Ivar Bjørnson & Einar Selvik - Skuggsjá
Chronique
Ivar Bjørnson & Einar Selvik Skuggsjá
(A Piece For Mind & Mirror)
L’histoire de Skuggsjá ne ressemble à celle d’aucun autre groupe. Ce projet qui réunit Ivar Bjørnson d’Enslaved et Einar Selvik de Wardruna a vu le jour en 2014 lorsque les organisateurs du festival Eidsivablot (festival centré autour de la culture viking) leur ont demandé de créer une œuvre musicale visant à célébrer les deux cents ans de la constitution norvégienne. Un travail que l’on imagine aussi colossal que captivant et qui se devait d’être le reflet (ce que définit d’ailleurs le terme "Skuggsjá" en vieux norrois) de deux cent ans d’histoire. Une histoire évidement marquée par l’importance de la musique traditionnelle norvégienne mais aussi par l’émergence de la scène Black Metal à la fin des années 80.
Ce qui n’était au départ qu’un "one shot" s’est rapidement transformé en un projet beaucoup plus concret avec pour commencer une participation remarquée à l’édition 2015 du Roadburn Festival puis, quelques mois plus tard, par l’annonce officielle d’un premier album paru ce mois-ci sur le label Season Of Mist. De quoi susciter bien des attentes quand on connait le talent de ces deux acteurs majeurs de la scène norvégienne (rappelons en effet qu’en dehors d’Enslaved et Wardruna, ces derniers jouent ou ont joué dans des groupes tels que Mysticum, Borknagar, Taake, Satyricon, Gorgoroth, Bak de Syv Fjell , Sahg, Jotunspor...).
Comme à l’accoutumé, le label français propose de faire son choix entre une multitude de versions différentes dont une édition digisleeve proposant, en plus d’un beau livret réunissant textes (traduit en anglais afin d’en faciliter la compréhension), poèmes, photographies et illustrations (signées, tout comme l’artwork, par Costin Chioreanu), deux titres bonus ("Skaldens Song Til Tore Hund" et "Quantum Pasts (Rop Frå Røynda - Bardspec Ed)". Soit un total de douze morceaux pour près de soixante-dix minutes de musique. Si la qualité de ce premier album restera bien évidemment à l’appréciation de chacun, vous ne pourrez cependant pas dire que vous n’en avez pas eu pour votre argent. Skuggsjá - A Piece For Mind & Mirror est également marqué par la participation d’autres musiciens de renom dont notamment Grutle Kjellson et Cato Bekkevold d’Enslaved ainsi que Lindy-Fay Hella de Wardruna. A ce stade de votre lecture, vous devriez déjà avoir l’eau à la bouche.
Pourtant peu friand (mais aussi peu connaisseur) de musiques typées Pagan/Folk, je dois reconnaître qu’il ne m’a pas fallu bien longtemps pour succomber aux charmes de Skuggsjá. Car la qualité première de cet album est d’allier les spécificités du Black Metal d’Enslaved à la force et la puissance de cette musique traditionnelle que l’on retrouve chez Wardruna. Un mariage qui ne transparaissait pas forcément des quelques extraits proposés par le groupe avant la sortie de ce premier album mais qui semble pourtant évident dès les premières écoutes de celui-ci. Certes, tous les titres ne font pas preuve du même équilibre et dans son ensemble Skuggsjá - A Piece For Mind & Mirror est effectivement bien plus un disque de Pagan/Folk (Metal) que de pur Black Metal, néanmoins on ne peut certainement pas nier l’héritage d’Enslaved sur la musique que propose le duo norvégien. A ce titre, le morceau le plus frappant est probablement l’excellent "Makta Og Vanæra, For All Tid" sur lequel on retrouve deux autres membres d’Enslaved dont Grutle Kjellson qui va ainsi venir poser sa voix arrachée et si caractéristique (à laquelle va venir répondre une voix mélodique toujours aussi bien amenée). Le mimétisme est tel que l’on se dit que "Makta Og Vanæra, For All Tid" aurait très bien pu figurer sur un album comme In Times. De nombreuses autres séquences disséminées ici et là attestent également de cet héritage « Metal » mais leurs rôles, leurs impacts et leurs expositions ne sont pas du tout les mêmes.
