La rue, le trottoir, le macadam, le pavé et tout ce qui s’y passe ont toujours exercé une certaine fascination chez les artistes qu’ils soient musiciens, photographes, danseurs, peintres... Théâtre du quotidien dans ce qu’il a de plus banal, elle est aussi ce lieu de tous les excès, de tous les vices et de toutes les crasses. Il n’y a donc rien de surprenant qu’un groupe comme Gravesend y puise l’essentiel de son inspiration si ce n’est musicale, au moins thématique. Cet attrait, les Américains l’évoquent également volontiers à travers des photographies en noir et blanc qui, d’un clic judicieux, dépeignent sans parti-pris le caractère à la fois anecdotique et également surprenant, inattendu mais aussi extrêmement violent de ce qui s’y trame de jour comme de nuit.
Après avoir utilisé un cliché du photographe américain John Conn afin d’illustrer son premier album, les trois garçons de Gravesend ont choisi de piocher dans le portfolio de Matt Weber, photographe autodidacte ayant débuté sa carrière au volant d’un taxi new-yorkais et qui pendant plus de trente ans va contribuer à élever la photographie de rue au rang d’art à part entière. Le moins que l’on puisse dire est que le choix de cet instantané ne pouvait pas mieux correspondre à Gravesend et à l’esprit de son Black Metal aux accointances Grindcore pour le moins évidentes. Un esprit revanchard qui hurle "bagarre" sans baisser le regard, un esprit dominateur instillant la peur sur les visages. Bref, on sait que ça ne va pas rigoler et ça dès le premier coup d’oeil.
Pour ce nouvel album intitulé
Gowanus Death Stomp (à ceux qui se poseraient la question, sachez que Gowanus est un ancien quartier industriel de Brooklyn devenu cool depuis maintenant quelques années), Gravesend n’a fait appel qu’à un seul homme pour gérer de bout en bout le processus de production. Déjà sollicité par le trio pour le mixage de
Methods Of Human Disposal en 2021, c’est Arthur Rizk qui signe ainsi l’enregistrement, le mixage et le mastering de ce nouvel album. Un disque à la production froide et limpide qui offre une lisibilité totale sur ce qui s’y joue sans pour autant manquer de caractère à commencer par une nature punitive et implacable difficilement contestable.
Du haut de ses trente-six minutes,
Gowanus Death Stomp se contente de reprendre les choses là où Gravesend les avait laissé deux ans et demi auparavant après la sortie de leur premier album. Une suite logique et sans grande surprise qui, à défaut d’étonner tout son petit monde, ne manquera pas une fois de plus de le mettre à genoux. Aidé, on l’a vu, par une production effectivement redoutable, le trio va dérouler sa formule en prenant soin cependant d’étoffer son propos. En effet, si sur le fond peu de choses diffèrent entre ce nouvel album et son prédécesseur, on constate tout de même que sur la forme les Américains ont cherché à apporter un petit peu plus de matière et de profondeur à leurs compositions. Résultat des courses, à tracklisting quasi-identique (quinze titres pour
Methods Of Human Disposal, seize pour
Gowanus Death Stomp), on se retrouve pourtant avec une différence de compteur légèrement inférieure à dix minutes. Pour autant, si ces nouvelles compositions s'étirent effectivement un petit peu plus en longueur (rarement plus de deux minutes et trente secondes à l’exception d’un "Vermin Victory" affiché à plus de trois minutes), on ne peut pas dire que Gravesend traine la patte et ait cherché à calmer le jeu d’une façon ou d’une autre.
Car une fois de plus, la punition infligée par le trio new-yorkais est totale et particulièrement sévère. Avec son Black Metal mâtiné de Grindcore qui évidemment n’est pas sans faire écho à toute la scène canadienne que l’on connait bien (Antichrist, Blasphemy, Conqueror, Revenge...), Gravesend va une fois de plus prendre un malin plaisir à nous écraser la tête contre le bitume de sa lourde botte. Une violence concentrée et compacte (du blasts à la mitraille, du riffs à trois notes exécutés le cran d’arrêt enter les dents, des hurlements habités) que viennent nuancer des instants certes un petit peu plus en retenu mais néanmoins dotés d’un pouvoir destructeur tout aussi définitif. Des premiers instants de "11414" à "Even A Worm Will Turn" à 0:56 (avec ces glissades de manches typiques d’un groupe comme Revenge) en passant par "Festering In Squalor" à 0:43, "Code Of Silence" à 1:10, "Gowanus Death Stomp", "Crown Of Tar" ou "Thirty Caliber Pesticide" à 0:28 et j’en passe, ces moments vont mettre en exergue le côté belliqueux, martial et intransigeant de Gravesend tout en apportant également un petit peu de ce groove urbain sale et vicieux dans lequel les Américains prennent plaisir à tremper. Une atmosphère qui d’ailleurs se fait également ressentir sur des titres tels que "Deranged", "Enraged" et la première moitié de "Crown Of Tar" où le groupe laisse place à des sonorités électroniques terriblement suffocantes et menaçantes.
Si les productions bancales et / ou excessives des quelques formations canadiennes évoquées plus haut ont souvent été un frein pour pas mal d’auditeurs, nombreux sont les groupes aujourd’hui à ne pas embrasser de tels choix particulièrement clivants. Aussi dans le genre Black Metal bestial, Gravesend est actuellement avec Caveman Cult, Profane Order ou Antichrist Siège Machine (oui, j’en oublie sûrement certains) l’un des groupes les plus impitoyables du circuit. Certes, les trois new-yorkais n’ont rien inventé en reprenant ainsi à leur compte une formule vieille d’au moins trois décennies mais peu importe, à l’issu de ces trente-six minutes le résultat est sans appel, c’est la branlée, la dérouillée, la fessée, la punition, appelez la comme vous voulez. Une nouvelle leçon de violence qui ne laissera personne indemne.
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