« Ce n’était pas le désespoir pesant et quotidien mais un désespoir brûlant comme la fièvre, un désespoir qui vous fait crier, qui vous jette au bas du châlit et vous fait donner des coups de poing sur le crâne. »
Vassili Grossman,
Vie et Destin
Nous sommes en 2006, un peu moins de cinq ans après les Twin Towers. Georges W. Bush est alors bien installé, les guerres en Afghanistan et Irak font rage, le Patriot Act entrave les libertés de tous, la politique intérieure des Etats-Unis est la plus sécuritaire depuis des années, un monde extérieur faisant peur autorisant toutes sortes de dérives. Les yeux fermés, le monde n’accorde que peu de réflexions aux ravages climatiques qui se succèdent. Certains ont alors l’impression de vivre dans un monde en feu, sans possibilité d’éteindre les différents incendies, propres et figurés. Gaza sort
I Don't Care Where I Go When I Die.
Ce premier longue-durée ne vient pas de nulle part. Il prend son sens dans un contexte, grossièrement dépeint dans cette introduction. En effet, le groupe de Salt Lake City semble alors réagir à son époque dans son déluge de violence épidermique, son abattoir et son abattement. Je me rappelle la première fois que j’ai écouté
I Don't Care Where I Go When I Die : découvert sur le tard et sur les planches (un traumatisme vieux de dix ans que je raconte
ici), j’ai fini par me jeter sur cet album qui m’a directement parlé, où un lien musical – mais aussi « autre » – s’est créé. La sensation de rencontrer une formation qui partage des questionnements proches des miens, dont je rejoins la colère et l’impuissance qu’elle ressent face au monde.
Mais Gaza, sur un plan plus formel, est aussi un indicateur. Un indicateur d’une scène qui, après la période glauque de Converge, après les exactions de Cursed, mange avec avidité tout ce qui se présente à elle, pourvu que cela soit sombre et morbide. Le cran d’arrêt retourné contre elle, la bande scarifie sa peau de dissonances, d’emprunts au sludge, de cassures hardcore et noise. Elle titube, déroute, assomme, ne jouit de rien sauf de son propre cynisme, qu’elle transmet d’un rire narquois. Il suffit d’écouter la fin de « Hospital Fat Bags », seul instant directement beau de l’essai, pour se rendre compte de l’ironie sadique dont use Gaza. Il semble pourtant si facile pour ces gens doués de leurs instruments de pouvoir nous apporter la petite lueur au bout du tunnel, de nous satisfaire, de séduire... Ce n’est jamais cette direction qu’ils choisissent, laissant ce seul moment blanc pour appuyer encore davantage le noir qui alimente leurs compositions. Tout n’est ici que personnification d’un désespoir, d’une violence aveugle qui ne sait plus vers qui se diriger, soi car on fait partie du problème, les autres... Mais qui ?
I Don't Care Where I Go When I Die est toujours pertinent. Pertinent musicalement, où un simple regard sur la scène voit les innombrables petites bêtes qu’il a engendrées, prétendant également à nous grignoter le cerveau de breaks lourds, d’accélérations surprises chaotiques, de clins d’œil appuyés au metal extrême. Certes, il est loin d’être parfait, donnant parfois l’impression de tâtonner trop longuement ce qui sera pris à pleines mains après lui (quelques maladresses et excès de timidité par-ci par-là, notamment sur « Slutmaker » ou encore « Hell Crown »), mais il est aussi une forme d’aboutissement car constant dans son allure à tombeau ouvert, s’inscrivant en nous de façon indélébile (« Sire » ou « Moth », gardant leur puissance des années après).
Mais
I Don't Care Where I Go When I Die est aussi toujours pertinent à notre époque. Mieux, il devient une espèce de signal d’alerte, à inscrire dans la lignée des Wikileaks à nous, les
You Fail Me, les
We Are the Romans, ces quelques disques qui prennent sens dans leurs périodes de création mais aussi comme grilles de lecture à partir desquelles réfléchir sur notre temps. Nous ne nous sommes pas échappés de la noirceur dépeinte ici, nous y baignons encore, au point de croire qu’elle n’offre pas de sortie. Gaza, lui aussi, n’offre pas de sortie et donne envie de faire comme lui, d’écouter son errance qui est la nôtre dans ce monde foutu.
I Don't Care Where I Go When I Die est un disque daté comme on date une mort, la pierre tombale qu’il est en vérité évoquant toujours les mêmes sentiments d’endeuillé. En cela, il est marquant encore aujourd’hui. Et mes pèlerinages vers lui ne sont pas prêts de s’arrêter...
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