Porté par le succès d’estime de ses deux premiers albums et un deal encore relativement récent avec R/C Records, Sadus va mettre les bouchées doubles pour ne pas sombrer dans l’oubli face à une concurrence toujours aussi solide malgré une période de moins en moins favorable. Les Californiens vont ainsi revenir à la charge un an et demi seulement après la sortie de l’excellent
Swallowed In Black avec un troisième album intitulé
A Vision Of Misery. Un retour qui passera malgré tout relativement inaperçu, en grande partie parce qu’en 1992 le Thrash n’a tout simplement plus autant de succès qu’auparavant mais aussi et surtout parce que Sadus a toujours fait partie des seconds couteaux. Des seconds couteaux particulièrement dignes d’intérêt mais des seconds couteaux malgré tout.
Si pour illustrer ce troisième album Sadus a fait appel à un certain Jason Garvin croisé par hasard lors d’une exposition tenue à l’époque dans un centre commercial (true story), la production a quant à elle été confiée à une personne dont la réputation n’était déjà plus à faire. C’est en effet monsieur Bill Metoyer, ancien vice-président de Metal Blade Records et producteur de renom (Sacred Reich, Atrophy, Cryptic Slaughter, Flotsam And Jetsam, Omen, Morbid Angel...) qui s’est ici chargé de mettre en boîte
A Vision Of Misery. Le résultat, déjà très efficace à l’époque, n’a presque pas pris une seule ride aujourd’hui même si pour être tout à fait honnête avec vous, ces passages à la double me chiffonnent lorsque j’y prête un peu trop attention, notamment à cause d’un son un peu mou/flottant qui manque d’attaque.
Sorti en mars 1992, ce troisième album est, j’ose l’écrire, celui de la maturité pour Sadus. Et oui, je sais bien que ceci peut sembler d’une banalité confondante et présomptueux de poser une telle assertion comme une vérité absolue mais c’est pourtant bien ce qui ressort de l’écoute de ces neuf nouveaux morceaux, notamment au regard des albums précédents et de certaines remarques moins dithyrambiques rédigées à leur égard. Celle qui me vient en tête et que l’on avait évoquée notamment lors de ma chronique de
Chemical Exposure (Illusions) c’est cette difficulté à retenir les riffs et les structures imaginées par les Californiens. Adroits de leurs instruments (probablement encore bien plus qu’auparavant), les quatre garçons nous dispensaient d’une leçon de violence débridée et particulièrement intense qui, si elle avait effectivement le mérite de malmener l’auditeur et d’éveiller nos instincts les plus primitifs grâce à un jeu expressif et extrêmement rapide, posait tout de même un léger souci de mémorabilité. Sur
Swallowed In Black le groupe avait déjà commencé à corriger le tir mais c’est vraiment sur
A Vision Of Misery que Sadus à réussi à trouver le parfait équilibre. Si le Thrash des Californiens se montre donc toujours particulièrement agressif et intense, on note tout de même que les riffs et structures s’impriment bien plus aisément dans le cortex. Il faut dire aussi que les séquences plus modérées sont désormais beaucoup plus nombreuses qu’auparavant. Une décision qui va amener les Américains à revoir certains détails comme l’atteste notamment ces mélodies désormais bien plus léchées et définitivement moins chaotiques que par le passé (flagrant rien que les premiers solos de l’album : "Through The Eyes Of Greed" à 3:16, "Valley Of Dry Bones" à 0:49, "Machines" à 2:04 et "Slave Of Misery" à 2:36).
Si la forme a donc quelque peu changé avec ces mélodies plus "accessibles" (avec des guillemets, ce n’est pas non plus devenu une espèce de soupe commerciale) et ces mid-tempos (au groove parfois redoutable) bien plus présents (le break de "Through The Eyes Of Greed" à 1:50, les deux premiers tiers de "Slave To Misery", les premières mesures de "Machines" dans un esprit assez proche du
Unquestionnable Presence d'Atheist, les quarante dernières secondes de "Throwing Away The Day", l’ambitieux et ambivalent "Facelift" du haut de ses sept minutes ou les deux premiers tiers de "Deceptive Perceptions"), Sadus n’en reste pas moins ce groupe de Thrash particulièrement virulent dont la musique se caractérise par un jeu technique et extrêmement rapide, des structures à tiroirs où les plans s’enchaînent sans forcément faire preuve d’une cohérence évidente ou en tout cas naturelle et une basse fretless absolument délicieuse qui apporte en guise de touche finale une véritable dynamique supplémentaire à une formule qui pourtant n’en manque pas. Bref, du petit lait pour n’importe quel amateur du genre. Ainsi, pendant un peu plus de trente-six minutes, le groupe californien va dérouler ce Thrash vindicatif et particulièrement jouissif qui a fait sa réputation (l’entame épileptique de "Through The Eyes Of Greed", les accélérations hystériques de "Valley Of Dry Bones" à 0:04, "Slave To Misery" à 2:23, "Deceptive Perceptions" à 2:18 ou de l’impitoyable "Under The Knife") tout en y apportant de quoi nuancer son propos et ainsi entretenir un brin de différence avec ses prédécesseurs. Pas suffisamment pour braquer l’auditeur à l’esprit trop étriqué mais juste assez pour constater que le groupe a bel et bien évolué vers une musique certes un peu moins sauvage et explosive mais surtout un peu plus aboutie (aussi bien techniquement qu’en terme d’écriture ou de mémorabilité).
Si ce troisième album n’a jamais véritablement réussi à acquérir le même niveau de renommé que l’excellent
Swallowed In Black, il n’en reste pas moins un disque aux multiples qualités et qui, au moins en ce qui me concerne, égale largement son aîné. Alors oui, le Thrash de Sadus semble avoir pris un peu de plomb dans l’aile (quoi qu’il faut vraiment avoir envie de casser les bonbons pour avancer ce genre de sottises) mais il faudrait être sacrément difficile pour ne pas s’extasier devant un jeu aussi intuitif, alliant une dextérité sans faille à un sens de l’efficacité systématique. Et puis merde quoi, il y a cette basse, toujours cette putain de basse qui frétille de plaisir sous les doigts experts d’un Steve DiGiorgio au sommet de son art. Bref, si vous en êtes encore à vous demander pourquoi vous n’avez jamais écouté Sadus ou si comme beaucoup vous vous êtes contentés de ranger la formation parmi les seconds couteaux dignes de peu d’intérêt, voilà l’occasion idéale pour réparer cette terrible erreur. Un incontournable de l’époque mais encore plus un incontournable du genre.
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12/04/2020 14:54
12/04/2020 08:02