Le nom de Kalisia ne dit sûrement rien à la plupart de nos lecteurs, ceux qui ont commencé à écouter du metal il y a quelques années, ou qui comme Keyser se contentent de lire la rubrique « brutal death » dans les pages jaunes. À vrai dire, je suis moi-même trop jeune pour avoir connu Kalisia quand ce groupe a percé dans le monde du metal français il y a de ça maintenant 13 ans avec Skies, la première démo du groupe qui est vite devenue sold-out. Alors que je commençais à peine à lire la presse metal à la fin des années 90, je voyais de temps à autre des « on attend toujours le premier album de Kalisia », mais ce ne fût qu'en 2002 avec le medley paru dans un sampler de Rock Hard que j'ai enfin pu mettre une musique sur le nom de Kalisia.
Et pour votre information ami lecteur, Kalisia ce n'est plus ni moins que le premier groupe de death metal progressif français à avoir vu le jour, composé de mercenaires de la scène que l'on a pu retrouver dans des tas de projets, parmi lesquels je retiendrai personnellement les excellents Chrysalis et Fairlight. Mais la figure de proue de Kalisia c'est bien Brett Caldas-Lima, producteur renommé dans la scène metal hexagonale (Malmonde, To-Mera, Akphaezya…), et surtout excellent guitariste, qui a joué dans Megadeth et s'est vu proposer le poste chez Cynic lors de leur reformation… rien que ça !
Mais je l'avoue, j'ai en face de moi un problème de taille qui m'empêche de pratiquer mon schéma habituel du petit chroniqueur illustré, c'est celui de décrire la musique du groupe. La base est assurément death metal, mais l'enrobage est extrêmement progressif. Décrire Kalisia comme un mélange entre Cynic et Dream Theater ne serait alors pas fortuit, mais je ne ferais qu'effleurer la véritable substance de ce que le groupe pratique. Parce qu'en plus de faire dans le death progressif, Kalisia s'aventure sur divers terrains tels l'électro, le jazz et quelques autres sur lesquels je peine même à mettre un nom. C'est toujours fait avec talent et une sacrée dose de culot, au risque de laisser de nombreux auditeurs sur la touche. Le plus simple reviendrait à lister les divers éléments qui parsèment les plus d'une heure de Cybion mais entre les divers types de chant (à peu près un par couplet à l'exception du chant death), les innombrables pistes de guitare, clavier, basse, les samples, etc… cette chronique serait aussi interminable qu'une soirée passée enchaîné devant le Téléthon. Le terme de « death metal progressif hybride » employé par le groupe lui-même reste le plus fidèle à une réalité bien plus complexe, à condition de s'imaginer une hybridation poussée à l'extrême !
Résultat j'ai été très surpris à la première écoute, certes soufflé par l'extrême richesse des compositions et la beauté des arrangements, mais je n'arrivais pas vraiment à savoir si l'album me plaisait ou pas. Après une ou deux écoutes attentives de plus j'étais fixé : Cybion est un grand album, mais ça faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de mal à assimiler un album alors que je mange du Spastic Ink, Cynic et Theory In Practice au petit déjeuner ! C'est bien simple, Cybion s'avère être au même titre que le Crimson de Edge Of Sanity un seul et même morceau, d'environ 72 minutes (!) débordant de mélodies en tous genres et d'arrangements allant du très subtil à l'envahissant, d'une rare constance en termes de qualité. Car jamais les nombreuses voix, féminines, claires, ou death ne s'avèrent être énervantes ou envahissantes, elles sont admirablement justes, et parfaitement proportionnées. Mention spéciale aux vocaux death de Brett qui sont d'une qualité que n'importe quel groupe de death technique envierait.
Vous citer tous les passages mémorables de l'album me prendrait bien trop de temps, c'est pourquoi je ne citerai que les meilleurs, en particulier « Awkward Decision » et ses solos, à la guitare ou au clavier, tous plus magnifiques les uns que les autres, ou les joyaux de Cybion que sont les solos au début de « Blessed circle » et « Black Despair », ainsi que le lead central de ce dernier morceau qui est à tomber par terre… Toutes ces facéties mélodiques hautement jouissives ne sont pas sans me rappeler l'excellence des deux premiers Sadist, tant dans la façon de les amener que leurs arrangements.
