Qu'allait faire Converge ? Quel sens y a-t-il à continuer l'aventure après avoir composé la musique la plus violente et la plus belle possible ? En d'autres termes, comment succéder à
Jane Doe ? Voici des questions que Converge a du se poser tant cet album représentait la perfection de ce style initié depuis
Petitioning the Empty Sky. L'auditeur, quant à lui, se disait que Converge ne ferait jamais mieux. Le groupe a donc tout simplement choisi de créer un album totalement différent des sorties antérieures :
You Fail Me.
En effet, ce disque est certainement le plus personnel de Converge et en même temps un véritable Ovni musical dans sa discographie. « Last Light » est un morceau romantique et screamo, d'une simplicité et d'une noirceur bluffantes. « You Fail Me » est lourd comme un Jean Marie Bigard, avec des paroles complètement morbides et fédératrices (
« Living everyday/Dying everyday »). Mais la plus grande surprise vient sans doute de chansons comme « Black Ground », « Drop Out » ou encore « Heartless », où l'on a l'impression d'abord décevante que Converge est en panne d'inspiration et se met à copier Botch : les structures paraissent inexistantes, ça couine (« In Her Blood »), s'alourdit, s'intensifie d'une seconde à une autre. Converge en fout partout, dans tout les sens comme si les membres du groupe jouaient un bœuf (mais avec une production terrible, merci Kurt Ballou !). Les écoutes nombreuses montrent en réalité que le groupe sait parfaitement où il va, tout au long de ces 35 minutes : « First Light » et « Last Light » posent le décor, « Black Ground », « Drop Out », « Hope Street », « Heartless » nous vrillent les oreilles en alternant de manière ultrarapide (ces chansons mises bout à bout ne font pas plus de huit minutes !) mélodie hardcore, furie quasi-grind et lourdeur sludge, « You Fail Me » et la très folk « In Her Shadow » calment le jeu en apparence pour mieux réveiller nos pulsions morbides, jusqu'au final complètement fou d' « Hanging Moon » (salut, on va vous jouer du screamo acoustique !). Malgré le chaos musical présent à chaque détour de guitare, tout est limpide, à la fois facile d'accès et d'une profondeur semblant sans limite (des tonnes d'écoutes au compteur et toujours des découvertes !) et cette trop courte plongée dans ce bordel organisé en demande plus. La durée minime de
You Fail Me est certainement le seul défaut de cet album, au-delà de cette musique chaotique et pleureuse au possible qui divise encore les amateurs du combo de Boston.
Mais ce n'est pas seulement parce que le groupe a réussi à réinventer son style que
You Fail Me est particulier. C'est surtout parce qu'ici, Converge a relevé un autre défi, que personne n'aurait pu deviner : donner une suite à
Jane Doe. Non pas un plagiat des riffs du précédent chef-d'œuvre du groupe (encore une fois ils ne pouvaient pas faire mieux) mais une prolongation de l'univers développé.
You Fail Me se situe après l'implosion de
Jane Doe. Il est ce qui reste après le cataclysme. Comment ne pas voir dans le duo « First Light/Last Light » la renaissance d'un corps décomposé, qui tente de se relever, de revivre après avoir été trop loin (
« This is for the heart still beating ») ? Et ces dérives mathcore ne sont-elles pas l'expression de pulsions meurtrières toujours présentes mais inassouvies, comme si après avoir tué tout le monde, Converge n'était pas satisfait et décidait de retourner son arme contre lui-même ? Jacob Bannon ne hurle plus comme dans
Jane Doe, sa voix est moins crispante, beaucoup moins élevée que précédemment : elle n'est plus que rage fatiguée (« You Fail Me »), crasse glauque et tentative hystérique de retrouver la furie d'antan (« Hanging Moon »).
Jane Doe vit et
You Fail Me a trop vécu. Ils sont une entité indivisible représentant, chacun à leur manière, les mêmes sentiments : la fureur, la souffrance et la beauté de vivre. Mais là où
Jane Doe appelait à l'aide et visait les étoiles,
You Fail Me n'espère plus rien. Un album autodestructeur, déprimé bien que toujours extrême. L'album le plus sombre de Converge.
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