Kriegsmaschine - Enemy of Man
Chronique
Kriegsmaschine Enemy of Man
Le Black Metal n'est pas vraiment un genre connu pour son inventivité et son souci de systématiquement se renouveler. Ainsi, les disques qui s'en revendiquent ne cherchent-ils pas particulièrement à incorporer à leurs compositions toujours plus de tournures inattendues, palliant ce manque (parfois assez dommageable au vu des sorties de ces dernières années) en misant tout sur l'efficacité et les ambiances. Ainsi, "Enemy of Man" ne déroge pas à ce schéma-type, en ne réinventant pas la poudre, mais en se contentant de la faire parler, mixant à l'art noir que nous apprécions à sa juste valeur des ambiances d'une noirceur absolue. Hydre tricéphale s'articulant autour de M. (Mgla), Destroyer (Hate) et Darkside (MasseMord, Mgla), Kriegsmaschine officie depuis 2002, déployant un Black Metal aussi lourd que sombre, servi par le talent indéniable de ses musiciens (reportez-vous à leurs autres groupes et projets pour avoir une idée plus claire de ce qui vous attend).
"Altered States of Divinity", album assez personnel tout en ambiances sorti il y a maintenant neuf ans, plaçait la barre très haut avec des riffs efficaces et des compositions vicieuses. Les deux splits qui suivirent, tour à tour avec Szron et Infernal War, restaient d'excellente facture, mais malheureusement pas aussi consistants que nous pouvions l'espérer. Kriegsmaschine remet le couvert chez No Solace, selon toute vraisemblance l'écurie de M. (son nom est emprunté à la maxime qui guidait l'album "With Hearts Toward None" de Mgla), déployant en six titres longs et tortueux et quarante-six minutes une puissance de feu et une atmosphère que beaucoup de formations devraient prendre en exemple.
Jouissant d'un son exemplaire, laissant percevoir chaque note, chaque coup sur les toms et le vrombissement de la basse, "Enemy of Man" déploie une atmosphère de blasphème, une cérémonie impie au cours des six longs hymnes qui le composent. Si vous cherchez le blast-beat gratuit et le blasphème percutant, vous pouvez d'ores et déjà aller voir ailleurs. Kriegsmaschine se fait beaucoup plus sournois, vicieux, au travers d'arpèges rappelant fortement Deathspell Omega qui s'insinuent dans vos tympans. "Enemy of Man" n'est pas restitué, mais vomi par vos enceintes, une masse d'un noir de jais aux relents d'encens pour un résultat final empruntant aussi bien à la scène dite "classique" qu'à la scène orthodoxe à capuche. L'auditeur aura tout le loisir de se laisser guider dans ce rituel effréné par la batterie, véritable colonne vertébrale de cet opus, servi par le jeu proprement époustouflant de Darkside : on connaissait sa vélocité chez MasseMord, il dévoile sur "Enemy of Man" un tout autre talent, celui de la subtilité, tout en roulements, cassures de rythmes, et passages complètement tentaculaires aux cymbales (le morceau éponyme en étant un exemple flagrant). N'hésitant pas à partir dans des contrées beaucoup plus tribales, c'est son empreinte qui demeure le fil conducteur de ce disque : "Asceticism and Passion", accouplement de choeurs déments et d'un roulement aux toms étiré sur une grande partie du titre, est une messe noire à part entière. L'autre force de Kriegsmaschine est sa voix, le timbre rocailleux et possédé de M., que l'on sait efficace par le biais de son travail chez Mgla, assurément l'une des meilleures formations Black polonaises ces dernières années. Habité par le Malin, il déclame des textes fort bien écrits, similaires à Mgla sur bien des points, tant sur le ton emprunt que sur le côté grandiloquent de l'ensemble.
"Enemy of Man" est aussi dépouillé qu'homogène. Il délaisse les explosions furieuses classiques, les murs compacts des productions modernes pour mieux laisser ses leads dissonants s'exprimer, transformant ce qui aurait pu être un album de Black Metal classique en véritable perle incantatoire et ritualiste. Il alterne morceaux directs ("Farewell to Grace" et "To Ashen Havens") et compositions plus sinueuses et ambiancées (le paroxysme de l'orthodoxie étant atteint, à mon sens, sur "Lies of the Fathers"). Mais surtout, ce qui reste le plus appréciable chez Kriegsmaschine, et plus particulièrement sur cette dernière offrande, c'est l'absence de clichés lourdingues malheureusement inhérents au style. La seule incursion dans le domaine restant l'ouverture de "None Shall See Redemption", petit chant grégorien qui, plutôt que de verser dans le kitsch superflu, permet une véritable entrée en matière, posant les bases de l'univers esquissé par le groupe :
"Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné ?...
Le salut est loin de moi, loin des mots que je rugis." (Psaume 21, dit du serviteur souffrant)
"Enemy of Man" ne possède aucun temps mort, tout comme la lumière en est absente. Il est non pas la psalmodie d'un agneau du Seigneur mais le culte des impies. Sans fioritures, Kriegsmaschine parvient à donner un digne successeur à "Altered States of Divinity", hissant la barre précédemment évoquée encore plus haut. Les quelques longueurs inhérentes au genre et les parties parfois un peu trop similaires à Mgla se font rapidement oublier tant l'impact sur l'auditeur est grand, marqué durablement du sceau de la Bête. "Enemy of Man" nécessite, comme tout bon opus du genre, plusieurs écoutes pour être assimilé, et se classe sans mal comme l'une des meilleures sorties du genre de ce début d'année.
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