Entre la sortie de
Timewave Zero en 2022 et celle de
Luminescent Bridge l’année suivante, nombreux sont ceux qui ont commencé à douter des intentions de Blood Incantation. La faute à des penchants de plus en plus prononcés pour des musiques très éloignées de ce Death Metal qui a pourtant fait de lui l’un des groupes les plus intéressants de ces dix dernières années. Des musiques pour lesquelles la formation du Colorado n’a d’ailleurs jamais caché son amour à commencer par les scènes électroniques Ambient et Krautrock des années 70 (de Tangerine Dream à Popol Vuh en passant par Amon Düül II, Jean-Michel Jarre, Ash Ra Tempel, Klaus Schulze, Neu! ou Kraftwerk).
Bien conscient qu’il n’arriverait probablement pas à convaincre son auditoire sans prendre le temps de l’introduire progressivement à ce genre de sonorités synthétiques, Blood Incantation a dans un premier temps commencé à laisser entendre que ses aventures post-
Hidden History Of The Human Race seraient effectivement bien différentes de ce à quoi le groupe nous avait habitués jusque-là. Des dires confirmés quelques mois plus tard avec la sortie de
Timewave Zero, un EP tout en synthétiseurs cosmiques et autres plages instrumentales dédiées à la méditation transcendantale qui ne manquera pas de faire grincer quelques dents et cela même parmi les auditeurs habituellement sensibles à ce genre de sonorités. Un an plus tard, le groupe choisira de réitérer partiellement l’exercice avec la sortie d’un single dévoilant cette fois-ci les deux visages de la formation dans une version cependant plus aboutie et convaincante. Quelque peu rassuré par ce
Luminescent Bridge effectivement plus harmonieux et efficace, la question était désormais non pas de savoir si les Américains poursuivraient dans cette voie (car d’une manière ou d’une autre c’est bel et bien à travers l’exploration de ces sonorités que se ferait l’évolution du groupe) mais plutôt comment celui-ci réussirait à les intégrer intelligemment à sa formule tout en restant le plus pertinent possible, notamment pour l’amateur de Death Metal moyen peu enclin à se laisser embarquer dans ce genre d’histoires.
La réponse à cette question se trouve aujourd’hui dans ce nouvel album intitulé
Absolute Nowhere (en hommage à ce collectif de musiciens Prog Rock des années 70 réunissant notamment William Scott Bruford (ex-King Crimson, ex-Gong, ex-Yes)) qui, s’il ne fera toujours pas l’unanimité notamment auprès des nombreux grincheux qui n’aiment ni ce qui sort de l’ordinaire ni ce qui rencontre un succès dont ils ne partagent pas l’enthousiasme, n’en reste pas moins la preuve que Blood Incantation est un groupe définitivement à part, capable de tutoyer les cieux en insufflant un brin de fraîcheur à un genre habituellement assez peu porté sur le sujet.
Soucieux de s’inscrire dans une démarche globale cohérente, Blood Incantation choisira de traverser l’Atlantique afin d’enregistrer ce nouvel album. Le groupe prendra ainsi ses quartiers aux Hansa Studios de Berlin rendus célèbres pour avoir vu passer entre ses murs des artistes tels que David Bowie, Iggy Pop, Killing Joke, Nick Cave And The Bad Seeds, Depeche Mode, Siouxsie And The Banshees ainsi que Tangerine Dream. C’est ainsi sous la directive du producteur Arthur Rizk avec en bonus les visites d’invités de marque tels que Thorsten Quaeschning (Tangerine Dream), Nicklas Malmqvist (Hällas) et Malte Gericke (Sijjin, ex-Necros Christos) que seront menées les sessions d’enregistrements durant l’été 2023. Un travail d’orfèvre, tout en justesse et en équilibre, afin de rendre justice comme il se doit aux compositions extrêmement riches et variées que nous offre ici Blood Incantation.
Illustré une fois de plus par Steve R Dodd (artiste américain rendu célèbre dans les années 70 pour ses illustrations d’ouvrages de science-fiction),
Absolute Elsewhere est composé de seulement deux nouveaux morceaux intitulés "The Stargate" et "The Message". Deux titres de plus de vingt minutes construits chacun autour de trois mouvements bien distincts ([Tablet I, II et III]). De prime abord il y avait donc de quoi être un petit peu suspicieux et craindre de trop grandes et inutiles digressions synthético-mystiques. Cependant, vous allez très vite vous rendre compte à l’écoute de ce nouvel album que Blood Incantation a particulièrement bien joué son coup en intégrant l’essentiel de ces nappes de synthétiseurs à des séquences progressives qui n’auraient clairement pas fait tâches sur un album du Pink Floyd des années 70. Naturellement, il faudra pour être en mesure de les apprécier ne pas être hermétique à ces longues tirades bien souvent instrumentales que nous dispense à plusieurs reprises la formation mais la vérité est qu’elles s’avèrent tout simplement bluffantes par cette manière qu’elles ont de parfaitement s’intégrer (sans jamais forcer ni paraître totalement incongrues) à ce que Blood Incantation a de plus "classique" à offrir. Ainsi, à l’exception de cette séquence comprise entre 8:11 et 11:24 sur "The Stargate" ([Tablet II]) qui rappellera probablement quelques mauvais souvenirs à ceux n’ayant pas succombé aux charmes de
Timewave Zero, difficile de ne pas s’enthousiasmer à l’écoute de tous ces autres moments mélodico-progressifs riches, variés et incroyablement bien troussés que l’on va retrouver dispensés tout au long de l’album :
"The Stargate" :
- De 2:00 à 5:30 avec en premier lieu cette guitare qui cocotte et cette caisse claire bardée de réverb' comme sur un album de Dub ou de Reggae (oui, oui) avant que n’entrent en scène de manière progressive tous ces claviers (orgue, mellotron, synthétiseur...) qui finiront petit à petit par s’estomper au profit d’une guitare lead mélodique impeccable.
