Mars 2020.
Ne Obliviscaris, comme bon nombre de groupe de metal à l'époque, se dit que cette connerie qu'on appelle Covid-19 ça doit pas être grand chose et que faut pas déconner, on va pouvoir continuer à vivre normalement. « Stay Strong China » et c'est marre. Non mais ça va bien finir par passer, le monde va continuer de tourner droit c'est moi qui vous le dit. Le fringuant Daniel Prestland, élu batteur le plus rapide d'Australie en 2006, arrive donc au Tennessee et pose ses flightcases dans l'Addiction Studio de Mark Lewis pour enregistrer ses partie batteries. Oui, le groupe est fin prêt à donner un successeur au très convaincant
Urn (2017), élu quant à lui album de l'année sur votre webzine préféré après une chronique aussi dithyrambique que nuancée de ce bon Dead. C'est qu'il en a tressé des lauriers, à ce sextet pratiquant depuis ses débuts un metal progressif atypique qui pioche dans plusieurs styles extrêmes (black et death metal) et moins extrêmes (musique classique et traditionnelle) des idées fécondes et les fait cohabiter avec un talent d'orfèvre et une technique incroyable que mon estimé collègue a rapproché à plusieurs reprises d'
Opeth. Mais cette succession tant attendue a failli ne pas avoir lieu... en effet, ce qui ressemblait à un léger problème de timing à l'époque se transforme vite en mise en pratique de la loi de Murphy. Le guitariste français Benjamin Baret – retenu par le ronronnant « nous sommes en guerre » – et le bassiste italien Martino Garattoni sont contraints de rester chez eux. Ne pouvant promener leurs chiens qu'à un kilomètre de leur domicile – sous réserve de la conformité de leur attestation – ils ne peuvent donc enregistrer le fruit de leur labeur. Tim Charles (voix claire, violon), Matthew Klarins (guitare) et Marc « Xenoyr » Campbell (voix criée) sont eux aussi paralysés sur leur île par un confinement record et barbare de 260 jours. Ce groupe âgé de vingt ans est même à deux doigts de splitter, lorsqu'au début de l'année 2022, malgré les éclaircies épidémiques, le batteur claque gentiment la porte, sans doute lassé par cette délicate situation d'entre-deux. Lorsqu'on est au fond du trou, on ne peut que remonter...
Ne Obliviscaris fait contre mauvaise fortune bon cœur, se remonte les manches et continue de charbonner ses morceaux, ajoutant et éditant plusieurs passages. D'une actualité brûlante à l'autre,
Exul, titre qui évoque la migration forcée du peuple ukrainien victime de l'invasion russe en février 2022, voit finalement le jour au printemps de l'année suivante.
Au vue de sa mise au monde chaotique, ce quatrième opus ne pouvait qu'être très travaillé (presque trop, d'ailleurs) : les Australiens atteignent un degré de raffinement impressionnant. Le faire débuter par le gigantesque morceau à tiroirs « Equus » ne dit pas autre chose. La production, tout d'abord, saute aux oreilles dès les premiers instants. Le sextet a du empiler les masterings, tant rien ne dépasse de ce son absolument clinique mis en relief par cette batterie débordante de Dan Prestland qui mitraille à qui mieux mieux son tapis de double pédale d'une profondeur abyssale. Il n'y a qu'à entendre ce qu'il envoie sur « Suspyre » ! Autre fait marquant et parti pris ultra intéressant, la basse de Martino Garattoni jouit d'une liberté éclatante, pilotant quasiment toutes les mélodies à elle toute seule. C'est une véritable gageure que d'offrir à cet instrument autant de marge de manœuvre... à tel point qu'elle en effacerait presque les guitares, quasiment cantonnées à la précision rythmique. Quasiment, bien sûr, tant Matthew Klarins et Benjamin Baret ne sont pas avares en riffs alambiqués et virtuoses. En témoignent les accords acoustiques flamboyants qui parsèment « Equus » et les soli foudroyants de beauté qui l'achèvent. Grâce à leurs coups de semonce, la musique de
Ne Obliviscaris reste d'une fascinante complexité, tout en réservant bon nombre de mélodies mémorables qui n'ont pas peur de la simplicité. Comme pour les albums précédents, ces gemmes se révèlent après plusieurs écoutes. Le climax du chef-d'oeuvre « Graal » (vers 5'30''), où tous forgent une gradation épique extraordinaire, est un excellent exemple du génie du groupe, qui peut tout aussi bien prendre immédiatement aux tripes, encouragé par les hurlements déchirants de Xenoyr :
« There is only dust...
