Pilori - À Nos Morts
Chronique
Pilori À Nos Morts
Il est tentant de faire de Pilori un groupe-photographie, du genre qui compile une part de ce qui fait la scène actuelle. Celui qui voit ce qu’il écoute comme des cases d’un bingo à remplir sera en effet heureux de pouvoir remplir autant de lignes : avec son style clairement marqué par les sorties du label Throatruiner – Calvaiire, Cowards, Plebeian Grandstand, Fange, Vermin Womb –, ses invités marquant les amitiés et filiations – Matthias Jungbluth et Dylan Walker – ou plus simplement une noirceur typique se situant à cheval entre hardcore et metal extrême, il y a de quoi se dire que A Nos Morts ne tiendra que le temps d’un name-dropping expert avant d’aller chercher ailleurs des sensations plus neuves.
Difficile d’en vouloir à celui qui s’arrêtera à ce constat. Pilori assume tellement ses appartenances qu’il se destine clairement à ceux n’en ayant pas encore assez de ce type de musique ne s’embêtant pas d’étiquettes tant qu’elles restent extrêmes. Pourtant, une fois ce postulat accepté et mis de côté, la bande finit par laisser transpirer une personnalité propre, au fur et à mesure des allers et retours que créent ces vingt-quatre minutes denses et plus fouillées qu’elles le paraissent au départ. Telle hyperactivité, tel appétit, ne sauraient se contenter de taper dans un seul plat, malgré sa richesse : c’est donc dans une variété de genre que se nourrissent les Rouennais, leur mélange frôlant différentes écoles pour mieux s’exclure de toute catégorie. Ainsi, il garde essentiellement du grindcore le côté direct et sauvage, s’en servant pour empiler – avec une cohérence épatante – des sensations marquées par la négativité, certes, mais plus contrastées qu’on pourrait le croire.
Point de traditionnelle « fuite en avant » ici, plutôt la variété des plaisirs sadiques essayant tous les instruments de torture mis à sa disposition, que ce soit le crust le plus aigre (« Poursuite du Vent »), l’industriel le plus difforme (« Apnée » et son concassage en deuxième partie) ou encore le black metal le plus dénué d’empathie jetant son ombre sur l’ensemble. Pilori parvient à trouver le trait d’union à tout cela par une ambiance terne, « française », que j’aime tant, mais où l’habituelle moue austère cachant une véhémence acide fait imaginer des instants bouchers filmés en noir et blanc. Clairement, pour faire des ponts avec le cinéma que les Rouennais semblent tant apprécier – cf. le clip de « Que la Bête Meure » –, si on a l’habitude d’écouter des œuvres rendant hommage au Dewaere maussade et sensible de Série Noire, parfois au Giraudeau bagarreur de Rue Barbare, A Nos Morts fait plutôt penser au gore triste des chirurgies de Franju dans Les Yeux Sans Visage, voire à l’horreur crue et quasi-surnaturelle d’un Paul Meurisse à la fin de Les Diaboliques de Clouzot. Soit, pour simplifier, la peinture à vif d’une chair grise et palpitante, non-morte mais pas franchement synonyme de vie, vomissant sa bile incolore jusqu’à cette « Danse Macabre » rappelant que le temps passe, ultime idée noire et fatidique de cette (trop) petite demi-heure en sa compagnie.
Il faut pourtant bien noter que cette réussite à proposer ce qu’il faut de changements et d’identité neuve à une formule au frisson de moins en moins présent se trouve empêtrée de quelques longueurs, certes peu présentes (principalement le morceau-titre, laissant respirer là où on voudrait continuer à étouffer), mais assez dommageables sur un disque ne cherchant pas à s’éterniser. Ceci mis à part, A Nos Morts contient assez de moments forts au service d’une atmosphère continuellement présente pour donner envie de retourner vers lui régulièrement, dans l’attente d’un second album qui, espérons-le, approfondira encore un peu plus cette fascination pour le vice et ses vicissitudes qu’il embrasse à pleins crocs et que l’on partage sans gêne avec lui. Que cette bête-ci continue à vivre !
| lkea 1 Juin 2020 - 1632 lectures |
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