[ A propos de cette chronique ] Lundi 14 décembre 2020, 8h55. Sagamore, en transe totale après avoir appris la nouvelle, me hurle au téléphone qu’un nouvel album de
Hate Forest est prévu pour le 25 décembre sur Osmose Productions. Je n’en crois pas mes oreilles (et j’ai perdu 10 points d’audition), d’autant que Roman Saenko a déjà sorti un autre projet 5 mois auparavant. En effet, la chronique qu’avait fait mon ami de
Tectonics de
Precambrian, ainsi que l'oeuvre que célébrait la prose dont il s'était admirablement acquitté, m'ont tellement titillé qu’elle firent partie des raisons pour lesquelles j’ai eu envie de revenir sur Thrashocore. C'est donc avec lui, à qui j’ai fait découvrir
Hate Forest dans une autre vie, que nous allons vous conter ce nouvel album. « La première fois que tu m’as fait écouter, j'étais pas prêt. Mais j’ai compris l'évidence », me dit-il alors qu’il s’est un peu calmé et se remémore, la larme à l’œil, nos soirées dans mon petit appartement clermontois. Quant à moi,
Hate Forest est probablement mon groupe de black metal préféré. Il s'en dégage un souffle polaire annihilé de toute vie humaine qui me parlait terriblement fut un temps : mes chroniques de
Purity (2003),
Battlefields (2004) et
Sorrow (2005) sur votre webzine préféré en attestent, je crois. J’aurai tout de même beaucoup moins de difficultés à être objectif avec ce
Hour of the Centaur aujourd’hui.
Ouais, je m’emporte, je m’enflamme… Mais qu’un type comme Voay vienne me le reprocher, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité ! Je me revois il y a plus de dix ans (déjà !), dans sa studette de Clermont-Ferrand, baver devant ses étagères remplies de titres tous plus obscurs les uns que les autres. Buvant ses paroles, lui qui introduisait le mordu de Grindcore que j’étais (et suis à jamais) à l’univers hermétique du Black Metal, attaquant par son versant Est… Tressant des lauriers à cette obscure formation ukrainienne qui, à l’époque, me laissait complètement groggy… Y’a pas, dans le loto des retours improbables et appréciables, aligner le retour d’une fine plume avec l’un des monstres sacrés d’un genre tout entier, c’est la quine assurée ! Quinze ans, punaise ! Probablement inspiré par la mise en boîte de
Tectonics sous l’alias
Precambrian (chroniqué avec gourmandise par votre serviteur) plus tôt dans l’année, et agacé par la masse d’imposteurs qui ont essayé, sans jamais y parvenir, de s’accaparer sa place sur le trône, le géant est sorti d’un sommeil que l’on pensait éternel pour faire silence parmi les imposteurs, une bonne fois pour toute. Rouvrant les guillemets après
Sorrow, point que l’on pensait alors final, reprenant les mêmes tournes, la même recette qu’à l’accoutumée, soit celle d’un Black Metal taillé à même la roche de Kharkiv. Glacial, inexorable, inhumain. C’est sûrement par cynisme, certes un peu simplet, qu’Osmose a choisi le 25 Décembre pour libérer la bête de ses entraves… Quoiqu’il en soit, Voay comme moi ne pouvions rêver plus beau cadeau de Noël.
Bien évidemment Sagamore, je me trompais lourdement tout à l'heure quand je disais que j'arriverai à être objectif face à cette nouvelle offrande : c'est simple,
Hour of the Centaur cloue au pilori tous les projets black metal sur lesquels j'ai pu poser les oreilles de près ou de loin ces dernières années.