Humanity is gone ! »
Il en va de même vers 2'30'' lorsque cette rythmique appuyée et virevoltante tabasse ce qui bouge et accélère le pouls dans un passage furtif mais terriblement efficace. Et bien sûr, la plus-value du groupe, ce qui fait que
Ne Obliviscaris est
Ne Obliviscaris, est toujours là. Omniprésente même, tant ce violon de Tim Charles – qui a de nouveau invité sa fille à donner de l'archer – larmoie dans tous les coins comme une pleureuse professionnelle à un enterrement. Lors de ma découverte du groupe, n'étant pas particulièrement touché par cet instrument dans le metal, j'ai eu du mal avec ce gimmick récurrent. Et pourtant, il y a dans cette formule un goût de revenez-y presque inexplicable... qui m'a irrémédiablement attiré vers ce
Exul qui la reprend très bien et la hisse vers de nouvelles dimensions : aussi bien progressif qu'extrême,
Ne Obliviscaris tourne à plein régime. Et même si le groupe a connu une traversée du désert et a failli y laisser sa peau, il y en a un qui a fait fructifier ces longs mois de chômage forcé pour travailler sa voix. En effet, Tim Charles revient presque transformé et le démontre fièrement dans grand final « Anhedonia », morceau final atmosphérique aux faux airs de
Dead Can Dance qui le voit se hisser au faîte de ses possibilités. Ses envolées lyriques – qui pouvaient en agacer certains dans les albums précédents – n'en sont que plus habiles et prenantes. Dès qu'il prend le micro, l'homme est absolument solaire et entraîne tout le monde avec lui. On contemple avec lui – comme Néron à Rome – les incendies qui ravagèrent les forêts australiennes dans « Equus » :
« Our fields alight
Is this a dream ?
Glowing inferno
Reborn, red dawn
Searing, auric chariot
With karmic wheels, they burn again
The karmic wheels, turning again... »
Il forme avec Xenoyr une alliance presque parfaite, lorsque les deux prêchent pour la même paroisse et déversent leurs paroles mystiques et poétiques. Lorsque l'un s'efface au profit de l'autre, toujours dans un souci d'équilibre, l'affaire roule tout aussi bien. Le partage des tâches est très efficace. Il faut dire que le hurleur en chef a lui aussi une palette impressionnante à faire valoir, entre growl caverneux et découpé et tiraillements plus déchirés. À l'évidence, l'homme contribue à la variété exceptionnelle de ce nouvel album, capable de passer d'une atmosphère à une autre sans sourciller. Tout semble si facile pour
Ne Obliviscaris, à l'image de ce morceau épique en deux parties intitulé « Misericorde » enchaîne les patterns avec une fluidité et une virtuosité déconcertante, du blast-beat le plus violent à la ballade mélancolique et contemplative en passant par la montée atmosphérique ultra poignante qu'« Anatomy Of Quiescence » . Il y a tout de même ce « presque trop », mis entre parenthèses en début de chronique, sur lequel il me faut revenir. Le bataillon australien a tout de même ce petit côté « je suis le groupe préféré de ton groupe préféré », tant il est constamment dans l'emphase et la démonstration. Et vas-y que je te cale une surcouche de violon pleurnichard, et viens donc écouter mon solo ultra complexe... sur-travaillé, cet album l'est assurément. Autant à cause du contexte que du côté perfectionniste des Australiens qui se ressent à chaque seconde.
Ne Obliviscaris n'est pas à un paradoxe prêt... alors même que le sextet présente un fourmillement impressionnant de riffs et d'idées, quelques longueurs peuvent parfois faire sortir de l'écoute. Par exemple « Suspyre » échoue un peu à captiver pendant dix minutes alors qu'« Equus » réussit parfaitement tout ce qu'il entreprend en douze.
Mars 2023. Le monde découvre enfin
Exul, qui illustre parfaitement les qualités de
Ne Obliviscaris et s'impose comme une porte d'entrée idéale pour découvrir le groupe, poussant pour l'occasion tous leurs curseurs à leur paroxysme. Porte d'entrée idéale, d'autant que ce fut la mienne. Après un temps d'hésitation parsemé de remarques désobligeantes (du type « mais qu'est-ce que c'est que ça encore ? »), j'ai été tellement happé par le feeling épique et puissant du flamboyant « Equus » et de son magnifique clip que je me suis goulûment enfilé les travaux précédents du groupe afin de pondre cette modeste chronique. Par respect pour la vision de Dead et sa connaissance sur la discographie du groupe – que je n'ai pas aussi affutée que son recul de plusieurs années – j'ai tâché de ne point m'emballer dans la notation. Reste qu'
Exul, comme son lointain prédécesseur, illustre parfaitement les qualités de
Ne Obliviscaris : sans atteindre les sommets créatifs des deux premiers albums, sa production canon et sa virtuosité permanente devraient contribuer à séduire bon nombre de touristes. Espérons pour les Australiens qu'ils soient nombreux à répondre à l'appel de leur prochaine tournée européenne. C'est tout le mal qu'on leur souhaite, après tant de galères...
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