Chimaira - Chimaira

Pour l'attendre celui-là, je l'attendais! Si Chimaira progressait autant entre The Impossibility Of Reason (2003) et ce nouvel album qu'entre Passed Out Of Existence (2001) et The Impossibility Of Reason, il y avait fort à parier que Chimaira allait squatter les premières places dans les classements des meilleurs albums de 2005. Rappelez-vous, il y a deux ans: les riffs plein d'énergie et d'agressivité de The Impossibility Of Reason ainsi qu'une maîtrise impressionante pour un groupe aussi jeune avaient laissé pas mal de monde pantois et je n'avais pas fait exception à la règle. L'attente d'un nouvel album se transformait peu à peu en anxiété alors que la date fatidique approchait. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas ressenti ça: j'avais peur que le groupe ne soit pas à la hauteur des espérances que j'avais placées en lui. Mais quand je pus enfin écouter la bête, mes doutes disparurent aussi vite que l'ambiance olympique à Londres.

Loin de rester sur ses acquis et n'ayant pas l'intention de nous pondre un The Impossibility Of Reason bis, Chimaira a su faire évoluer sa musique: les morceaux sont plus épiques (jamais moins de 5 minutes), plus variés, plus élaborés, mieux construits et donc moins rentre-dedans, ce qui au premier abord peut laisser supposer un ramollissement du gang de Cleaveland. En fait il n'en est rien. Le groupe a conservé sa fougue et nous fait sa livraison habituelle de bon gros riffs bien efficaces auxquels il est impossible de ne pas répondre par un violent mouvement répété de la tête de haut en bas, comme en témoignent des morceaux tels que "Inside The Horror", "Comatose", "Left For Dead", "Everything You Love" (écoutez-moi ce riff magistral après un I will retaliate qui devrait être repris en coeur par le public en live) ou encore "Pray For All". On remarque même avec un certain soulagement que Chimaira n'a pas répondu aux chants des sirènes en insérant un (voire, horreur, plusieurs) single commercial comme avec "Down Again" sur l'album précédent. Mais la bande à Hunter a muri et a aussi appris une chose importante: il n'est pas nécessaire de balancer la sauce tout le temps pour composer de bons morceaux. Les membres de Chimaira sont d'excellents musiciens, notamment les deux guitaristes Matt DeVries et Rob Arnold (surtout lui d'ailleurs, le principal compositeur), et ils tiennent à le montrer. La production puissante de Ben Schigel (déjà responsable du son énorme de The Impossibility Of Reason) et le mix assuré par Colin Richardson les ont d'ailleurs bien mis en valeur. La technicité plus aboutie des musiciens, flagrante sur cet album, fait partie intégrante de l'évolution musicale de Chimaira. Ce qui m'a ainsi le plus frappé et qui est le gros point fort de Chimaira est incontestablement les soli, plus nombreux (un solo minimum par morceau) et aussi bien sentis que parfaitement exécutés. Il y avait longtemps que je n'en avais pas écouté de tels sur un album récent ("Save Ourselves", "Inside The Horror", "Salvation", "Bloodlust"...). Leur côté très 80s me fait littéralement craquer. Rob Arnold est fan de Kirk Hammett et on sent l'influence du génial guitariste de Metallica dans chacun de ses soli (étant un fan ultime de Metallica moi aussi, vous comprendrez mon enthousiasme!). Ca fait plaisir de voir que cette pratique n'a pas encore disparu et que de jeunes groupes la perpétuent. Pas mal d'harmonies et de mélodies ma foi fort sympathiques viennent également enrichir les compos (celle qui accompagne le morceau "Salvation" vous restera longtemps en tête!), ainsi que quelques jolis arpèges (l'intro de "Everything You Love", la fin angoissante de "Lazarus"). Ce n'est pas tout: de bons musiciens aiment aussi laisser libre cours à leur imagination, en s'essayant à de nouvelles choses. Beaucoup seront ainsi étonnés de la fin surprenante de "Pray For All": la musique se fait dansante et folklorique, martelée par un rythme de batterie martial. On se croirait dans une taverne au temps du roi Arthur, difficile de résister à l'envie d'aller prendre une bière fraîche!

Mark Hunter a lui aussi progressé. Il maitrise encore mieux son chant hurlé: il le tient plus longtemps et insiste sur le dernier mot des vers, le rendant ainsi plus agressif et plus écorché (écoutez la fin de "Bloodlust" pour voir la rage que Hunter dégage). On note encore quelques parties de chants clairs, qui se font toutefois relativement discrètes ("Nothing Remains", "Salvation", "Left For Dead", "Lazarus"...). J'avoue que si le groupe les laissait tomber je n'en tomberais pas malade, même si elles restent écoutables et sont plutôt agréables.
Il y aurait aussi un effort à faire du côté de la basse de Jim LaMarca, peu audible et sous-utilisée. Au niveau des samples électroniques créés par Chris Spicuzza, ceux-ci sont toujours là et toujours discrèts (il faut tendre l'oreille pour remarquer leur présence tout au long de l'album), apportant plus un fond sonore qu'une réelle ambiance. Là-aussi, leur utilité me laisse dubitatif.

Mais ma plus grosse déception concerne Kevin Talley (ex-Dying Fetus, ex-Misery Index), le nouveau venu en remplacement de Rick Evensand (ex-Soilwork), qui avait lui-même pris la place de Andols Herrick, le batteur sur The Impossibility Of Reason. La performance de Talley n'est pas du tout mauvaise, bien au contraire, mais elle est trop banale pour un batteur de son envergure. N'importe quel batteur aurait pu enregistrer ces parties alors que Talley n'est justement pas n'importe quel batteur. Ecoutez Destroy The Opposition de Dying Fetus et vous verrez la différence. Bien sûr je ne m'attendais pas à des blasts supersoniques à tout va ou à des changements de tempo toutes les cinq secondes, je sais très bien que Chimaira ne donne pas dans le brutal death, genre qui convient pourtant bien mieux à Talley. J'en viens à me demander s'il n'est pas venu dans Chimaira pour une question de porte-feuille, logiquement pas très rempli après Dying Fetus et Misery Index...C'est en fait plus le choix du batteur que je critique que sa performance.

Je l'avoue, je fais un peu la fine bouche, en éternel insatisfait que je suis. Chimaira confirme amplement son potentiel et affirme sa propre personnalité, loin de tous ces combos métalcore à la mode qui se ressemblent tous. Le groupe a beaucoup mieux géré son évolution musicale qu'un Devildriver (pour rester dans l'écurie Roadrunner) et se trouve maintenant à pleine maturation. On pourra peut-être regretter un ou deux morceaux moyens ("Nothing Remains" fait pâle figure façe à un "Bloodlust") et une première partie d'album moins intéressante que la seconde (si ce n'est un jouissif "Inside The Horror"). De plus, au fil du temps, je garde une légère préférence pour The Impossibility Of Reason, monument d'efficacité, malgré la progression à pratiquement tous les niveaux. Alors album de l'année, peut-être pas encore, mais une chose est sûre, il faudra désormais compter sur Chimaira.

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