Le nom de Green Carnation, même s'il ne claque pas dans l'air comme une évidence, sonne tout de même de façon familière aux oreilles des connaisseurs de metal progressif et avant-gardiste. C'est en effet l'appellation que c'était préalablement donné In The Woods…, avant de ce séparer du prolifique Tchort (parti chez un certain Emperor, vous connaissez ?). Pas de muselière cependant pour les joyeux comparses, qui pondent coup sur coup quelques pépites d'une scène sortant à tel point de l'ordinaire qu'ils en restent les seuls représentants (j'assume cette phrase). J'ai nommé un metal ésotérique s'appuyant sur un passé extrême, plein de mystère et de folklore scandinave. Au fil des productions, In The Woods… fait lentement surface en assimilant des influences prog tout droit sorties des années 70, jusqu'en 2000 où, parvenu hors des bois, le groupe a alors tout dit. Tout ? Pas tout à fait, puisque après avoir mis fin au projet, les frères Botteri récupèrent Tchort et Green Carnation est déterré vivant. Outre leurs musiciens, les deux bands ont aujourd'hui un autre point en commun: celui de n'être plus. Et comme moi ça me fait mal au cul, je tiens ici à leur rendre hommage en bouclant leur discographie.
Nous disions donc « In The Woods… fait lentement surface » ? C'est simple, Green Carnation replonge la tête la première accrochée à un parpaing.
Journey To The End Of The Night, offrande n°1 des Norvégiens, est en grande partie composé par Tchort qui reprend les commandes pour proposer un album à la mémoire à sa fille, décédée. Comprenez donc que l'heure n'est pas à la rigolade (allez une petite blague quand même pour se mettre en jambe : que font deux vieux avant de faire l'amour ? Ils cassent la croûte, voilà ça c'est fait). Mais l'heure est grave, j'insiste (je t'ai vu sourire toi au fond), et les loustics reviennent hanter les profondeur d'une onirique et obscure forêt avec une musique retournant aux sources de leur style. Si vous connaissez le second, sachez que cet album est encore très éloigné de
Light Of Day, Day Of Darkness. Pour vous faire une idée il en est, en quelque sorte, la gestation, la force très primitive qui le sous-tend. Il est empli d'une poésie presque occulte que l'on comprend tout à fait si l'on pense au thème qui l'alimente. Les textes évoquent d'une très jolie façon la difficulté de surmonter l'épreuve de la séparation, la ténacité du lien qui relie encore Tchort à sa fille, le voyage qui mène de la vie à … autre chose. Alors, même si l'on n'entre pas dans ses délires – au sens propre, ici il s'agit beaucoup de folie également –, on ne peut que saluer la démarche du bonhomme pour qui il n'a pas du être aisé de coucher tout cela sur le papier et de le mettre en musique.
Pour ceux que cet épisode larmoyant laisse de marbre, force est néanmoins de constater que le résultat est au rendez-vous, car toute l'ambiance sus-décrite n'est absolument pas usurpée. Dès son introduction (au titre « Falling Into Darkness » plutôt équivoque),
Journey To The End Of The Night plonge l'auditeur dans un univers étrange, peuplé de graves arpèges, lents et enivrants, avec une pointe de réverbération pour que la musique devienne espace, et qu'arrive alors un riff simple, puissant et lunaire. Ces quelques mesures permettent d'ores et déjà de sentir en cet album un pouvoir, reste à savoir lequel (même genre de frisson que procurera l'ouverture de
Light Of Day, Day Of Darkness).
La première écoute ne se révèlera pas évidente, ni les suivantes d'ailleurs. Le format est d'abord inhabituel, avec des titres très longs (jusqu'à 17min), ce qui n'aide pas à digérer le très gros travail de composition qui laisse s'exprimer tous les instruments de manières complexe et toujours pertinente au regard de la progression presque narrative des morceaux. Les riffs sont nombreux, le tempo varie du lent au moyen avec également quelques cavalcades bien senties, la teneur est tantôt lourde, feutrée, douce, mélancolique, épique (au sens où il s'agit d'un voyage spirituel, le titre ne ment pas), angoissante et j'en oublie… Bref, c'est un pavé taillé avec force introspection dans un brouillard lourd de questionnements, de détresse, mais aussi de mythes obscures qui, sans être mentionnés dans les textes, transparaissent dans l'atmosphère générale de la musique. Un album donc peu accessible, prenant aussi une bonne partie de sa dimension dans la session vocale. Les intervenants sont nombreux, avec beaucoup de chant féminin aux limites du lyrique et pour moitié improvisé, ce qui confère un coté occasionnellement dérangé (et dérangeant), tant la spontanéité des différentes prestations amène une sorte de théâtralité, évoquant parfois une actrice récitant un texte. C'est au final assez proche de ce que Synne Soprana, invitée sur cet album et le suivant, a pu proposer chez In the Woods…, mais le rendu est plus primaire et instinctif, moins contrôlé. Au chant, la performance centrale revient cependant à Rx Draumtanzer, dont la voix très particulière pourra en rebuter plus d'un. C'est un chant clair uniquement, mais un clair-obscur (peinture que cet album n'est pas sans rappeler). Il fait décoller les compositions, sachant varier son propos au sein d'un discours plein de ressentiment sans être plaintif, et où la folie affleure de temps à autre pour mieux être emportée par la douleur et la véhémence de son appel. L'esprit que la musique invoque, essence piégée dans un entre deux, il le rend plus présent. On ne retrouvera plus trace de cet ovni (et illustre inconnu) sur les albums suivants.
La production brute et très naturelle permet à tous les composants de trouver leur place, notamment la basse dont le rôle est souvent central dans les passages les plus calmes. Seule avec des guitares aux mélodies graves et arpèges organiques, héritage direct d'In The Woods… même si les influences progressives sont moins marquées, elle joue avec un confinement que tentent de contrecarrer les six-cordes saturées. Celles-ci emploient un langage mêlé de doom et de heavy entrelacés, et dont les noires circonvolutions ne sont ni lisses, ni préfabriquées, mais s'impriment malgré tout dans cet ensemble avec une évidence remarquable. Si vous connaissez déjà les albums qui suivront, vous savez à quel point Tchort (et le reste du groupe, qui composera bien plus à partir du troisième,
A Blessing In Disguise) peut transformer des plans et des riffs à priori très simples en des instants particulièrement intenses (oserai-je dire magiques ?). Car dans ces moments là tout concorde, tout tend vers un même but et traduit une même intension. C'est malgré tout moins le cas sur ce
Journey To The End Of The Night qui a d'autres atouts pour séduire, et c'est bien là l'un de ses uniques défauts si on y ajoute aussi quelques longueurs (comptez 70 minutes tout de même) qui finissent par s'atténuer avec le temps.
J'évite lâchement un détail des chansons, on n'en finirait pas. En revanche je peux conclure en disant que cet album développe une ambiance particulièrement sombre et recherchée, bien que chargée d'une poésie très primitive. Il vaut donc le coup d'oeil rien que pour cette atmosphère qui le rend unique et original. Mais il est aussi capable de sérieusement prendre aux tripes et, dans ses transports les plus intenses (ce final de « Under Eternal Stars »…), de soumettre l'auditeur à sa beauté et à sa tristesse. Tchort dédie cet album à la mémoire d'une fille, il dédiera le suivant à la naissance d'un fils. Le meilleur est alors à venir.
Ah oui et puis au passage : Green Carnation est mort, vive Green Carnation.
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