- De 11:25 jusqu’à 12:31 avec l’arrivée de cette guitare acoustique et de cette flûte pour une séquence Folk champêtre étonnante.
- À 15:01 avec le bref retour de cette guitare acoustique soutenue par ces nappes de claviers et le chant ténébreux d’un Paul Riedl en prophète apocalyptique.
- Enfin à 16:44 avec ce passage tout en percussions et autres sonorités orientales (coucou Nile) puis ces quelques tirades de chant clair à la fois brèves mais bien senties.
"The Message" :
- Cette introduction lumineuse à la sauce Rock / Metal Progressif suivie à 1:33 par une reprise de ce même motif avant le retour d’une guitare lead à vous donner des frissons.
- De 5:58 à 11:56 avec ce qui constitue pour moi l’une des meilleures séquences de l’album grâce à ce groove tout à fait irrésistible offert en guise de préambule suivi (après quelques bribes de ce que pourrait très bien proposer Enslaved s’il jouait du Death Metal progressif) par un long passage ouvertement inspiré par le Pink Floyd de la grande époque (grosso modo de
Atom Heart Mother à
Animals). Un mimétisme incroyablement saisissant jusque dans le chant qui n’est pas sans faire écho à celui de David Gilmour.
- De 13:59 à 16:20, un passage marqué par le retour de ces percussions, de cette flûte et de ces voix lointaines et lumineuses pour une séquence tout en retenue.
Présenté de manière aussi détaillée on pourrait légitimement être amené à penser qu’il ne reste pas beaucoup de place pour la version Death Metal de Blood Incantation. La bonne nouvelle c’est qu’il n’en est rien puisque comme pour mieux rassurer l’auditeur encore un petit peu méfiant, c’est quasiment pied au plancher que le groupe américain va entamer ces retrouvailles. Deux minutes particulièrement bien ficelées entre tricotages technico-mélodiques et accélérations plus ou moins coriaces sur lesquelles vont venir se poser un growl profond et cosmique ainsi qu’une basse discrète mais néanmoins frétillante. Une entrée en matière qui, même si elle ne réserve pas de véritable surprise, n’en demeure pas moins particulièrement convaincante puisque l’on va y retrouver l’ADN même de Blood Incantation (ce riffing technique et versatile, ces leads mystérieux en provenance des coins les plus reculés de l'espace, ces séquences écrasantes et/ou chaloupées, la puissance de ces attaques plus ou moins frontales, ce growl implacable...). Un constat enthousiaste que viendront confirmer sans mal toutes ces autres séquences aussi redoutables d’efficacité ("The Stargate [Tablet I]" à 5:31, "The Stargate [Tablet II]" à 4:11, "The Stargate [Tablet III]" dès l’entame et ce jusqu’à 1:31 puis de nouveau à 2:03 jusqu’à environ 6:25, "The Message [Tablet I]" à 0:47 puis de 2:52 jusqu’à l’issue de cette première partie, "The Stargate [Tablet II]" de 0:37 à 1:32 et enfin sous forme de cavalcade surprenante sur le début de "The Message [Tablet III]" jusqu’à environ 2:00, de nouveau à 3:37 pour une partie lourde et mélodique particulièrement agréable puis une dernière fois entre 6:21 et ce moment où finalement les nappes de synthétiseurs finiront par reprendre subtilement le dessus).
Ainsi, que l’on aime ou pas Blood Incantation et son mélange de Death Metal progressif et de sonorités électroniques, difficile de ne pas saluer cette envie de vouloir sortir des sentiers battus, ce besoin d’être constamment là où on ne l’attend pas, sa capacité à fédérer autour de choix qui pourtant n’ont rien d’anodin et cette manière qu’il a de conduire sa carrière comme bon lui semble sans jamais penser à ce qu’il conviendrait de faire pour que cela fonctionne mais plutôt à se laisser porter par la force de ses convictions pour ainsi accoucher en 2024 de ce qui constitue aujourd’hui son album le plus abouti et au passage probablement l’un des disques de l’année pour un grand nombre d’auditeurs. Car
Absolute Elsewhere est un album incroyable de justesse capable de naviguer à sa guise entre plusieurs genres et sonorités. Un disque aventureux, bien loin de cette immuabilité qui caractérise une bonne partie de la scène Death Metal et sur lequel Paul Riedl, Morris Kolontyrsky, Jeff Barrett et Isaac Faulk semblent eux-mêmes transportés par l’enthousiasme de ceux qui savent parfaitement ce qu’ils font et de ce qu’ils ont entre les mains. Bref, je n’ai pas souvent mis la note de 10 sur 10 à un album mais
Absolute Elsewhere le mérite aujourd’hui amplement. Bravo messieurs car vous m’avez véritablement régalé tout en vous payant le luxe de nous rappeler pourquoi nous avions raisons de nous montrer aussi dithyrambiques à votre égard.
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