Il aura cette fois-ci fallu moins longtemps à Cenotaph pour accoucher d'un nouvel album après le très bon
Perverse Dehumanized Dysfunctions en 2017 qui avait laissé un gap de sept ans entre lui et le goûtu
Putrescent Infectious Rabidity. Pourtant, l'indéboulonnable Batu Çetin ne s'était pas rendu la tâche facile en remaniant intégralement le line-up de la formation, incluant en plus des membres étrangers. Si le Turc Eren Pamuk a rejoint le combo à la basse, ce sont en effet le Français Mattis Butcher (Darkall Slaves) et le Suisse Florent Duployer (Anachronism, Kakothanasy ...) qui sont venus compléter l'équipe respectivement à la guitare et à la batterie. Pas des manchots les gars, et j'étais assez excité à l'idée d'entendre le fou furieux Helvète derrière les fûts sur ce
Precognition to Eradicate sorti en octobre dernier sur le jeune label français Tentacles Industries qui après Diabolic se permet de signer un autre vétéran estimé de la scène death metal.
Brillamment illustré par le Japonais Delic Saike dont le travail donnait lui aussi bien envie (sans problème la pochette la plus réussie de la discographie des Ottomans),
Precognition to Eradicate ne diffère pas beaucoup de son prédécesseur malgré le ravalement de façade quasi intégral. On reste sans surprise dans le brutal death à l'américaine entre Disgorge pour l'aspect le plus gras et bourru et Defeated Sanity pour la partie plus tarabiscotée, quoique la balance penche ici plus vers le bourrinisme exacerbé. Et comme sur
Perverse Dehumanized Dysfunctions, le combo ankariote s'est offert un son maousse costaud qui colle au mur et donne à sa musique peu finaude la force de frappe nécessaire pour atteindre sa cible.
Mission accomplie ! Cenotaph fait ici preuve d'une efficacité indéniable, notamment grâce à ce côté mur du son allié à la barbarie auditive qui fait de
Precognition to Eradicate un gros exutoire assez jouissif. Une gageure car si l'on y regarde d'un peu plus près, la musique du quartette s'avère tout sauf facilement assimilable. Les changements de rythme n'arrêtent pas, les harmoniques sifflées stridentes pleuvent comme sur un album de Malignancy, les riffs ne sont pas toujours simples à discerner dans le vacarme ambiant, la basse frétille dans tous les sens comme une écrevisse au-dessus d'une casserole d'eau bouillante, les vocaux entre yaourt et gargouillis de Batu Çetin restent inaudibles même si mine de rien il varie un peu ses éructations, et le batteur pilonne à tout-va (je plains sa femme !), enchaînant les cassures rythmiques à la fois rapides (beaucoup de blast-beats en rafales très courtes) et techniquement exigeantes, sans toutefois montrer autant d'influences jazzies que ses prédécesseurs Lille Gruber et Alican Erbaş au jeu similaire. On a un peu l'impression d'un déballage de plans sans queue ni tête avec une recette identique et donc monotone sur tous les morceaux, les rendant peu dissociables les uns des autres. Les nombreuses livraisons de gras aux riffs huileux moins véloces et plus simplistes casées un peu partout apportent toutefois un groove putride bienvenu. Et les quelques schémas plus lents, sombres et parfois dissonants ("Anomalous Necrotic Breed" à 1'47, début de "Recombinant Extraterrestrial New Form" et à 2'25 puis 3'05, "Isolation Turned into Cannibalism" à partir de 3'06, démarrage de "Into the Septic Molecular New Form" et en fin de parcours sur un sample cyber) permettent elles d'aérer un minimum. Quoique l'ambiance oppressante, angoissante et suffocante suggérée n'aident pas vraiment à décompresser.
En dépit de ces défauts presque inhérents au style, soyons clairs, cela fonctionne très bien ! Le but ici n'est pas de composer une musique facile d'accès avec couplet/refrain et des riffs dont on peut fredonner la mélodie sous la douche, mais de tirer dans le tas au bazooka pour faire le plus de victimes. Tout juste le groupe effectue-t-il quelques shoots localisés pour achever l'agonie des rares survivants. Et dans cette entreprise de démolition à grande échelle, ce septième album de Cenotaph se révèle tout à fait performant sur une demi-heure rondement menée, durée parfaite pour le genre qui au-delà deviendrait vite gavant. Si je garde une préférence pour
Perverse Dehumanized Dysfunctions que je considère comme le meilleur disque des Turcs, le bien-nommé
Precognition to Eradicate s'impose donc comme une nouvelle preuve de la bonne santé des vétérans, toujours au top malgré les problèmes de line-up et ce après presque trente ans de carrière. Quelle brutalité, quelle production, quelle maîtrise, quelle technique (ce batteur !) ! Ce n'est pas pour rien que Cenotaph reste un de mes groupes de brutal death préférés. Une valeur sûre dans un style sclérosé avec lequel j'ai de plus en plus de mal. C'est quand même autre chose que toutes ces merdes aux pochettes colorées ornées de monstruosités dégueulasses qui se ressemblent toutes et qui inondent les distros spécialisées comme Sevared Records ou Comatose Music !
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