Le triptyque « Blinded Addict », « Blessed Circle », « Blurred Exile » est vraiment ce qu'il y a de mieux dans l'album, et ce sont trois morceaux qui s'enchaînent sans même que l'on s'en rende compte, preuve une fois de plus que Cybion est bien une seule est même pièce, de très haute qualité pour ne rien gâcher. Et que dire de la production : mûrement réfléchie, formidablement bien proportionnée et allant encore au-delà de l'agréable, elle s'avère simplement parfaite pour une musique comme celle de Kalisia.
Je n'ai quasiment rien à reprocher à cet album, seuls le début de « Beyond Betrayal » et l'impression d'écouter un passage d'un album d'Era me rappelant les pubs de ma jeunesse et le début de « Contact Experience » aux sonorités un peu trop électro pour moi m'ont un peu déplu. Mais très honnêtement, ces arrangements passent comme une lettre à la poste une fois que les morceaux démarrent vraiment.
J'ai quelques petits regrets toutefois à formuler : la surabondance de plans tous plus savoureux les uns que les autres relèguent souvent la basse et surtout la batterie au second plan. Pourtant le bassiste est proprement formidable, et s'il s'avère toujours très audible quand on y prête un peu attention, on aimerait quand même plus de plans comme ceux qui suivent immédiatement le solo sur « Blinded Addict » ou « Blessed Circle », où il peut se lâcher complètement. Je regrette que le batteur ne se lâche pas lui aussi un peu plus : on sent qu'il est capable d'étoffer un peu plus son jeu et d'apporter une dimension encore plus profonde à Kalisia.
Mais assez parlé de Cybion, passons maintenant au second cd de l'objet que Kalisia nous propose. Quoi ? Vous croyez que vous n'en auriez que pour un peu plus d'une heure ? Et bien détrompez-vous ! Kalisia propose en plus de Cybion leur première démo Skies, entièrement remasterisée. Un cadeau idéal pour tous ceux qui comme moi écoutaient encore Nirvana quand le dernier exemplaire cet objet désormais collector a été reçu par son heureux propriétaire. A l'époque un peu plus death technique qu'aujourd'hui, Skies employait déjà la même recette que Cybion aujourd'hui, bien que le nombre de pistes et détails y soit un peu moins élevé que pour ce dernier.
Mais non content de nous faire profiter de sa désormais culte démo (si, si, j'insiste), Kalisia nous gratifie aussi de quatre excellentes reprises, très personnelles, avec de nombreux invités. Citons par exemple Ludovic Loez de SUP et le génial Paul Masvidal pour la reprise de « This Dazzling Abyss » de Loudblast, ou Angela Gossow de Arch Enemy et le formidable Christophe « 4 mains » Godin pour le chef d'œuvre de Cynic qu'est « How Could I » (Christophe Godin qui joue du Cynic : vous en rêviez, Kalisia l'a fait).
Ce cd bonus intitulé Origins fait donc à lui seul un peu plus de 55 minutes, additionné au presque 72 de Cybion font 2 heures et 17 minutes de musique, oui vous avez bien lu, tout ça pour la modique somme de 595 francs ! Euh… pardon, de 14 euros, je me suis laissé emporter par le personnage.
La longue attente qu'a suscité Cybion n'aura donc pas été vaine, le résultat allant encore au-delà de ce que j'espérais. On est bien loin du « tout ça pour ça » que redoute Brett dans l'interview qu'il m'a accordé (disponible en cliquant
ici). Cet album est une petite merveille de metal hybride, à la croisée des chemins de nombreux styles, dont le maître mot est
mélodie. Évidemment, le style de Kalisia ne plaira pas à tous, et c'est un euphémisme : il faut une grande tolérance aux divers genres mélangés avec talent, et surtout une grande persévérance, pour pouvoir apprécier Cybion à sa juste valeur. Mais il serait quoiqu'il en soit bien dommage de rater un si bon album, qui de surcroît m'a fait entamer mon année musicale d'une bien belle manière. Comme l'aurait dit Louis Amstrong : « c'est Cybion ! ».
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