Où 16 est l’exact égal de l’image que l’on a de lui ? C’est aussi cela qui fait la force des grands groupes, ceux qui ont marqué leur temps mais restent des décennies après leur période faste marquants tout court : cette capacité à tourner autour d’un son immédiatement reconnaissable, mais possédant, pour peu qu’on s’y plonge avec attention, mille nuances qu’il est plaisant de décortiquer.
Et donc,
Blaze of Incompetence est sans doute l’album le plus « 16 » de 16. Moins iconique que
Zoloft Smile, moins révolutionnaire que
Drop Out, mais clairement celui où la bande transpire le plus cet imaginaire d’une vie entre les barreaux – rappelons-le, plus qu’un rêve de leur part –, une cour de béton en plein air devenant le seul lieu de liberté autorisé. Sorti sur le label culte Pessimiser Records (Dystopia, Eyehategod, Grief ou encore Phobia), ce nouveau longue-durée a dû étonner les amateurs de l’époque par sa sortie rapide, suivant de peu
Drop Out. Comme si les Ricains profitaient d’un droit de sortie pour accumuler le plus possible, aidés par un catalogue déjà conséquent – les titres « Wash Me » et « Thiothixene », déjà parus sous d’autres formats, se retrouvant réenregistrés pour l’occasion. Une avidité qui se retrouve sur ces quarante-six minutes pleines d’envie de peindre une existence de misère, où le groove terne fortement marqué par les scènes sludge et noisecore se déploie avec puissance malgré la sécheresse d’une vie sans couleurs.
Une science du « tube » qui trouvera son point culminant avec
Zoloft Smile mais que 16 tient ici déjà d’une main ferme. La tension noisecore de « Burning Sensation » ; la lourdeur menaçante et qui s’élance de « Glowing Bowl » ; les torsions industrielles de « Flaming Head-on Train Wreck » ; l’incroyable « Drinkin' Strychnine », à mettre parmi les meilleurs morceaux des Ricains…
Blaze of Incompetence est de ces œuvres dont on a envie de citer chaque instant, tant la tête trouve toujours une occasion de bouger, les muscles de s’activer, la mâchoire de se serrer dans des compositions aussi énergiques qu’écroulées, bagarre-bagnard, gros gnons de petites frappes. Avec ce syncrétisme nineties dont ils sont les seuls alchimistes, Godflesh, Unsane, la scène post-hardcore de l’époque (celle de Quicksand ou encore Drive Like Jehu) s’invitant dans ces riffs urbains et anxiogènes.
Voilà la richesse de ce sludge capitonné et s’évadant pourtant dans de longues plages, le sol remplaçant le ciel inaccessible dans ses rêveries criminelles. Une différence fondamentale par rapport au brut
Drop Out se situe dans ce caractère anguleux, corps des victimes mis en équerre, et cependant longitudinal, une basse vrombissante se mêlant à des guitares stridentes. Une plaine de ciment où les instruments de musculation deviennent l’outil d’une mécanique du cœur, l’aliénation d’une vie confinée y trouvant l’endroit où écrire sa douleur. Une autre chose qui ressort peut-être davantage sur
Blaze of Incompetence, malgré sa présence en filigrane le long de la discographie de ces agresseurs-agressés : l’angoisse de cet univers-ci, celle qu’on ne peut s’autoriser à transmettre lorsque le seul lieu collectif où l’intime a sa place est le vestiaire des hommes avant de réintégrer sa cellule. Une angoisse que l’on devine pourtant, derrière le roulement des bras et la sueur des développés-couchés, dans cette voix morne de Cris Jerue, rugissante et étranglée, exprimant aussi bien l’effort pour sortir le nouveau geste qui soulève les poids que celui pour réprimer les sentiments qui soulèvent l’estomac.
Il y a tout cela dans
Blaze of Incompetence, exprimé avec férocité et intensité. On sent certes que l’essoufflement vient en fin d’album (à partir de « Ride the Snake »), les mots sortant avec plus de simplicité mais pas plus de platitude. Le carton-plein se rate de peu,
Zoloft Smile restant le disque où 16 raconte la défaite avec le plus de réussite. Il n’en est pas moins un indispensable pour tout amateur de sludge d’une certaine époque, ici narrée comme rarement.
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