En effet, celles-ci sont construites afin de fonctionner en parfaite symbiose avec les éléments de musique traditionnels apportés par Einar Selvik. Un équilibre savamment dosé qui confère une puissance toute particulière à des titres émotionnellement très forts. Car loin de tomber dans un folklore festif et léger voir désuet (Korkiplanni, Finntroll, Trollfest...), la musique de Skuggsjá met en avant l’histoire et la nature norvégienne dans ce quelle à de plus dure et de plus austère de manières parfois opposées. Car si certains passages se font plus agressifs ("Makta Og Vanæra, For All Tid"), d’autres se montrent beaucoup plus contemplatifs. De même, l’atmosphère n’est pas toujours la même avec parfois quelques passages plus légers comme sur "Ull Kjem" ou "Ull Gjekk" faisant respectivement office d’introduction et de conclusion. Mais peu importe car l’un dans l’autre il suffit de fermer les yeux pour s’imaginer face à ces montagnes aussi majestueuses qu’infranchissables, ces plateaux rocheux inhospitaliers baignés par un brouillard dense et étouffant, ces forêts enneigées pleines de mystères, ces fjords d’une implacable et froide beauté ainsi qu’à ce climat bien souvent hostile et impitoyable. Rien d’étonnant à ce qu’Einar Selvik ait ainsi collaboré via Wardruna à la bande originale de la série Vikings. L’écoute de Skuggsjá - A Piece For Mind & Mirror promet à ceux qui y poseront les oreilles un dépaysement total marqué par l’usage de langues profondes telles que le norvégiens ou le vieux norrois, par les voix graves (dans les émotions quelles transmettent) d’Ivar et Einar, par ces chœurs puissants que l’on imagine annonciateurs de batailles meurtrières ou évocateurs d’un certain folklore nordique, par ces rythmes presque tribaux mais aussi et surtout par l’usage d’instruments traditionnels que je ne pourrais même pas vous traduire en français (Google n’y ait pas parvenu non plus si vous voulez tout savoir). A vent ou à cordes, frottés ou pincés... ces lyres, violons et autres harpes donnent une couleur toute particulière à ces mélodies envoutantes pleines de force et de puissance, d’amertume et d’espoir, à la fois tristes et belles à l’image de "Kvervandi" qui me colle la chair de poule à chaque écoute. C’est beau et ça vous prend les tripes, tout simplement.
Pour ceux qui auront fait l’acquisition de la version digisleeve, vous pourrez donc retrouver deux titres bonus intitulés "Skaldens Song Til Tore Hund" et "Quantum Pasts (Rop Frå Røynda - Bardspec Ed)". Ces deux morceaux reprennent peu ou prou les thèmes principaux des titres "Tore Hund" et "Rop Frå Røynda - Maelt Fra Minne)" dans des versions néanmoins bien différentes. Construit autour d’instruments acoustiques (chant, percussion et cordes), il émane de "Skaldens Song Til Tore Hund" une atmosphère dépouillée et plutôt entêtante. A l’inverse, "Quantum Pasts (Rop Frå Røynda - Bardspec Ed)" propose quelque chose de beaucoup plus moderne, le rythme étant marqué ici par une boîte à rythme. Il s’en dégage une ambiance vaporeuse mêlant Rock et Electro sur fond de grands paysages norvégiens. S’ils ne sont pas nécessairement indispensables, ces deux titres bonus permettent toutefois de faire durer un petit peu le plaisir.
Alliant avec équilibre et finesse traditions norvégiennes et modernismes, Skuggsjá - A Piece For Mind & Mirror est un album absolument brillant offrant à chaque auditeur la promesse d’un voyage mémorable à travers deux cents ans d’histoire. Une épopée épique et contemplative empreinte de puissantes émotions qui résonneront sans mal dans le cœur de chaque homme sensible à ces grands espaces aussi rudes que magnifiques, à ces traditions ancestrales et oubliées du plus grand nombre, à cette nature resplendissante et autrefois respectée. Fermez les yeux et laissés vous porter.
| AxGxB 22 Mars 2016 - 2347 lectures |
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