Deathspell Omega déçoit ses fans avec
The Long Defeat ? Tant mieux.
Tant mieux, car il retrouve enfin ce que tant voyaient chez lui et ce que je peinais à considérer comme telle dans ses dernières œuvres : cette liberté de ton, où l’affranchissement des codes se fait au service d’une vision personnelle, quitte à déplaire. Certes, ce projet avait pu m’estomaquer de son originalité avec
Si Monumentum Requires, Circumspice,
Kénôse,
Mass Grave Aesthetics,
Diabolus Absconditus et surtout
Fas mais, très vite, son style s’était densifié, transgression devenant nouvelle norme. Malgré des œuvres d’une grande qualité formelle – notamment, le temps aidant, l’hémorragique
Paracletus –, il avait perdu cette capacité à déboussoler, renverser les tables de la Loi dont il était l’auteur. Me paraissant plutôt attaché à les écrire de la plus parfaite des manières, je n’attendais plus de lui qu’un pouvoir papal, une aura que
The Furnaces of Palingenesia avait su me transmettre. Sans changer son propre paradigme, la formation y avait trouvé une forme d’aboutissement, terminant son exercice de maîtrise par un « You Cannot Even Find the Ruins… » symbolique, fin de disque et fin de règne.
Un ultime titre qui devient une nouvelle brèche dans laquelle Deathspell Omega s’enfonce désormais pleinement, accentuant ses envies de rock et décuplant son énergie sensuelle avec lesquelles il compose ses hymnes décadents.
The Long Defeat est bien cela, dans son union des contraires au sein de la désunion irréconciliable : son intellectualisme s’habille d’une sensibilité corporelle, son fatalisme devient sensoriel, puise dans le doom et le hard rock les nerfs et synapses permettant de s’approcher au plus près du déclin qui vient, toucher sa gangue, ressentir ses aspérités et contempler ses ternes couleurs, pour mieux en extraire cette pierre appauvrie mais précieuse, la sertir avec une sobriété nouvelle. Fin des enluminures ; bienvenue au sein des vérités nues et dures.
Et quel spectacle ! Me voilà de retour aux grandes heures de mon obsession à son endroit, celles qui me faisaient voir en son comparse Elend et lui les symphonies malades de ce monde qui n’en finit plus de mourir, cela avec une ferveur à exprimer la défaite renouant avec la douleur de ses « Prayers » (des interludes pour vous ? L’esquisse d’un monde enfin exploré sur
The Long Defeat pour moi), si grande qu’elle ne peut s’incorporer qu’au sein de plusieurs voix. Inutile de faire ici la présentation des individus, tous connus et révélés par une communauté internet plus occupée à crier des secrets de polichinelle qu’apprécier l’énigme qu’est ce nouvel album, simple en surface et complexe en son propos : tous ne font qu’un, pris dans le grand discours de ces quarante-quatre minutes où s’explore une résignation devenue drapeau noir de ralliement. L’ensemble donne en effet l’impression que tout cela ne provient que d’un esprit trouvant corps au sein de plusieurs individus. Il y a une homogénéité rare entre les compositions, chacune développant pourtant leur propre mouvement, un sens de la narration où les dissonances et assonances des différents riffs font s’imaginer comme face à la lecture d’un livre d’une finesse rare, au sens demandant toute son attention pour s’y plonger. Le carnet de notes à portée de main, on a régulièrement les doigts qui griffonnent des citations, les guitares filandreuses de « Enantiodromia », les lignes vocales de « Sie Sind Gerichtet! » ou encore le démarrage éploré de « Eadem, Sed Aliter » possédant un art de l’accroche prenant directement au col, vécu ayant déjà la portée du souvenir.
Quelques exemples parmi d’autres d’une débâcle existentielle, de laquelle Deathspell Omega fait son universalisme français à lui.
The Long Defeat est bien l’œuvre française qu’il créé enfin, celle se jointant le mieux à un certain patrimoine culturel, où s’ébattent les pensées sensuelles de Georges Bataille, la tentation suicidaire sous forme de grand déballage sentimental de Drieu la Rochelle et Édouard Levé, l’atmosphère « fin de siècle » de la charogne 1900 et sa littérature au bord de l’apoplexie, les pensées se noyant dans un flot de sang anémié. Paradoxalement, il en tire une force nouvelle, en sourdine mais impitoyable, à l’image de ce batteur constamment ahurissant sans s’afficher outre-mesure. Un désespoir à boire comme le plus fin des vins, le même que le Huysmans des instants éprouvés à rebours, trouvant dans « Our Life Is Your Death » son accomplissement, dernière pierre d’une construction quasi-parfaite débutant par les atermoiements de « Enantiodromia » – ses entrelacs qui n’en finissent plus de repousser l’heure de l’assaut tout en figurant son inévitabilité –, poursuivant par la prière à la perte du recueilli « Eadem, Sed Aliter », la cathédrale-montagne du morceau-titre, la croisade expansive de « Sie Sind Gerichtet! »… jusqu’à cette harmonie qui a le goût de l’amertume béate, celui du flot du temps enduré avec délice.
Sur la Terre comme au ciel. Après des années de théologisme, de figuration du divin (au point de me perdre, tout humain que je suis), Deathspell Omega renoue avec la matière sur
The Long Defeat, d’un enregistrement organique –
The Furnaces of Palingenesia comme préparation à l’achèvement ci-présent – à l’exploration d’émotions anthropoïdes, quittant les livres pour user sa cervelle dans le réel. On pourra regretter quelques baisses de formes, quelques attentes trop longues, de même que de ne pas avoir ici une unité aussi fluide qu’escomptée, la diversité de voix me faisant parfois sortir de l’œuvre. Mais que l’on décèle des coutures çà et là ne fait pas oublier l’élégance des nouveaux habits du projet, rejoignant une certaine aristocratie française chère à mon cœur – une cour où Ataraxie, Void Paradigm, Elend, Drastus, Aosoth et d’autres (peu nombreux) se saluent –, aussi bien en terme d’excellence (déjà connue de sa part) que de fraternité d’esprit. Le souhait qu’il ne la quitte jamais est, je l’avoue, fort, tant cette nouvelle direction me plaît. Cependant, si l’avenir nous promet un aussi beau retournement de veste que celui-ci, considérez que mes attentes ne sont en rien un ordre dissimulé ! Faites comme vous voulez, Messieurs. C’est bien sur ce point que vous êtes les meilleurs.
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