Weakling - Dead as Dreams
Chronique
Weakling Dead as Dreams
Qui dit USBM, dit Weakling. Le groupe américain n’est pourtant pas le plus cité quand vient le temps des listes – se portant davantage sur des formations telles que Leviathan, Cobalt ou encore Wolves in the Throne Room pour exprimer la particularité du black metal outre-Atlantique. Sans doute en raison d’une histoire marquée à jamais par l’underground. En effet, ce projet formé par des membres habitués à l’obscur (je vous parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, d’Asunder, The Gault et Amber Asylum) n’a eu que peu d’exposition et ce, dès la parution de son seul longue-durée en 2000 sur tUMULt records. Cependant, cette œuvre aura laissé une empreinte forte sur toute une partie de la scène, au point de rester diablement actuelle. Exhumation d’un cadavre qui, pas loin de vingt ans plus tard, paraît toujours aussi frais !
Fortement marqué par la scène black norvégienne (seconde vague), les musiciens ont réussi le tour de force de proposer de nouvelles sonorités et un univers unique. Un monument de noirceur de plus d'une heure, où ils dévoilent différents tableaux à travers des titres fleuves. Weakling dégueule son malaise et son amertume à travers le chant d'écorché vif – néanmoins varié – de John Gossard. Le son bien organique – ayant peu subi les affres du temps – renforce le côté viscéral de l'ensemble. En bon masochiste que vous êtes, vous vous délectez des ambiances ténébreuses créées par le groupe. Il délivre sa propre vision du black metal, aux relents dépressif, tout en évitant les clichés, la facilité et sans tomber non plus dans le pathos. D'où la richesse qui découle des cinq compositions avec notamment des changements de rythme nombreux ainsi que diverses teintes, passant de parties mid/up tempos épiques (« No One Can Be Called as a Man While He'll Die » avec ses excellentes mélodies), d'autres plus low tempos et mortifères comme le break sur « This Entire Fucking Battlefield » ou encore des passages très torturés (cf. le dérangeant « Desasters in the Sun » et ses lignes de guitares dissonantes). Les Américains semblent vous faire traverser un immense champ de bataille tapissé de cadavres. Une odeur de mort se dégage de Dead as Dreams mais celle-ci est étonnamment capiteuse. Plusieurs éléments vous happent comme les mélodies accrocheuses (le morceau titre en est le plus bel exemple), les riffs jouissifs (la fin de « Cut Their Grain and Place Fire Therein ») mais aussi les notes de synthétiseur qui apportent une touche grandiloquente.
Des visions de morts, vécues comme dans un rêve. Weakling développe des motifs qui, au premier abord, semblent avoir un lien ténu entre eux, liés au gré des envies diverses de la formation. Coupures abruptes, passages atmosphériques impromptus, élans arrivant par surprise... Un chaos de mélodies, tremolos entrelacés, ralentissements sans ordres, faisant que l’on vit cette grosse heure en leur compagnie comme pris dans un esprit fonctionnant autrement que par la logique. Dead as Dreams accroche constamment mais étourdit encore plus, brisant les repères pour mieux nous transmettre son ambiance songeuse, où l’angoisse laisse place à l’émerveillement. Aussi âpre, glacé, indéniablement black metal, qu’hypersensible, sa voix arrachée, ses juxtapositions de riffs, sonnent encore aujourd’hui étrangement liquides, voire spectrales, ses compositions ayant des textures de frôlements, de fantasmes noirs nous enveloppant. Tel Burzum et Bethlehem ne faisant qu’une seule entité prise dans un sommeil agité, au sein duquel on perçoit les chimères envahissant son esprit d’images de guerre, de regret, de tristesse, d’impasse. Un brouillard constant rappelant celui que John Gossard a développé dans une autre de ses formations cultes, éteinte également après avoir sorti une œuvre-maîtresse : The Gault, dont Weakling peut se voir comme la version black metal. A ceci près que là où Even as All Before Us n’a que peu goûté aux honneurs de la postérité, Dead as Dreams a marqué à jamais un certain black metal américain, des traces de son onirisme pouvant se déceler aussi bien chez Krallice que chez Leviathan, chez Wolves in the Throne Room que chez Yellow Eyes, cela sans perdre une once de son originalité bien à lui. A la fois unique et fondateur.
Rares et précieux sont les groupes qui, avec un seul album au compteur, arrivent à marquer durablement les esprits et dont le rayonnement sur une partie de la scène black metal est frappant. Weakling fait indéniablement partie de ceux-là. Dead as Dreams a beau tourner régulièrement, les sensations éprouvées lors de son écoute restent intactes et c'est également à cela que l'on reconnaît les grands disques.
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