Cela m’aura demandé un peu de temps pour le voir. Mais ça y est : Artificial Brain a sorti l’album que je le sentais capable de faire depuis ses débuts. Il en aura fallu des essais, tous loin d’être ratés pour autant ! Un premier jet qui maniait fort bien ses influences revendiquées (Gorguts et Krallice) sans pour autant pouvoir prétendre répondre d’égal à égal ; une suite qui commençait à montrer les qualités propres des Ricains, notamment dans une première moitié de folie, avant de pédaler dans une face B moins inspirée.
Deux esquisses au coup de maître qu’est cet album sans-titre, comme pour dire qu’il est l’œuvre définissant le mieux ce que la bande a toujours voulu composer. Certes, la forme ne sera pas neuve pour qui connaît déjà
Labyrinth Constellation et
Infrared Horizon. Toujours marqué par les créations de Luc Lemay – vénéré au point de venir prêter voix-forte sur « Insects and Android Eyes » – ainsi que les élans furieux du Krallice période trouble de l’attention (bonne chance pour assimiler ces structures alternant abrasivité et atmosphère au point de mêler l’une à l’autre), Artificial Brain trouve pourtant ici l’équilibre au sein de ces deux mondes, créant enfin son univers à lui dans cette balance qu’il manie avec rigueur, le poids d’une ambiance science-fictionnelle mettant l’ensemble de ses lubies sur le même plan. Un plan divin, aussi directement jouissif qu’usant la cervelle avec récompense, à l’image de cet entame qui oublie les présentations d’usage pour taper directement dans le vif lors des deux premiers morceaux. Clairement, les lignes de force se présentent dès le début pour ne plus nous quitter, la formation ayant visiblement compris que ses attraits se trouvaient dans une narration complexe, la puissance et la beauté de ses riffs en guise de fil rouge. C’est un vrai festival de passages ébouriffants que nous offre ce troisième album ! Un Keyser ne s’y retrouverait pas pour citer les secondes touchant juste sur « Glitch Canon », « Tome of the Exiled Engineer », « Parasite Signal », « A Lofty Grave »...
Il y aurait de quoi remplir des pages ! Mais, au-delà du général, c’est le particulier qui finit d’emporter, Artificial Brain parvenant enfin à totalement fonctionner en tant qu’entité forte de ce qui la compose. Obligeant autrefois à passer outre une impression d’éléments n’allant pas tout à fait ensemble, il est désormais un et multiple à la fois, chaque membre laissant une forte empreinte. Ainsi, Will Smith est passé de débouche-évier excessif au point que même Henry Cavill jouant Geralt de Riv lui dirait de se calmer sur les grognements à machine à claques charismatique, charriant à lui seul cet espace dévorant, ces histoires d’un space opera marqué par la guerre et l’émerveillement des confins, que l’on se plaît à imaginer quarante-cinq minutes durant. Avec ce qu’il faut de contrastes (merci aux différents guests venus apporter leurs nuances sur la moitié des titres) mais surtout une radicalité de chaque instant, il parvient à faire regretter que cet album soit son dernier avec la troupe, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant. Il y a aussi ce batteur, discret et impitoyable, allant jusqu’à faire passer Jamie Saint Merat pour un frimeur tant il soutient les merveilles des guitaristes Oleg Zalman, Jon Locastro et Dan Gargiulo sans jamais prendre le premier plan. Le curieux ferait tout de même bien de se pencher sur « Cryogenic Dreamworld », « Tome of the Exiled Engineer » ou encore « A Lofty Grave » pour apprécier les frappes pleine-tête dont est capable Keith Abrami.
Pile poil entre identité franchement death metal (l’imagerie développée ainsi que cette production presque old school, volontairement étouffée et coupante) et innovation contemporaine, Artificial Brain me fait revivre une émotion en lien avec l’espace que seuls quelques-uns, tel Krallice, Blut Aus Nord ou Mithras, ont pu me transmettre avec autant de précision. Porté sur le renouveau – j’en viendrai presque à benner mes exemplaires de
Labyrinth Constellation et
Infrared Horizon… –, il en oublie cependant sa fin. Seule aiguille gênante dans cette botte de foin transformée en supernova : le grand nombre d’interludes, grevant l’ensemble jusqu’à un dernier titre un peu trop égal à ses compères pour être conclusif, des sons ambiants trop répétitifs prenant le rôle de générique de fin.
C’est que Artificial Brain titille de plaisir jusqu’à donner envie d’en avoir plus. D’une générosité sans pareille – d’invités donnant le meilleur d’eux-mêmes à des riffs foisonnants en passant par un brassage aussi fier de ses racines death metal que de son identité propre –, il rend rêveur de ce qu’il contient (les instants suspendus, brefs mais émouvants, de « Celestial Cyst », « A Lofty Grave » ou « Insects and Android Eyes » par exemple) tout en laissant songeur d’une suite. Artificial Brain, signant ici la fin de la trilogie entamée avec
Labyrinth Constellation ainsi que l’arrêt de sa collaboration avec son chanteur, est enfin né.
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