Lorsque l’on évoque la scène norvégienne et plus particulièrement son pendant Black Metal, les premiers noms qui nous viennent à l’esprit sont naturellement ceux de ces entités qui ont contribué de manière tout à fait indéniable à façonner le genre au début des années 90. Demandez à n’importe qui autour de vous, même parmi ceux pour qui le Black Metal n’a finalement que peu d’intérêt, et ces noms seront à peu de choses près toujours les mêmes. De Darkthrone à Emperor en passant par Burzum, Immortal, Dimmu Borgir, Enslaved, Satyricon ou Gorgoroth, voilà peu ou prou ce qui vous sera servi inlassablement. Aucune honte à cela, ces groupes sont effectivement parmi les pionniers du genre et nous ont offert certains des albums les plus emblématiques que le Black Metal ait porté.
Néanmoins, la scène norvégienne ne se limite pas à ces quelques têtes de gondoles puisqu’il existe également quantité d’autres formations naturellement moins emblématiques mais dont la qualité des sorties en fait pour l’amateur éclairé un véritable filon à creuser et cela encore après trois décennies. Ici sur Thrashocore, personne n’avait jugé encore utile d’aborder le cas des premiers albums de Keep Of Kalessin. D’ailleurs à titre personnel, ce n’est qu’en rédigeant la chronique du dernier album de Whoredom Rife que j’ai décidé de m’intéresser d’un peu plus près au cas des Norvégiens. Car même si ma rencontre avec le groupe remonte à l’époque d’
Armada, c’est surtout la présence de Vegar Larsen derrière les fûts qui m’a mis à nouveau sur la piste des Norvégiens et notamment de leurs deux premiers albums que j’ai donc découvert fin 2021...
Formé à Trondheim en 1995, Keep Of Kalessin ne figure pas parmi les groupes à l’origine de cette fameuse seconde vague même s’il fait effectivement parti de ces autres formations qui en ont largement découlé. Tirant son nom du célèbre cycle Earthsea (Terremer) écrit par la romancière et novelliste américaine Ursula Kroeber Le Guin, le groupe norvégien composé à l’époque de Magnus Hjertaas au chant (Aptorian Demon, ex-Mare), Arnt Obsidian Grønbech à la guitare et au synthétiseur, Øyvind Westrum à la basse (ex-Aptorian Demon) et Vegar Larsen à la batterie (Whoredom Rife, ex-Aptorian Demon) sort son premier album en 1997 sous l’étendard du label italien Avantgarde Music. Un disque à l’artwork aujourd’hui bien dans son jus mais dont les couleurs et les évocations médiévales évidentes n’ont évidemment pas manqué de faire mouche chez moi.
Plus proche d’un Dimmu Borgir ou d’un Emperor que de tous les autres groupes cités également plus haut, Keep Of Kalessin propose avec
Through Times Of War un premier album dominateur et conquérant qui malheureusement n’a jamais connu le succès qu’il mérite mais qui vingt-cinq ans après sa sortie continue cependant de sonner extrêmement juste. En effet, si celui-ci est servi par une production naturelle et lisible, dénué artifices pouvant lui porter véritablement préjudice mais marqué de certaines caractéristiques qui aujourd’hui trahissent d’une certaine manière son époque de conception, ce disque n’a cependant rien perdu de sa force et de sa pertinence. Mené ainsi pied au plancher,
Through Times Of War se distingue d’emblée par sa dynamique intense et survoltée et ses accélérations délivrées en quasi-continue tout au long de l’album (on soulignera notamment le jeu nerveux et tendu de Vegar Larsen). Bien entendu, les Norvégiens ne sont pas sans ralentir la cadence et ainsi apporter nuances et contrastes à leur Black Metal ("Through Times Of War" à 2:03, l’entame de "Den Siste Krig" ou bien encore à 1:50, le premier tiers de "As A Shadow Cast", "I Choose To Suffer" à 2:07, "Skygger Av Sorg" et ses cinq minutes menées pour l’essentiel sur fond de mid-tempo, l’introduction de "Nectarous Red" puis plus loin à 2:41, etc) mais c’est bel et bien ce côté conquérant qui prédomine ici durant ces quarante-sept minutes.
Une atmosphère belliqueuse et triomphante entretenue également à travers le riffing froid, conquérant et néanmoins mélodique d’un Arnt Obsidian Grønbech fort inspiré. En effet, l’homme n’a beau ne rien révolutionner par son jeu, difficile de ne pas tomber sous le charme de ses trémolos et autres leads (et même quelques solos) qui par nature représentent l’essence même du Black Metal norvégien. De "Through Times Of War" à "Den Siste Krig" (les frissons à 3:10) en passant par "As A Shadow Cast", "I Choose To Suffer" ou "Obliterator", le guitariste impressionne et régale l’auditeur de son riffing victorieux et particulièrement intense exécuté le couteau entre les dents. Surtout qu’au-delà de ce riffing exemplaire, on lui doit également toutes les nappes de synthétiseur dispensées ici avec parcimonie et beaucoup de justesse. Des instants plus ou moins discrets selon les titres et bien souvent en filigrane ("Through Times Of War", "Den Siste Krig", "As A Shadow Cast", "I Choose To Suffer"...) qui apportent au Black Metal de Keep Of Kalessin une couleur symphonique naturellement évidente mais qui néanmoins ont le bon goût de ne jamais sombrer dans le kitsch désuet ni dans la surenchère inutile et concourent à étoffer ces atmosphères conquérantes déjà évoquées un peu plus haut. Des ambiances auxquelles participent également Magnus Hjertaas aka Ghash grâce à ce chant âpre, démoniaque et menaçant qui n’invite ni à la contemplation ni à l’apaisement mais qui insuffle par ses différentes tessitures et autres tournures possédées et malveillantes un véritable sentiment de terreur.
Bien que très largement sous-estimé déjà à son époque,
Through Times Of War s’impose comme un glorieux vestige de ces années 90 particulièrement foisonnantes en matière de sorties Black Metal. Vingt-cinq ans plus tard, il reste un album extrêmement solide, malheureusement toujours aussi peu considéré et reconnu mais dont les qualités n’en demeurent pas moins évidentes. Tout y est en effet savamment dosé, de cette brutalité dominatrice et conquérante à ces moments plus en retenus apportant nuances et relief en passant par ces riffs froids et implacables, cette batterie ultra volontaire, cette voix terrifiante qui rampe en arrière-plan et ce travail mélodique particulièrement prenant. Tous ces éléments font de
Through Times Of War un album intemporel qui après un quart de siècle conserve toute la force et la pertinence de son propos et ne devrait pas manquer de séduire bien des amateurs de Black Metal norvégien à tendance symphonique. Un grand disque, assurément.
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