Il est des oeuvres denses et fluctuantes, des albums devant lesquels on reste bouche bée et avec une opinion qui joue au yo-yo avant de se fixer. Des disques qui laissent comme un con, quoi. Et celui-ci ne déroge pas à la règle.
Oathbreaker remet le couvert, après un
Mælstrøm prévisible, et un
Eros|Anteros qui quittait de manière très prometteuse les sentiers battus. L'artwork prévient tout de suite : le nouvel opus des belges sera aussi sensuel et doux que sombre et pénétrant. Ces promesses sont-elles tenues ? Oh que oui. Et bien plus encore.
Après nous avoir traînés au bord de l'abysse et nous avoir encouragés à regarder l'obscurité en face, on nous propose maintenant une plongée en eaux glacées. Oathbreaker abandonne quasi-totalement son côté chaotique-hardcore, ciao Converge, pour ne garder qu'un black metal très mélo fourni d'éléments post-rock et shoegaze, ne manquant pas de rappeler Deafheaven (voir la fin de 'Immortals'). Ainsi dépouillé, le combo met plus que jamais en avant son atout premier, celui qui fait la majeure partie de son identité : sa chanteuse. Dès les premières lueurs de la voix claire et habitée de Caro Tanghe, j'ai senti avoir affaire à un truc hors du commun.
Alors que sur
Eros|Anteros, le chant était majoritairement crié et ne s'adoucissait que pour accorder un peu de répit bien mérité, le contraire s'applique sur
Rheia : les hurlements n'entrent en jeu qu'à des moments bien choisis. Mais quoi qu'elle fasse, la voix porte l'album de bout en bout. Entre sorcière éthérée et goule aux griffes acérées, Caro caresse, séduit, déchire les chairs et glace le sang, passant de l'un à l'autre le plus naturellement du monde. Les cinq premières minutes le prouvent : '10:56', courte ballade quasiment a capella, glauque et hantée, laisse sans transition place à 'Second Son Of R.', terrifiante fulgurance black dont le final hors normes aux hurlements possédés me colle des frissons à chaque fois. Un petit exorcisme ne serait pas du luxe.
Au fil des écoutes, il apparaît très vite que, même si elles se suivent mais ne se ressemblent pas, il est très difficile de séparer les chansons de
Rheia pour en parler individuellement. L'album coule comme un fleuve, chaque vague et chaque caillou ne formant qu'un tout, un cours d'eau bouillonnant mais homogène. Même l'acoustique 'Stay Here/Accroche-Moi' et l'ambiante 'I'm Sorry, This Is' se fondent dans la masse, amplifiant l'impression de fragilité et de danger qui plane sur tout le disque. Tout ici est à fleur de peau, au bord de la rupture.
Fragilité qui se ressent jusque dans le son : les guitares (désormais au nombre de deux puisque le bassiste a pris le poste de second guitariste, laissant la quatre-cordes à un nouvel arrivant) sonnent plus tranchantes que massives, et la batterie plus organique qu'auparavant. Ce qui n'empêche pas les riffs de rester plus que consistants et que tout cela blaste à souhait, 'Being Able To Feel Nothing' démontrant tout cela à la perfection à elle seule.
Mais c'est la lecture des paroles qui livre les dernières clés permettant d'appréhender
Rheia. Caro Tanghe s'y dévoile, sans artifices, aussi terriblement honnête face à son public qu'elle doit l'être avec elle-même. Entre '10:56' qui raconte un glaçant souvenir d'enfance, 'Needles In Your Skin' où elle déballe son ressenti face au décès d'un proche dans une froide chambre d'hôpital, ou encore le final de la troisième piste où elle scande "it's so strange, being able to feel nothing" à s'en déchirer les cordes vocales, elle se met à nu, faisant des chansons de véritables déversoirs, aussi cathartiques que possible. Tout prend alors sa place, les trésors de l'album comme ses moments un peu longuets : l'être humain, fragile, tourmenté, connaît la plus pure violence comme les passages à vide. Et nul besoin d'exorciste, finalement : Caro exhume ses démons et les sublime pour mieux les réduire en poussière toute seule, comme une grande.
A la relecture de ce billet, je me rends compte que j'aurais tout aussi bien pu copier-coller "tout est génial" sur trois pages. Mais il est difficile d'être impartial lorsqu'on se fait ainsi transporter, lorsqu'on s'apaise comme l'on frissonne à l'écoute d'un disque.
Rheia est aussi horrifique qu'il est sexy, si prenant et enveloppant qu'on lui pardonne ses quelques moments de creux. Pareil au baiser de la sorcière, ondulant et comme doté d'une vie propre, il épuise et meurtrit. Mais on y revient jour après jour, sans résistance. Sans même y penser.
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