Devin Townsend Project - Transcendence
Chronique
Devin Townsend Project Transcendence
Je dois énormément à Devin Townsend. C'est son growl unique qui m'a éveillé aux sensations du metal extrême, à la faveur de son incarnation du rôle de Rage dans l'album The Human Equation (2004) des Néerlandais d'Ayreon, auquel j'espère par ailleurs faire un sort un jour. Son groupe Strapping Young Lad, qu'il a gratifié de son génie jusqu'en 2007, m'aura servi de porte d'entrée dans cet univers. Entre la pilule bleue du death metal et la pilule rouge du black metal que ce groupe me tendait, j'ai choisi la deuxième et m'en suis goinfré pendant des années. Les chroniques que Chri$ et Thomas Johansson ont offert à ce quatuor qui, j'en suis sûr, ont lancé un paquet de monde sur les sentiers escarpés du metal extrême, vous dévoileront bien mieux que moi l'histoire et le génie de ce groupe tortueux. Aujourd'hui, je me suis un peu calmé : j'écoute moins de metal extrême. Mais Devin Townsend, lui, est toujours là. Après avoir dissous Strapping Young Lad et le Devin Townsend Band coup sur coup et s'être tu pendant deux ans, de 2007 à 2009, pause bienvenue pendant laquelle il a soigné ses addictions diverses et s'est recentré sur sa famille, il est revenu à l'hyperactivité chronique qui l'habitait au début des années 2000. C'est ainsi qu'il a formé le Devin Towsend Project en 2009 et s'est distingué par de nombreuses sorties proposant un metal progressif de grande qualité, toujours varié dans un riffing atmosphérique dont le bonhomme détient le secret et la maîtrise parfaite depuis Ocean Machine: Biomech (1997), première étape magistrale d'une longue série de chef-d'oeuvres. Il s'est apaisé, lui aussi, entouré de Brian Wadell (basse), Ryan van Poederooyen (batterie), Dave Young (guitare) et Mike St. Jean (claviers).
Transcendence, chant du cygne de ce projet en 2016 (il a en effet récemment annoncé une pause longue durée pour celui-ci), porte avec une grande inspiration ce sceau Devin Townsend, que notre homme a su imposer depuis plus de vingt ans comme absolument atypique. Il y ajoute des choeurs liturgiques aériens, pour nous plonger dans une cérémonie grandiloquente d'une beauté fatale, à l'image du morceau éponyme qui explore subtilement les territoires de la musique tribale. Mais c'est avec « Stormbending » que notre auguste Canadien évoque ses précédentes réalisations, avec des percées astrales qui ravivent sa foi et la nôtre, après les « Allelujah » balancés dans le précédent morceau, « Truth ». C'est une évidence depuis plusieurs albums, notre homme n'a rien perdu de son coffre sans limite. Ses envolées lyriques sont impressionnantes de virtuosité, à l'image de ses tremoli déconcertants de facilité...
« Time is a human construct,
and you were below the waves.
Time after time July was in her eyes,
if you lie you lie to your soul! »
En un couplet, il installe cette signature vocale unique. Dans son propos mystique, il se fait tantôt lyrique, tantôt agressif (les « to your soul! » sont criés pour apporter un supplément de hargne), tantôt doucereux, avec ses « time after time » tout en émotion intimiste. Extraordinaire. Ce pattern de batterie avec lequel Ryan van Poederooyen rythme cet ensemble orchestral, recouvert de nappes de claviers somptueuses, contribue lui aussi à sa réussite éclatante : ce petit jeu subtil sur la cymbale ride qu'il exploite parfaitement bien durant tout l'album apporte un supplément de finesse à un ensemble déjà fort bien raffiné. Le tubesque « Failure » et ses superbes soli de guitare contemplatifs partagés entre Dave Young et Devin Townsend finit de nous convaincre qu'en lançant Transcendence, nous avons pénétré dans une belle demeure, tant tout y est grand. Emphatique, même, comme ses trompettes qui marquent les temps avec un certain sens de l'épique. L'ensemble demeure d'ailleurs à la fois varié et surprenant : « Higher » débute comme une douce ballade floydienne avant d'envoyer un metal progressif racé dans ses refrains. Cette alternance entre ces refrains martiaux, appuyés par les coups de boutoir du batteur et les couplets atmosphériques dans lesquels Devin Townsend s'aide d'un choeur mélodique pour déclamer ses messages sera bientôt interrompue par une avoinée dantesque où Ryan van Poederooyen soutient l'ensemble par un subtil jeu de double pédale.
« Craft your life, in ways you will be shown.
Craft your life, in ways that will be known. »
À partir de là, ce morceau s'impose comme l'un des petits chef-d'oeuvres qui parsèment ce Transcendence. Il porte magnifiquement bien son nom, tant il nous hisse, ainsi que l'album entier, vers le haut. Le tempo de celui-ci, pourtant, ne décollera guère, tant le Devin Townsend Project aime prendre son temps pour poser des atmosphères dans lesquelles la frontière entre emphatique et pompeux est parfois ténue. Si je n'avais pas cette tendresse et cette admiration immense pour Devin Townsend, je pourrais dire que le bonhomme en fait des caisses, ici, avec ses choeurs liturgiques parfois un poil chargés. Ça déborde un peu sur « Transcendence » et « From the Heart », qui traîne un peu en longueur. « Transdermal Celebration », reprise du groupe de rock Ween, conclut l'album avec brio, en apportant cette touche Devin Townsend unique, mais sans génie. Dommage, car « Offer Your Light » réveillait cet ensemble qui s'endormait un peu dans la méditation transcendantale et montrait à son tour que le divin chauve n'était pas si calme. Au contraire, il nous offre ici un tube metal prog imparable, à la mélodie pilotée par un clavier explosif. Le tempo enlevé et dynamique qui rythme cette cavalcade est une rupture réussie, au milieu de ces astres atmosphériques et mid-tempi. Son refrain accrocheur à ras-bord, qui voit notre divin chauve entreprendre un duel entre sa tessiture chantée/hurlée et un choeur féminin gracieux, fait feu de tout bois.
En fin de compte, Transcendence pourrait être cette pilule rouge que j'offrirais à un inconnu qui me demanderait gentiment : « et qu'est-ce que t'écoutes, comme musique, toi ? ». De quoi rester au pays de Merveilles et descendre avec le lapin blanc au fond du gouffre. Enfin, quoi, je n'allais quand même pas lui refiler le caviar directement, si ? En tout cas, il se pourrait bien que cette descente dure des années.
| Voay 19 Avril 2021 - 1049 lectures |
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