Hate Forest ne se dévoie pas, ne concède aucune expérimentation foireuse à son black metal polaire et totalitaire. Comme le dit mon cher ami, il reprend les choses là où il les a laissées en 2005. Cette boîte à rythme prodigieusement inhumaine avec laquelle il rythmait ses riffs n'a pas changé. Elle continue à apporter cet effet martial et totalement nihiliste qu'aucun batteur – je persiste et signe – ne pourrait produire. Le fan absolu que j'étais retrouvera avec une obsession qui confine à l'autisme les patterns de l'époque, avec ces breaks efficaces entre la crash et la charleston, cette caisse claire délicieusement répétitive qui rythmera, comme peut le faire le gong au moment de l'exécution d'un condamné, les mid-tempi comme les rafales implacables de blast beats. Impeccable. Je n'en attendais pas moins. Je gage tout de même que Sagamore aura quelque-chose à redire là-dessus, n'est-ce pas ? Lui qui n'appréciait que modérément l'usage de la boîte à rythme à l'époque. Peut-être a-t-il trouvé la vérité depuis. De même, bien que je ne me reconnaisse plus vraiment dans le personnage aujourd'hui, il m'est rigoureusement impossible de ne pas frissonner de tout mon être à l'écoute de la voix d'ours blessé de Roman Saenko, qui m'a toujours hanté et me hantera probablement toujours. Cette profondeur qu'il parvient à donner systématiquement à son growl, empreinte éternelle du groupe, n'a pas bougée d'un iota. Ses intonations caractéristiques, rituelles, savent se faire rares aux moments les plus opportuns, à l'image de « Anxiously They Sleep In Tumuli » qui rappellera les moments de grâce absolus de
Battlefields et le riffing extraordinaire de certains morceaux de
Purity (« The Gates » en tête). Cette voix ne cessera jamais de torturer mes entrailles et de faire résonner dans mon cœur des sentiments bouleversants.
J’ai trouvé la vérité, comme tu dis. Cependant, j’ajouterai un poil d'eau dans le vin de tes propos, l’ami. Je ne pense pas que les parties de batterie de la formation soient si impossibles à reproduire : après tout, sur
Precambrian, c’est une batterie acoustique, et un batteur en chair et en os, qui prouve qu’il peut tout à fait rester aussi écrasant et régulier que l’informatique sans jamais rogner sur l’efficacité ! Si j’ai effectivement mis un moment à accepter qu’un boîtier puisse insuffler autant de force et de froideur dans les compositions de Saenko, et ce malgré des samples très basiques, je trouve que sur
Hour of the Centaur, un cap symbolique a été franchi.
Exit le cliquetis incessant des précédents opus. Les échantillons employés sur ce nouvel album gagnent tant en clarté qu’en profondeur : écoute cette caisse claire, ces cymbales, qui figurent à merveille le blizzard glacé qui fouette le visage ! Elles apportent à cette section rythmique galopante une indéniable lourdeur, supplément lipidique à des compositions menées tambour battant... Pour ralentir brusquement, finissant d’enfoncer le clou dans les tympans, en rappel de l’essentiel
Battlefields, comme tu le soulignes. Par contre, Saenko, un ours blessé ? Tu en es sûr ? Quel animal oserait s’attaquer à une bête aussi redoutable ? Le gars n’a qu’à montrer les crocs pour que tous posent un genou à terre, tant par respect pour le Roi que par crainte de se retrouver tout en bas de la chaîne alimentaire. Vociférant, grondant, de cette inimitable voix d’ogre slave qui semble venir des entrailles même de la terre d’Ukraine, scarifiée tour à tour par les bêches de ses paysans, les sabots de sa cavalerie, et le gel de ses hivers. Et pour les rares sceptiques qui n’auraient pas encore été balayés par ces saillies assassines, Saenko prouve que les années n’auront pas eu d’emprise sur ses qualités de compositeur. Ce mec est une usine à riffs. C’en est indécent. Un artisan des parties ultimes, de celles qui vous font serrer les poings en l’air, vous plaquent au sol, font monter l’adrénaline et fatiguent le palpitant. Laisse-en un peu pour la concurrence, Roman !
