Le retour des frères Skarstad était attendu au tournant. Il faut dire qu'il y a deux ans, Yellow Eyes nous offrait
"Immersion Trench Reverie", un album proprement saisissant, belle pièce de Black Metal en forme de madeleine de Proust, tout dans le feutré, dans la douceur, à écouter en plein hiver, vêtu du pull qui gratte, face à un feu de cheminée. Réconfortant, à contrepied de ce que le genre a l'habitude de nous offrir. Tout aussi surprenante, la sortie, un an plus tôt, du premier manifeste d'Ustalost, projet parallèle de Will, qui avait réussi, tout seul, à hisser "The Spoor of Vipers" au sommet. Tout était réuni pour faire monter la hype : les attentes étaient hautes,
"Rare Field Ceiling" réussirait-il à relever le défi ?
Sans grande surprise, la réponse est "oui". Et la formation réussit, encore une fois, à surprendre son monde. Exit la cabane au fond du jardin, "Rare Field Ceiling" se veut glacial. Presque romantique : l'auditeur sera lâché seul au milieu d'un désert de glace. Un poil plus complexe, également, la faute à Mike Rekevics, qui a su muscler son jeu de batterie, apportant nombre de variations, tout en
ghost notes et frappes éparses sur les cymbales, solides fondations sur lesquelles reposent les cordes des frères Skarstad, alternant entre dissonances somme toute classiques mais efficaces et riffing d'écorché vif (l'ouverture de "Light Delusion Curtain", notamment), mélodies ardentes complétées par un chant toujours aussi possédé, en retrait, mais non moins poignant. Si les plus taquins d'entre vous décideront de rester bloqués sur le spectre de Krallice, qui, c'est indéniable, plane sur certaines parties de
"Rare Field Ceiling" ("Nutrient Painting" et ses arpèges, rythmés par un tom basse judicieusement mis en avant), les autres choisiront d'y voir une influence correctement digérée, peut-être même un hommage, qui ne fait que renforcer l'aura des six titres de l'opus.
Le groupe continue de vous conter l'histoire débutée sur
"Immersion Trench Reverie". Les ambiances éthérées, avec notamment les beaux chœurs féminins, vous enveloppent de nouveau comme sur la fin de « Warmth Trance Reversal ». Des passages certes un peu plus effacés et écourtés que sur le précédent long format mais qui n'en perdent pas moins en importance et en impact. Ces petites touches font également écho à l'intriguant « Maritime Flare », sur lequel les musiciens sortent des chemins balisés, vous guidant vers des contrées aussi froides que brumeuses. Les sonorités épurées et ambient instaurent, au fil des minutes, un climat anxiogène à travers les cris déchirants de W. Skarstad ou encore ses notes désarticulées et cafardeuses sorties de nulle part à mi-morceau – qui me renvoient quelque peu à la fin de « Transcendental Requiem of Slaves » de Satyricon. Ce second chapitre, à l'image de Lirazel quittant son pays, délaisse donc une part de féerie au profit d'une réalité froide. Une réalité représentée de façon absconse par Yellow Eyes mais représentée par de grands aplats de noir. Car le ton se durcit nettement ici avec un rythme soutenu mais aussi des atmosphères sombres à souhait (« No Dust » en est un bon exemple). Toutefois la formation le fait avec l'art et la manière, offrant paradoxalement plus de variations. Elle injecte davantage de riffs mélodieux – comme sur « Nutrient Painting » – et parsème les titres de parties low tempos malsaines, gagnant ainsi en accroche. Un nouvel album qui montre une belle évolution, malgré les influences marquées. Il vous touche différemment par son côté plus personnel, plus black.
"Rare Field Ceiling" invite au voyage. Et ce n'est pas que de l'inteprétation. Will Skarstad, avant d'entrer en studio, revenait à peine d'un voyage en Sibérie, duquel il a ramené des fragments sonores, intégrés à l'album. Des lieux inhospitaliers, des mirages sonores, certes, mais pas dénués de beauté. Au contraire ! Et c'est ce ressenti qui accompagnera le curieux tout au long de ces trois-quarts d'heures. Plus que le voyage intérieur dépeint par
"Immersion Trench Reverie", cette dernière livraison des américains retranscrit, en véritable journal de bord auditif, le chemin de Stevenson, version polaire, effectué par le bonhomme. "Maritime Flare" est la conclusion logique d'un périple en six stations. L'image est belle, puisque cette "flare", la fusée de détresse utilisée par les navigateurs en difficulté, est à utiliser en dernier recours. Vu la beauté de l'univers dépeint par Yellow Eyes, et malgré son côté inhospitalier, a-t-on vraiment envie que quelqu'un vienne nous chercher ?
C'est aussi ce paradoxe qui fait de
"Rare Field Ceiling" un grand disque. Il n'était pas difficile de revenir à
"Immersion Trench Reverie" : c'est qu'il était accueillant, le bougre, un vrai petit cocon bien chaud ! Mais cette dernière sortie de Yellow Eyes se fait moins facile d'accès. En explorateurs des temps modernes, c'est le danger qui nous attire, l'inconnu, et qui fait que l'on revient, inlassablement, à l'assaut de ce nouveau continent musical pour en percer les secrets. Un autre grand album, qui complète à merveille la discographie du combo.
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