Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez de m'avoir lu gratuitement toutes ces années. Maintenant que je suis un professionnel de la profession journalistique à l'essai, le seul fait d'écrire sans être payé au feuillet me donne l'impression de faire la charité, et s'il y a un truc que je déteste encore plus que les clodos, ce sont les connards qui leur donnent de quoi survivre. Mais, alors que je m'apprête à réclamer à Thrasho l'équivalent de tout ce que j'ai écrit en piges rétroactives avec les intérêts (et comme je suis payé au signe, croyez-moi, c'est un sacré paquet de pognon), j'avais quand même l'impression qu'il me restait une mission à accomplir avant de prendre ma retraite du milieu de la critique bénévole. Il fut un temps assez lointain où ce webzine, encore vierge des souillures immondes des musiques décadentes qui font aujourd'hui l'essentiel de sa ligne éditoriale, était spécialisé dans le death metal. On aurait même pu dire « Thrasho, premier sur le brutal death » si on avait voulu, mais c'était trop proche du slogan d'une radio de merde des années 90. C'était l'époque où il y avait plus de trois sorties d'albums de death metal corrects par an, ce qui dans la sinistre décennie 2010 paraît complètement inconcevable. En souvenir de ce glorieux passé, je me devais de ne pas laisser le nouvel album de Sarpanitum aux mains des crasseux incompétents de cette rédaction aux relents de cour des miracles, parce que Keyser aurait été capable de lui mettre un 7/10 en disant « ça blaste trop ».
Il y a deux albums qui avant même leur sortie m'ont fait croire en l'année 2015 : ceux de Mithras et Sarpanitum. Vous savez déjà depuis longtemps que je considère
Worlds Beyond The Veil comme le meilleur album de death metal des années 2000 (et d'après), et que les huit ans qui sépareront
Behind The Shadows Lie Madness du futur
On Strange Loops ne m'ont été moins insupportablement longues que grâce aux quelques piges de Leon Macey à droite et à gauche, en particulier pour l'excellent
The Floating World. Je m'attendais donc logiquement à ce que la collaboration de Leon Macey à Sarpanitum à la batterie comble mes envies de blast supersonique, dans la continuité du merveilleux
Fidelium, sans toutefois penser que
Blessed Be My Brothers allait sustenter mon désir de mélodies à la Mithras. Et, je suis ravi de le dire, j'avais tort. Car si Leon Macey délivre encore une fois une prestation monstrueuse derrière les fûts, Tom Hyde et Tom Innocenti ont encore progressé dans l'art de la composition, faisant une nouvelle fois passer Sarpanitum à un cap supérieur. Ils doivent sans doute être aussi fans de Mithras que moi (et ce n'est pas peu dire), et ils ont réussi à digérer parfaitement l'influence de leur aîné pour apporter à leur musique une dimension plus mélodique, plus atmosphérique, et j'irais même jusqu'à dire plus épique – et si par épique vous comprenez des orchestrations dégueulasses à la Fleshgod Apocalypse, vous ne pouvez pas plus vous tromper.
Blessed Be My Brothers s'inscrit nettement dans la continuité de
Fidelium (dont vous allez lire la chronique maintenant si ce n'est pas déjà fait) sans toutefois être aussi sombre, brutal, ou rapide même si le tempo maximal moyen doit passer de 260 à 250, pour schématiser. Ce nouvel album est plus dans la continuité de « Sanctus Incendia » et ses leads lumineux que du tombereau de noirceur qu'était « Before The Walls » ; et si ceux qui préfèrent leur brutal death plus « blackened » que mélodique risquent de lui préférer l'EP, il faudrait être sacrément fou pour trouver l'évolution de ce nouveau Sarpanitum regrettable. Car, loin d'être aliénante, elle apporte une dimension supplémentaire à la musique du groupe sans rien lui retirer, conservant la fureur et la noirceur de
Fidelium en la conjuguant magistralement avec un travail mélodique et atmosphérique encore plus prononcé qu'avant.
Et bordel, ce deuxième album des Anglais n'est vraiment pas loin d'être parfait. D'une production ultra imposante sans être trop gonflée, signée Leon Macey, à d'excellentes paroles en passant par une pochette superbe, même les aspects secondaires de ce second essai sont très soignés. C'est un bonheur absolu de hurler "Deus Vult!" sur le formidable final de « By Virtuous Reclamation », premier indice que Sarpanitum s'est permis d'étoffer encore un peu plus ses arrangements avec un clavier discret pour rehausser une rythmique qui laisse désormais beaucoup de place à des leads très ambiancés, rarement démonstratifs mais qui supportent la plupart du temps la montée en régime des compositions. Sans être flashy,
Blessed Be My Brothers est techniquement bluffant, même si on retiendra bien sûr, beaucoup plus que celle des deux Tom, la prestation de Leon Macey derrière les fûts, d'une densité rarement (jamais ?) égalée, bien qu'il n'atteigne pas les tempos hallucinants du dernier The Senseless. Sarpanitum n'a pas changé son optique d'un iota, et son brutal death prouve encore une fois que « brutal » n'est pas un vain mot tant on a rarement entendu un album aussi globalement rapide et énergique dans le style. Une brutalité magnifiée par des mélodies parfois subtilement laissées en retrait comme au début de « Malik Al-Inkitar » mais le plus souvent frontales et faites pour trancher avec des rythmiques en leur apportant comme une touche de lumière – la plupart des rythmiques soit en mineur quand les leads sont en majeur, d'où un contraste saisissant. Des premières notes de « Komeno » au parfait final du titre éponyme, il n'y a rien à jeter sur
Blessed Be My Brothers. Vous aimez les deux titres en écoute ? Vous aimerez tout autant le reste, de l'ultra frontal « Truth » au superbe et plus subtil « Thy Sermon Lies Forever Tarnished ». Pour peu que l'on adhère au style de Sarpanitum, il n'y a rien à jeter sur cet album, et comme toutes les œuvres majeures, il produit cette impression de « pourquoi personne n'y avait jamais pensé avant ? ». Tout sonne juste, tout est parfaitement évident, tout est cohérent, tout passe trop vite comme si la musique du groupe était évidente alors qu'elle est le fruit d'un travail admirable long de plusieurs années. Plus que toutes les compositions, aussi excellentes les unes que les autres, c'est la cohérence du tout qui frappe, résultante d'une ambiance palpable qui unifie l'album et plonge l'auditeur dans un univers à part, parfait reflet d'une thématique ambivalente comme celle des croisades, où l'humanité allait déployer des trésors d'ingéniosité et des moyens colossaux pour aller éclater la gueule du voisin au nom de croyances religieuses archaïques. Une thématique tellement actuelle qu'on pourrait utiliser « I Defy For I Am Free » comme nouvelle devise officielle de la France. Enfin pas en anglais hein, ça reste une langue de barbares dégénérés bouffeurs de panse de mouton.
