurs savent défendre le steak, tirant, globalement, l'album entier vers le haut.
Et malheureusement, pour deux titres convaincants, il faut s'en fader un complètement chiant. "無極", par exemple, à se pendre d'ennui, tant le hurleur et le batteur de Mortalized pédalent dans la semoule, un blast joué sans grande conviction, un chant monotone, sur lit de production approximative. Le suivant, "Pull Out My Eyes", hallucinant également, quatre minutes de grand n'importe quoi, de Noise putassière rendue encore plus ridicule par le batteur de Merzbow, qui fait absolument n'importe quoi pendant la première moitié du titre. Puis il y a les incompréhensibles : "Abstract Maelstroms", qui porte bien son nom, par exemple. Réunir Rich Hoak (Brutal Truth, TFD) et Irving Lopez (Cognizant), sur papier, il y a de quoi en émoustiller plus d'un, non ? Ben non. Les deux compères, probablement fort satisfaits de leur blague, nous servent un espèce de hip-hop lo-fi, gratin de restes d'un Limp Bizkit faisandé, qui brise le final d'un disque qui commençait à se ressaisir. Que dire du titre d'Antigama, pourtant acteur légendaire du genre et invité au grand complet ? On croirait un brouillon de studio tant il sent le réchauffé, bien loin de la fougue de ses full-lengths.
Des incursions très dispensables, mais hautement excusables, tant l'album semble être le fait d'une bande de potes de longue date, heureux de se réunir autour d'un camarade perdu de vue. Si, dans les faits, "Strange, Beautiful and Fast" est trop inégal pour s'imposer comme un inoubliable, je ne peux pas me résoudre à le saquer comme je le ferais avec n'importe quelle autre sortie de n'importe quel autre groupe. Je ne peux pas non plus dire que je suis déçu. Comment l'être face à un retour aussi improbable ? Matsubara fait du Matsubara, son jeu-signature fait toujours mouche, c'est indéniable. De plus, le concept même de cet album est fantastique, illustrant le propos du documentaire "Slave to the Grind", chroniqué ici-bas : le Grindcore, c'est avant tout une grande famille, un milieu solidaire en essence. Rassembler une trentaine d'artistes sur une seule galette était un pari osé, et tous se sont prêté au jeu. Oui, "Strange, Beautiful and Fast" a parfois du mal à convaincre, handicapé par des choix pas toujours très heureux. Mais ce qu'il représente me touche tout particulièrement. En espérant que ce ne soit pas la dernière œuvre de Takafumi Matsubara.
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