Indécent, c'est bien le mot : au-delà de l'intensité écrasante du black metal de
Hour of the Centaur, qui parvient sans sourciller à égaler ses illustres aînés, au-delà de l'agression ravageuse que nous propose le maître Saenko et son organe sépulcrale, émergent des moments de grâce extraordinaires. Bien qu'il nous ait largement abreuvé de son talent unique et de sa « touche » ces dernières années, avec une réussite diverse (dans
Drudkh,
Windswept,
Precambrian...), il revient proposer un riffing typiquement
Hate Forest, qui ne souffrira d'aucune comparaison. C'est le retour triomphant de cette atmosphère d'urgence absolue qui se joue ici, avec « To the North of Pontos Axeinos » ou encore « Melanchlaeini », reposant entièrement sur un monolithique blast que rien ne viendra interrompre, comme le faisait l'intransigeant
Sorrow à l'époque, sans les coupures brutales à la fin des morceaux toutefois : ici, on opte plutôt pour un fade out aussi minimaliste qu'habile. Tantôt dissonante, tantôt incroyablement aérienne, la mélodie atypique de ces tremolo pickings jupitériens demeure intégralement ravageuse. Aucune trêve n'est permise dans cette guerre permanente, aucune respiration n'échappe de cette bulle de haine pure qui comprime l'estomac et dresse les poils du corps tout entier : l'introduction éclair, « Occidental, beware the Steppe » ne fait que nous plonger directement au cœur d'un rythme incandescent que « Those Who Worship the Sun Bring the Night » et « No Stronghold Can Withstand this Malice » sculptent avec une rigueur implacable. Et c'est effectivement genoux à terre et larmes aux yeux que je prierai en silence pour mon salut lorsque retentira, fatidique, le break mid-tempo extraordinaire qui surgit sur « Anxiously They Sleep in Tumuli », chef-d'oeuvre absolu d'un opus qui touche du doigt les cimes, non seulement de ses aînés, mais aussi, disons-le clairement, du black metal en général. On s'était offerts, Sagamore et moi, le droit d'être sceptiques, mais non, rien à faire... avec tout le professionnalisme dont nous sommes par ailleurs capables, nous ne pouvons que nous fendre d'un laconique «
dura lex, sed lex » :
Hate Forest domine.
Plus que du simple scepticisme, je pense que nous partagions plutôt l’immense crainte d’être déçus. Déçus par cette formation légendaire, que nous portons tous deux en très haute estime, qui aura cimenté un pan entier du Black Metal, en même temps que notre longue amitié – mise en sommeil, elle aussi, durant quelques années. Après tout, nombreux sont les groupes que l’on pensait en train de digérer les pissenlits bouffés par la racine, tentant un retour par la grande porte, pour finir par se briser les chicots et ternir leur légende : par manque de conviction, par excès d’expérimentations ou accès d’opportunisme.
Hour of the Centaur prouve que le brasier dévorant, qui habitait le cœur et les tripes de Roman Saenko, ne s’est jamais complètement éteint. Il a suffi d’un souffle, glacial, une simple étincelle pour que de nouveau s’embrase le feu de joie – et qu’on le voie briller comme autrefois. Ce n’est pas seulement un retour réussi pour
Hate Forest, non. Pareil Grand Ancien ne pourrait s’en contenter. Il continue d’écrire sa légende, plus brutale, douloureuse que jamais, en même temps qu’il s'assoit durablement au panthéon des intouchables : ces groupes qui ne se sont jamais rendus coupables de la moindre faute de goût, du moindre album que l’on aurait pu juger simplement « passable ». Jouant la carte de l’épure au service d’un concentré de haine pure,
Hour of the Centaur écrase toute concurrence passée, présente et future, réaffirmant sa place de Maître et Créateur d’une niche toute entière. A ton image, Voay : un comeback que je n’attendais plus, et qui me procure un plaisir incommensurable. Le retour du Roi.
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