Mais on reparlera de la symbolique de l'album en interview, je me contenterai de juger la qualité de ses compositions, puisque c'est pour ça qu'on ne me paye pas (à ce sujet Chris, mon tarif habituel pour autant de travail c'est 200€, j'accepte les tickets resto). Enfin, de tomber en extase devant la qualité des compositions serait plus juste. S'il fallait vraiment trouver des défauts dans les compositions de
Blessed Be My Brothers, rien d'autre que deux riffs de transition un peu faciles sur « By Virtuous Reclamation » et « Truth » ne me viendrait à l'esprit. Et je parle là de peut être dix secondes cumulées de riffing un peu moins formidable que le reste sur quarante minutes d'orgasme. Si je me retiens de lui attribuer la note maximale c'est principalement parce que sur ces seulement quarante minutes, huit sont dédiées à des interludes (« Komeno », « Immortalised As Golden Spires » et « Homeland »), certes excellents et parfaitement à leur place, mais qui ne marquent pas autant que les joyaux de brutal death qu'ils introduisent. D'aucuns diront que Sarpanitum ne révolutionne rien et se contente de reprendre la recette de Mithras elle-même issue de Morbid Angel, et c'est en partie vrai, mais les Anglais se contentent de les assimiler et se démarquent nettement de leurs influences.
Blessed Be My Brothers est dans la veine de Mithras, mais il réussit parfaitement à s'en détacher en conservant l'ambiance et la vision des précédentes réalisations de Sarpanitum. Il est bien plus proche de
Fidelium que de
Worlds Beyond The Veil, parce que Leon Macey adapte son jeu aux compositions mais aussi car les références évidentes à Mithras sur le génial « Thy Sermon Lies Forever Tarnished » comme les interludes à la « Homeland » sont immédiatement identifiables comme du Sarpanitum pur jus malgré tout. Et croyez-moi, je ne cherche pas à retirer un quelconque crédit à Sarpanitum en évoquant autant le travail de Leon Macey, car Tom Hyde et Tom Innocenti ont parfaitement réussi à créer leur univers propre. Sarpanitum est plus frontal, plus direct, parfois aussi subtil que Mithras, mais propose une couleur nettement différente de son aîné, avec lequel il partage cette rare aptitude à faire du brutal death atmosphérique, ce qui les lie plus encore que quelques similitudes dans l'approche de l'écriture musicale. Je vous enjoins vivement à me donner un autre groupe qui réponde au qualificatif de « brutal death atmosphérique », pour voir si d'autres comparaisons seraient plus pertinentes. Non ? Rien ? C'est bien ce que je pensais.
De l'ambiance à la dynamique des compositions, tout est proche de la perfection sur ce
Blessed Be My Brothers, et si vous vous demandez encore pourquoi je ne vous ai pas déjà ordonné de l'acheter, c'est parce que j'aime garder ma conclusion pour la fin, merci, c'est moi qui écris, non mais. Il n'y a aucune raison valable pour l'amateur de death metal éclairé de passer à côté de ce qui aurait sans aucun doute possible été mon album de l'année 2014 s'il n'avait pas mis autant de temps à sortir. Je tiens là le meilleur album de vrai brutal death depuis le formidable
Behind The Shadows Lie Madness, et ce n'est pas un mince compliment. L'album de death metal de cette première moitié de décennie également, c'est une certitude. Je ne peux pas d'ores et déjà garantir qu'il sera l'album de l'année puisqu'il a le malheur de sortir peu avant (théoriquement...)
On Strange Loops, mais j'en suis à me demander si Sarpanitum ne risque pas d'égaler en qualité le prochain album de Mithras, voire de le dépasser en cas de faux pas. Et si on m'avait dit au cours de ces dix dernières années, que j'en viendrais à me demander si un album allait égaler en qualité l’œuvre de Leon Macey, j'aurais beaucoup rigolé devant l'improbabilité de la chose. Pourtant Tom Hyde et Tom Innocenti ont réussi avec
Blessed Be My Brothers à créer un album presque parfait, nouveau mètre étalon du brutal death (que l'on y ajoute « blackened » et « atmosphérique » ou pas), avec pour seul petit défaut une durée un peu courte qui le rend un peu frustrant, parce qu'on aurait aimé prolonger le plaisir. Avec deux titres et dix minutes de plus, ça aurait été le 10/10 sans même y réfléchir une seule seconde. Maintenant, achetez-le ou je crée une religion pour vous lancer une guerre sainte sur la gueule, tas de pleutres.
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